La hausse des taux d’intérêt menace des pans entiers de l’économie, mais gonfle les profits des établissements bancaires européens. Et comme souvent, ce sont les ménages qui trinquent le plus.
En règle générale, les communiqués de la Banque centrale européenne (BCE) ne font pas fureur sur les plages, ni dans le reste du pays d’ailleurs. C’est donc dans une relative indifférence que l’institution a annoncé, en plein mois de juillet, son intention de relever une nouvelle fois ses taux directeurs, qui servent de référence à l’ensemble des taux d’intérêt pratiqués par les banques de la zone euro. À 4,25 %, le principal taux de la BCE atteint des sommets inégalés depuis 2001. Et ce n’est pas une bonne nouvelle : des dizaines de milliers de ménages doivent renoncer à prendre un crédit immobilier en raison du renchérissement des prêts, les entreprises ont de plus en plus de mal à emprunter, les États voient la charge leur dette publique grignoter leur budget, etc.
Cependant, un petit nombre d’acteurs économiques résistent vaillamment à la morosité ambiante en ce milieu d’été : les grandes banques affichent des résultats mirobolants. BNP Paribas vient d’annoncer 7,2 milliards d’euros de résultat net au premier semestre (en hausse de 22,5 %, hors éléments exceptionnels). Le Crédit agricole enregistre quant à lui 4,1 milliards d’euros de bénéfices sur la même période (+ 9,8 %). À l’étranger, le festin est encore plus copieux, puisque le mastodonte suisse HSBC a par exemple engrangé 18 milliards de dollars de profits au premier semestre, soit plus du double de l’année précédente sur la même période.
L’une des raisons de cette bonne fortune tient précisément à ce qui pourrit la vie de millions d’emprunteurs. La hausse des taux d’intérêt de la BCE met à mal une partie de l’économie, mais garnit les caisses des banques. Plus précisément, elle gonfle leurs marges nettes d’intérêt (MNI), c’est-à-dire la différence entre les taux auxquels elles prêtent à leurs clients et ceux auxquels elles se refinancent. Une étude passée curieusement inaperçue chiffrait, en mai dernier, le pactole perçu par les banques de la zone euro grâce à la BCE. Selon les calculs d’Allianz Global Investors (un gestionnaire d’actifs), ces dernières ont empoché 100 milliards d’euros de marge supplémentaire entre juin 2022 et mars 2023 !
Les taux d’emprunt immobilier dans la zone euro ont quasiment été multipliés par deux en an
Les banques ont gagné sur tous les tableaux. D’un côté, elles ont augmenté les taux auxquels elles prêtent à leurs clients – par exemple, les taux d’emprunt immobilier dans la zone euro ont quasiment été multipliés par deux en an, à 3,70 %, selon les données collectées par la BCE. De l’autre, elles n’ont quasiment pas revalorisé les taux auxquels elles rémunèrent les dépôts des épargnants. « Les banques ne répercutent qu’une partie – un peu moins de 20 % – de la hausse des taux d’intérêt aux déposants », précise Simon Outin, directeur de recherche crédit secteur bancaire chez Allianz GI. Autrement dit, les clients qui déposent leur argent en banque ne gagnent pas davantage, mais payent le prix fort dès qu’ils contractent un prêt.
Voir aussi : L’intérêt des taux d’intérêt
Tous les établissements bancaires ne sont toutefois pas logés à la même enseigne. « C’est surtout en Italie et en Espagne que les banques profitent le plus de la dynamique actuelle, nous explique l’analyste d’Allianz GI. Dans ces deux pays, leurs marges ont pris entre 20 et 30 % de hausse au premier semestre. » Ce n’est pas un hasard si c’est en Italie que la réaction politique a été la plus forte. L’extrême droite au pouvoir a menacé de mettre en place une taxation exceptionnelle de 40 % sur les superprofits des banques de la péninsule, avant de rétropédaler devant le tir de barrage des principales concernées. Aux dernières nouvelles, le taux du prélèvement sera plafonné à 0,1 % des actifs.
La remontée brutale des taux d’intérêt frappe de plein fouet les entreprises
En France, l’existence de produits d’épargne dits réglementés (dont les taux sont fixés par l’État), bride un peu l’appétit des banques, qui sont obligées de les revaloriser régulièrement. Néanmoins, cette spécificité n’empêche pas les épargnants de voir leur bas de laine rongé par l’inflation (voir ci-contre). Les épargnants, d’ailleurs, ne sont pas les seuls à trinquer. La remontée brutale des taux d’intérêt frappe de plein fouet les entreprises de la zone euro, dont la demande de crédit s’est effondrée à son plus bas niveau depuis 2003. Une situation d’autant plus aberrante qu’elles vont devoir mobiliser des milliards dans les années à venir, pour relever les défis de la transition énergétique.
Cerise sur le gâteau, la politique de la BCE risque de manquer sa cible première, à savoir la lutte contre l’inflation. « Les banques centrales ont remonté leur taux beaucoup trop vite, juge sévèrement Dominique Plihon, membre des Économistes atterrés. Cette politique est à la fois dangereuse, car elle risque de fragiliser l’économie dans un contexte d’incertitude géopolitique, et inefficace : nous sommes confrontés à une inflation par l’offre – ce sont notamment les superprofits des grandes entreprises qui alimentent la hausse des prix. Augmenter les taux d’intérêt ne servira à rien. »
Le marché de l’immobilier, autre grande de la flambée des taux
Le marché de l’immobilier est l’autre grande victime collatérale de la flambée des taux. Entre mai et juillet, le nombre de prêts bancaires accordés aux acheteurs potentiels a chuté de moitié, par rapport à la même période l’an passé, selon l’observatoire crédit logement/CSA. Une vraie bérézina. Ce n’est pas la première fois que les taux des crédits immobiliers atteignent ce niveau ; en revanche, c’est la vitesse de la hausse qui tétanise tout le monde. Même des ménages aux revenus confortables doivent abandonner leurs projets d’achat, devant la baisse de leur capacité d’emprunt…
Le ralentissement du marché de l’immobilier annonce peut-être des lendemains très sombres pour le reste de l’économie. « À court terme, les banques vont probablement bénéficier de la hausse des taux, admet l’économiste communiste Denis Durand. Mais, à moyen terme, cette politique va produire des effets néfastes pour tout le monde, y compris pour elles : les banques feront payer plus cher leurs clients mais elles en auront de moins en moins, vu que le nombre d’emprunteurs va baisser. Par ailleurs, les faillites d’entreprises risquent de se multiplier. » En France, le nombre de dépôts de bilan a grimpé de 35 % au deuxième trimestre, au plus haut depuis 2016. Encore un « record » dont on se serait bien passé…
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