Un projet de décret sera examiné aujourd’hui par le Conseil supérieur de l’éducation (CSE). Le syndicat enseignant SNUipp-FSU et l’association les Éditeurs d’éducation dénoncent une dangereuse restriction de la liberté pédagogique.
C’était le 5 décembre 2023. Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, avec l’annonce de son « choc des savoirs », entendait « élever le niveau de notre école ». Parmi le flux des mesures promises, l’une d’elles aurait presque pu passer inaperçue : la labellisation des manuels scolaires, du CP à la terminale, d’ici à 2026. Gabriel Attal justifiait son choix par la publication, le jour même, des résultats de la dernière enquête internationale Pisa, la France figurant parmi les mauvais élèves. Depuis, devant l’ampleur de la tâche, le ministère a quelque peu rétropédalé.
Il indique qu’une procédure de labellisation sera bien mise en place dès la rentrée 2024, mais qu’elle ne concernera que les manuels de lecture et de mathématiques en CP, voire en CE1. C’est dans ce contexte que ce jeudi 8 février, un projet de décret « garantissant la conformité des manuels scolaires aux programmes et leur qualité pédagogique et didactique » doit être examiné par le Conseil supérieur de l’éducation – l’instance consultative placée sous la présidence du ministre de l’Éducation nationale. Il devra ensuite être voté au Conseil d’État.
De nombreux acteurs, dont le syndicat enseignant SNUipp et l’association les Éditeurs d’éducation, rappellent qu’une éventuelle labellisation irait à l’encontre d’une tradition républicaine instituée en 1880 (l’école républicaine a toujours fait le choix de la liberté des manuels) remise en cause une seule fois, en 1940, sous le gouvernement de Vichy.
Orienter les pratiques pédagogiques
Le gouvernement Macron l’assure : cela ne portera atteinte ni à la liberté éditoriale, ni à la liberté de choix des professeurs. Ce dont doutent les principaux intéressés. « Cette mesure n’est pas anodine, estime Guislaine David, cosecrétaire générale et porte-parole du SNUipp-FSU. Labelliser certains manuels scolaires et pas d’autres marque bien la volonté d’orienter les pratiques pédagogiques des enseignants. C’est inquiétant. »
D’autant que le gouvernement souligne vouloir financer uniquement les manuels labellisés, sous forme de commandes groupées ou faites par des municipalités. Le risque est alors grand de voir les municipalités refuser de prendre en charge l’achat d’outils pédagogiques qui n’auraient pas été labellisés.
« Si un manuel n’est pas choisi, l’éditeur va en titrer les conséquences : soit il l’écarte, soit il l’améliore. » Valérie Barthez, directrice de l’association les Éditeurs d’éducation
Surtout, pour Valérie Barthez, directrice de l’association les Éditeurs d’éducation, « labelliser est inutile. Le cercle vertueux existe déjà, notamment par le biais des enseignants ». Chaque année, après l’annonce des programmes par le ministère de l’Éducation nationale, l’éditeur conçoit et publie des manuels autour de ces programmes. Il les adresse ensuite sous forme d’exemplaires non vendus (des spécimens) à tous les enseignants d’un niveau et d’une discipline.
« À charge pour eux de choisir celui qui sera le mieux adapté au type d’enseignement et à l’hétérogénéité de la classe. Si un manuel n’est pas choisi, l’éditeur va en titrer les conséquences : soit il l’écarte, soit il l’améliore », poursuit Valérie Barthez, qui craint un appauvrissement de l’offre des manuels scolaires, avec pour conséquence « une uniformisation pas adaptée à la réalité et la diversité des classes ».
Une volonté idéologique
Au SNUipp, on voit ici une énième manœuvre politique, à grands coups de communication. Les élèves n’y arrivent pas ? Il ne faut pas aller chercher plus loin : c’est parce qu’ils n’ont pas de manuel. Certes, un tiers des classes de primaire ne possèdent pas d’ouvrages pour le CP et le CE1 en maths et en français – 60 % pour le CP. Mais « si les enseignants veulent des manuels, ils ne souhaitent pas pour autant qu’ils soient labellisés », assure Guislaine David.
La responsable syndicale le rappelle : les premiers manuels labellisés seront ceux de l’apprentissage de la lecture. Un fait loin d’être anodin. « Le dernier rapport sur la lecture était très orienté sur la méthode d’apprentissage syllabique. Il y a une volonté très claire d’imposer un seul type d’apprentissage, de faire décoder le plus rapidement les élèves, au détriment de la compréhension du texte. » Au SNUipp, comme pour un grand nombre de chercheurs, on en est convaincu : lire, c’est d’abord comprendre.
« Il y a là une volonté idéologique : quand on réduit à un minimum scolaire les objectifs, on ne s’appuie pas sur une culture commune large, mais on favorise un certain type de population et crée des inégalités scolaires. » Et Guislaine David n’y va pas par quatre chemins : « Imaginez demain, un pouvoir d’extrême droite en France. Imaginez alors le référentiel des manuels scolaires… »
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