Le dirigeant palestinien le plus populaire est en prison depuis plus de vingt ans. Il pourrait pourtant détenir la clé de la résolution du conflit, alors qu’Israël se satisfait de l’impasse politique créée par la présence du Hamas à Gaza, et de l’impuissance d’une Autorité palestinienne discréditée.
Le 15 avril 2002, alors que la Palestine est en pleine Intifada, une escouade de l’armée israélienne pénètre à Ramallah, la ville palestinienne. Les soldats encerclent le bâtiment dans lequel se trouve celui qu’ils recherchent depuis longtemps : Marwan Barghouti. Quelques tirs se font entendre, puis le dirigeant palestinien, menotté, est emmené au QG de la police israélienne de sinistre mémoire, à Jérusalem.
Depuis cette date, Marwan Barghouti n’a plus recouvré la liberté. Pis, il a été soumis immédiatement à de multiples tortures. Il a raconté à ses avocats les pressions physiques sous la forme de privations de sommeil prolongées et d’interrogatoires ininterrompus, et du recours à la méthode dite du shabeh, qui consiste à attacher la personne interrogée à une chaise et la contraindre à y rester assise pendant plusieurs heures dans une position douloureuse – en l’occurrence des clous dépassant du dossier de la chaise l’empêchaient de se reposer. Il a passé plus de mille jours en isolement cellulaire. Il est en prison depuis plus de vingt et un ans maintenant.
Une incarcération qui profite à l’occupation
Et pourtant, Israël n’est pas parvenu à le faire oublier des Palestiniens et de leurs soutiens du monde entier. C’est même le contraire. Après la sanglante attaque menée par le Hamas contre Israël, le 7 octobre, et au regard de l’impuissance d’une Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas, un homme de 88 ans discrédité, nombreux sont ceux qui recherchent une voix politique, pacifique et crédible pour la paix. C’est tout naturellement qu’ils se tournent vers Marwan Barghouti, dont le nom même est le symbole de la véritable résistance du peuple palestinien. Une résistance soucieuse des deux peuples, mais clairement prête à la résilience.
Tel-Aviv se satisfait de l’impasse politique créée par la présence, d’un côté, d’un mouvement islamiste qui fait office de repoussoir à Gaza et, de l’autre, d’une direction palestinienne incapable de la moindre initiative en Cisjordanie. Or, le véritable et seul représentant du peuple palestinien est l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), signataire des accords d’Oslo et légitime pour parler au nom de tous les Palestiniens, y compris ceux des camps de réfugiés au Liban, en Syrie ou en Jordanie.
« Nous sommes prêts à faire la paix avec l’État israélien sur la base d’un retrait total des occupants, donc y compris les colons. L’escalade de la violence provient des Israéliens.»
Marwan Barghouti
Cette unité palestinienne perdue profite à l’occupation. Marwan Barghouti, dans ses écrits, ses interviews et ses initiatives, y compris depuis sa prison, entend au contraire la retrouver. C’est bien ce qui est compris à Gaza comme à Ramallah, en Cisjordanie. Ces derniers jours, plusieurs personnalités en France, dont l’ancien premier ministre Dominique de Villepin, ont évoqué à nouveau son nom. Ce n’est que justice si l’on veut réellement trouver le chemin de la paix avec la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 et Jérusalem-Est comme capitale.
Un opposant historique à la colonisation
Pour les Israéliens, Marwan Barghouti a toujours représenté un problème. La preuve, aujourd’hui âgé de 64 ans, il est le premier membre du comité central du Fatah à être détenu par les forces israéliennes et condamné à cinq peines d’emprisonnement à perpétuité pour son rôle dans le mouvement de résistance palestinien.
Il n’a que quinze ans lorsqu’il est arrêté pour la première fois. Il fait ses études à l’université de Beir-Zeit, près de Ramallah, où il est un militant actif. Il devient tout naturellement l’un des leaders de la première Intifada, celle baptisée « la révolte des pierres », qui éclate en 1987. Son engagement lui vaut d’être incarcéré à plusieurs reprises (il en profite pour apprendre la langue de l’occupant, l’hébreu) puis est finalement déporté en Jordanie. De là, il s’embarque pour Tunis où il rejoint le leader historique de l’OLP, Yasser Arafat.
En 1989, il est élu au conseil révolutionnaire du Fatah et en 1994, après la signature des accords d’Oslo, rentre en Cisjordanie. À l’occasion des élections législatives organisées dans ce cadre, Marwan Barghouti est élu député. Membre du Conseil législatif palestinien (CLP), il n’a rien renié de son combat contre l’occupation.
Mais Marwan est considéré comme un « modéré » à cause de son soutien aux accords d’Oslo. Jeune dirigeant du Fatah, il doit sa notoriété à son comportement sur le terrain. Chez lui, pas d’attitudes hiérarchiques comme les affectionnent certains, pas de voitures rutilantes ni de costumes de prix. Mais le combat au quotidien pour améliorer la vie de ses compatriotes et tenter, avec eux, de construire un avenir. Au point qu’après le déclenchement de la seconde Intifada, en septembre 2000, Marwan Barghouti devient l’une des figures de la révolte.
En décembre, nous l’avions rencontré à Ramallah. Il expliquait alors à l’Humanité : « Nous devons être très patients et prouver à la communauté internationale que les Palestiniens sont les victimes de la politique israélienne et de l’occupation. Nous devons donner une chance pour calmer la situation. Nous devons éviter toute attaque en Israël même. Notre stratégie au Fatah et au sein des tanzim (les groupes armés – NDLR) est de concentrer nos activités dans les territoires occupés. Nous n’avons pas adopté la stratégie qui consiste à attaquer les Israéliens à l’intérieur d’Israël. » Une orientation difficile à combattre pour Tel-Aviv, qui accuse Marwan Barghouti d’être l’un des instigateurs des attentats qui ont ensanglanté Israël les mois suivants.
En janvier 2006, alors qu’il est emprisonné, il explique à la chaîne qatarie : « Nous devons nous attacher à la résistance », et précise aussitôt : « On ne peut pas mener des actes répréhensibles sous couvert de résistance, elle doit être innocente de toute violence contre les propriétés des citoyens, et l’arme qui agresse ou menace un citoyen n’est pas une arme de résistance » 1 (1). Étant entendu que les colons et les soldats israéliens qui agissent dans les territoires occupés n’entrent pas dans cette catégorie.
Le prisonnier qui pourrait détenir la clé
Recherché par les Israéliens, il entre dans la clandestinité au mois d’août 2001. Ce qui ne l’empêche pas de se montrer de nouveau dans les rues de Ramallah. Ce même mois, à l’occasion de l’enterrement d’un jeune Palestinien tué par l’armée d’occupation, il confiera à l’Humanité : « Nous sommes prêts à faire la paix avec l’État israélien sur la base d’un retrait total des occupants, donc y compris les colons. L’escalade de la violence provient des Israéliens. Nous sommes les victimes de leurs attaques chaque jour. (…) Je suis venu dans ce cimetière plus de vingt-trois fois depuis le début de l’intifada. Vous pouvez imaginer le sentiment qui gagne les Palestiniens face à ce nombre de tués et de blessés. »
Depuis sa prison, en mai 2006, il est à l’initiative de ce qu’on appelle le « Document des prisonniers », approuvé par les dirigeants emprisonnés du Hamas, du FPLP, du Jihad islamique palestinien et du FDLP. Ce texte propose une base sur laquelle un gouvernement de coalition devrait être formé pour sortir de l’impasse qui a suivi la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006.
Il appelle aussi à la négociation avec Israël dans le cadre du processus de paix. Marwan s’impose comme seul capable de réaliser l’unité des organisations palestiniennes, mais son incarcération est un frein. Les autorités israéliennes l’ont bien compris.
Vingt après, la popularité de Marwan Barghouti ne s’est pas émoussée. Selon un sondage réalisé au début de l’été, il serait en tête de l’élection présidentielle quel que soit le candidat face à lui, y compris le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh. Aujourd’hui, Marwan Barghouti représente un espoir que les Israéliens maintiennent en cage et qu’il faut libérer. Parce que, comme il aime à le répéter, « le dernier jour de l’occupation sera le premier jour de la paix ».
- Des textes à retrouver dans son ouvrage la Promesse. Écrits de prison 2002-2009. Éditions Arcane 17. ↩︎
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