Marine Le Pen et ses chats, Jordan Bardella et sa recette de pâtes, Marion Maréchal dans sa robe blanche : en moins de dix ans, l’extrême droite, quasi absente des magazines et émissions de divertissement, a réussi sa stratégie de « peopolisation » qui sert sa normalisation.
Verre de blanc, far aux pruneaux et éclats de rire. Dans son jardin, assise sur une chaise en osier, Marine Le Pen, tout sourire, raconte à Karine Le Marchand son amour pour les chats, sa vie en colocation à 50 ans passés, ses chagrins d’enfant et sa passion du jardinage en écoutant Sister Sledge (We are Family).
En 2016, puis en 2021, la candidate d’extrême droite montre à 3 millions de spectateurs une image sympathique, gaie, en évitant, à tout prix, de parler de politique. « C’est un tournant majeur pour le RN, estime Alexis Lévrier, spécialiste de l’histoire du journalisme. C’est le triomphe de la normalisation voulue par Marine Le Pen. »
À l’aube de la présidentielle, Marine Le Pen veut casser avec une image rigide, voire dangereuse. Elle fait le choix de mettre en avant sa vie privée et une image soignée de sa « personnalité ». En 2017, un tract du FN pastiche même un magazine féminin. À la manière de Femme actuelle ou Elle, des titres entourent sa photo : « Une femme de cœur. Derrière la femme politique, la mère, la sœur » ; « La femme de conviction. La voix des sans-voix, la voix du peuple »…
Paris Match, Closer, Gala…
Pour asseoir cette stratégie, Marine Le Pen a bénéficié de la complicité des rédactions, des émissions de divertissement, là où Jean-Marie Le Pen n’était pas en odeur de sainteté. Michel Drucker et Laurent Ruquier ont toujours refusé d’inviter le patron du FN sur leurs plateaux. Puis, est venu le temps de la banalisation, des renoncements.
« Thierry Ardisson a reçu Marine Le Pen plusieurs fois, tandis que Lagardère, qui avec Paris Match a longtemps refusé de montrer la vie privée des représentants de l’extrême droite, a fini par céder après le début de son rachat par Bolloré en avril 2020 », explique Alexis Lévrier.
Quatre mois plus tard, Paris Match publie un portrait du « bon vivant, fin gourmet » Jordan Bardella. Puis, en août 2023, le magazine hebdomadaire récidive avec la recette des « pâtes à l’italienne » décrite par le même président du RN, par ailleurs familier de C8 et du Touche pas à mon poste de Cyril Hanouna.
Au-delà de Bolloré, la dépolitisation et la peopolisation de l’extrême droite se diffusent partout. Du mariage de Marion Maréchal avec le néofasciste Vincenzo Sofo, Closer et Gala en ont donné les menus détails, prenant à la légère leur projet politique, en usant de jeux de mots autour de Mussolini.
Le service public n’est pas exempt, comme lorsqu’en 2022, France Inter a inauguré son concept d’interview « première fois » avec Marine Le Pen. Une vidéo aux réponses courtes à des questions comme « Premier chat ? », « Premier fou rire de cette campagne ? »
Ces renoncements sont dangereux, particulièrement « dans cette Ve République, avec un pouvoir fort, personnel », explique Alexis Lévrier. L’auteur de Jupiter et Mercure (les Petits Matins, 2021) explique que « dans ce contexte, la peopolisation des politiques est cruciale. Elle permet d’être vu comme un leader qui a une vie, ses failles, des passions, et peut susciter des empathies, etc. Le faire avec l’extrême droite, c’est mettre de côté le fond de son projet, et l’aider à la rendre humaine, positive ».
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