Vers un « Schengen militaire » pour préparer un conflit avec la Russie ?

L’Allemagne, la Pologne et les Pays-Bas ont acté la création d’un « corridor de transport militaire ». Moscou envisage des « mesures de rétorsion ».

Des trains transportant des véhicules blindés de combat français et des chars Leclerc à Voila, dans le centre de la Roumanie, mercredi 16 novembre 2022.
Jerome Salles/AP/SIPA

 

D’un côté, le rétablissement des contrôles aux frontières, soit des États européens qui se replient sur eux-mêmes et ébranlent l’espace Schengen pour contrôler les flux de migrants. De l’autre, un espace qui s’ouvre à la libre circulation des armes. Le 31 janvier, la Pologne, l’Allemagne et les Pays-Bas ont entériné à Bruxelles, en marge d’une réunion des ministres européens de la Défense, la création d’un « corridor de transport militaire », première étape vers un « Schengen militaire ».

Le projet, qui vise à s’affranchir des barrières administratives pour le déplacement de troupes, de matériel et de fournitures depuis les ports en eau profonde de la mer du Nord, n’est pas une idée neuve. Élaboré en concertation entre l’Otan et la Commission européenne pour renforcer l’Alliance sur son flanc est face à la Russie, cet espace affranchi de contrôles pourrait s’étendre à d’autres pays du bloc communautaire.

En ligne de mire, éviter qu’une nouvelle brouille diplomatique n’émerge, comme ce fut le cas fin 2022, alors que la France voyait ses chars Leclerc en route vers la Roumanie bloqués par l’Allemagne du fait d’une charge trop lourde pour les porte-chars. Résultat, la France avait dû se rabattre sur le transport par voie ferrée.

« L’un des principaux enseignements tirés de la livraison d’armes et d’équipements militaires à l’Ukraine pour lutter contre l’invasion russe est que chaque seconde compte. La mobilité militaire rapide est cruciale pour répondre aux crises qui émergent à nos frontières et au-delà », justifiait, dans la foulée, le vice-président de la Commission européenne, Josep Borrell.

Des préparations en vue d’un affrontement avec la Russie

Le mois dernier, une note confidentielle de l’armée allemande, dévoilée par le quotidien Bild, révélait que Berlin se préparait sérieusement à une attaque russe sur le flanc oriental de l’Alliance atlantique qui pourrait générer un conflit global (lire ci-contre).

En première ligne, le chef du commandement logistique de l’Otan, le lieutenant général Alexander Sollfrank, qui ne souhaite plus s’embarrasser de « bureaucratie » : « Seule une facilitation efficace permet l’envoi de forces de renfort en nombre suffisant et en temps voulu ! » assénait-il fin octobre 2023, lors d’une réunion interarmées à Ulm (Allemagne), rappelant à Reuters : « Ce que nous ne faisons pas en temps de paix ne sera pas prêt en cas de crise ou de guerre. »

Depuis 2021, l’Alliance atlantique s’est dotée d’un commandement conjoint de soutien et d’habilitation (Jsec) censé rationaliser les mouvements de troupes et de matériel en Europe, en clair les préparatifs en vue d’un conflit. L’Otan, qui pousse à la manœuvre, omet que son extension vers l’est a toutefois contribué à tendre les relations avec la Russie, tout comme l’abandon progressif des traités antimissiles, sur les forces nucléaires intermédiaires et Ciel ouvert, qui permettait des vols de surveillance non armés pour renforcer la confiance mutuelle.

À cet égard, le « Schengen militaire » n’est pas du goût de Moscou, qui fait valoir par la voix du porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov : « Une fois de plus, c’est l’Otan qui se déplace constamment, avec son infrastructure, vers notre frontière. Cela ne peut que nous inquiéter. Et cela ne peut que conduire à des mesures de rétorsion pour assurer notre sécurité. »

L’alliance des gradés du continent ne le voit pas de cet œil, ces derniers étant persuadés que l’Europe s’est engourdie dans une vision faussée d’un espace en paix. L’invasion russe de l’Ukraine leur offre une opportunité historique. Jugé en état de « mort cérébrale » par le président Macron en 2019, l’Otan s’est renforcé grâce à l’intégration de la Finlande, qui partage une frontière avec la Russie, et quatre autres pays sont candidats : la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la Suède et l’Ukraine.

La nature a horreur du vide et l’Otan occupe l’espace laissé vacant par une Europe de la défense qui peine elle-même à se concrétiser, faute d’accord entre les Vingt-Sept. « Dans ce monde en brutalisation démocratique, économique, technologique et physique, avec la guerre, chacun s’accorde sur le fait que l’Union européenne est une nécessité. Les Estoniens reconnaissent aujourd’hui qu’une Europe de la défense n’entre pas en contradiction avec le parapluie américain », assure un diplomate européen à l’Humanité. Un « en même temps » stratégique qui permet toutefois à l’Alliance atlantique de consolider sa force sur le continent.


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