Depuis lundi 10 juin, au lendemain de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale et de nouvelles élections législatives, des recteurs, rectrices, directrices et directeurs académiques ont « rappelé » leur devoir de réserve aux fonctionnaires que sont les personnels de l’éducation nationale. Prune Helfter-Noah, porte-parole du collectif Nos Services Publics, rappelle que si les fonctionnaires sont soumis au devoir de réserve, ils et elles jouissent de la liberté d’opinion – au même titre que leurs concitoyens. Elle répond aux questions du Café pédagogique.

Dans l’académie de Rennes, le recteur a envoyé un mail à tous les personnels soutenant que les « fonctionnaires de l’État sont tenus de s’abstenir de participer à toute manifestation ou cérémonie publique de nature à présenter un caractère électoral ». Les professeur·es et leurs collègues n’auraient donc pas le droit de manifester, de distribuer des tracts, d’assister à des assemblées générales ? Interpelé sur X (anciennement Twitter) par la porte-parole de la FSU-SNuipp, Guislaine David, le recteur a reconnu une erreur, « vérification faite de la circulaire qui à destination des personnels d’encadrement du second degré et des corps d’inspection qui sont amenés à participer à des manifestations publiques et à des cérémonies officielles sur la période. Un erratum est envoyé ». Mais cet envoi est loin d’être un cas isolé. Le SUI-FSU, syndicat d’inspecteurs et inspectrices, évoque aussi des « injonctions » qui se « multiplient » demandant aux inspecteurs et inspectrices de « s’abstenir de participer à toute manifestation électorale ou d’exiger qu’ils et elles transmettent une telle consigne aux personnels ».

Plusieurs recteurs ou Dasen ont rappelé aux équipes pédagogiques leur devoir de réserve en cette période électorale. Ils estiment que nul fonctionnaire ne peut prendre part à des mobilisations d’ordre de politique. Est-ce vrai ?

Le principe légal qui s’applique aux fonctionnaires est la liberté d’opinion. Ce principe est consacré par l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983. Le devoir de réserve est une construction jurisprudentielle qui est venue encadrer, dans une certaine mesure, l’expression des fonctionnaires. Il a pour objectif de préserver la neutralité du service public en évitant les prises de parole intempestives, inconsidérées, trop virulentes ou partiales. Toutefois, les fonctionnaires conservent le droit de se syndiquer, de militer dans un parti politique, de participer à une manifestation non interdite, et donc également de distribuer des tracts, de prendre la parole dans des réunions publiques, etc. Les fonctionnaires sont des agents du service public, soumis dès lors au respect du devoir de réserve. Mais ils sont également des citoyens qui peuvent – et, dans certaines circonstances, doivent – s’engager pour défendre, justement, les valeurs du service public qui fondent notre société.

Et pour les personnels d’encadrement – chef·fe d’établissement, inspecteurs, inspectrices… ?

Le devoir de réserve est interprété de manière plus stricte pour certaines catégories de fonctionnaires – magistrats, militaires…- pour qui la loi a fixé un cadre plus rigide en raison des fonctions régaliennes qu’ils occupent. Par ailleurs, plus on s’élève dans la hiérarchie, plus l’équilibre entre liberté d’opinion et devoir de réserve pèse du côté du devoir de réserve. Une directrice académique ne se verra pas accorder la même liberté de parole qu’un enseignant en lycée, car, du fait de sa fonction, ses propos engageront plus directement l’image du service public dans son ensemble.

Mais alors qu’est-ce donc que ce devoir de réserve ?

Le devoir de réserve reste un concept mouvant, soumis à interprétation et in fine au choix de la hiérarchie de sanctionner ou pas l’expression publique d’un fonctionnaire. De ce fait, et c’est bien toute l’ambiguïté de cette notion, une prise de position qui validerait les choix de la hiérarchie directe et, au-delà, de l’exécutif, ne serait probablement pas regardée comme enfreignant le devoir de réserve alors qu’une expression publique qui remettrait en cause les orientations générales d’une politique menée par le gouvernement risquerait d’être considérée comme contraire au devoir de réserve.

Si l’extrême droite prend le pouvoir, qu’est-ce que cela signifie pour les fonctionnaires ?

La conséquence la plus probable et la plus immédiate d’une prise de pouvoir par l’extrême droite serait la fin de cet équilibre instable et évolutif entre liberté d’opinion et devoir de réserve pour les fonctionnaires. Or la vitalité d’un régime démocratique nécessite la protection des droits et libertés des citoyens, au nombre desquels se trouvent les fonctionnaires, garants du respect des règles et valeurs du service public.

Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda