In La brochure
Ce jour-là, le maire de Montauban, Hubert Gouze refuse, la salle du Marché-Gare à Jean-Marie Le Pen et une manifestation est décidée pour appuyer cette décision. Coïncidence du calendrier, cette manifestation aura lieu après des profanations de tombes juives au cimetière de Carpentras (9 mai 1990). Le refus d’Hubert Gouze n’a pas été immédiat mais une fois le refus affiché, le rassemblement fut très bien organisé et la manifestation est entrée dans l’histoire. Le FN tentera le lendemain une contre-manifestation mais elle fut très limitée. On le voit avec la banderole et le discours, la stratégie fut offensive et très unitaire.
P.S. Photo Maurice Baux
Il n’y a pas écrit : « Barrage à l’extrême-droite » mais « Pour l’égalité, Pour la démocratie ». Et l’allocution de Jean Vignoboul fut la seule. Elle renvoie à des questions d’aujourd’hui et des arguments présents. Pour ma part, dès ce moment là, j’ai refusé le raccourci FN-Nazisme. Sur la manifestation j’ai diffusé un tract qui racontait l’assassinat à Moissac en 1935 d’Elie Cayla par l’extrême-droite. Fait largement oublié auquel j’ai par la suite consacré un livre. Un point d’histoire pour montrer que nous avions changé d’histoire. Ce changement n’est pas perçu par Jean Vignoboul, ancien Résistant tourné vers le passé comme toute la gauche d’hier et d’aujourd’hui. La preuve ? Malgré d’immense mobilisations ce jour là et d’autres, les leçons n’ont jamais été tirées de leur échec répété. J-P Damaggio
Discours de Jean Vignoboul
Vous avez répondu massivement à notre appel, montrant par là, à quel point vous avez conscience des impérieuses exigences du moment. Nous vous en remercions. Nous, c’est-à-dire, le Collectif MONTAUBAN EGALITE, formé par la réunion de 51 associations, organisations et partis. Leur nombre même exprime leur extrême diversité, cette diversité plus que jamais nécessaire devant la complexité des temps présents et les bouleversements de tous ordres qui, en cette fin de siècle, multiplient les remises en question.
La diversité n’est pas concevable sans la liberté d’expression, fondamentale dans toute société démocratique. Sur ce point nous sommes, unanimes et sans réserve, décidés à la défendre. Et c’est pour la défendre que nous sommes là aujourd’hui. Pourtant nous approuvons le maire de notre ville, M. Hubert GOUZE et sa municipalité d’avoir refusé une salle municipale au Front National et à LE PEN. Ce refus a la valeur d’une mise en garde.
On ne peut défendre la démocratie en faisant des concessions à ceux qui veulent la détruire. L’Histoire est éloquente à cet égard : il n’est que de se souvenir comment en utilisant les faiblesses de la République de Weimar, Hitler et le parti nazi parvinrent au pouvoir en 1933.
Oui le Front National est un parti dangereux pour la démocratie. Il multiplie les campagnes d’excitation à la haine raciale, en particulier en désignant les immigrés comme des fauteurs d’insécurité et de violence. Ce faisant il commet un double attentat contre notre société : il tente de la cloisonner en y dressant des murs d’incompréhension et de méfiance, et il suscite des crimes racistes qui, à leur tour, dégradent le climat général. Il n’est que temps d’arrêter ce cycle redoutable.
Seulement il ne suffit pas de prendre des mesures pour stopper l’immigration clandestine et nous enfermer dans des frontières dont l’étanchéité sera toujours relative, il faut, et c’est l’essentiel, mener une véritable politique d’intégration des communautés qui résident légalement dans notre pays.
Le vrai problème, à cet égard, est moins celui de l’immigration que celui des inégalités grandissantes avec leur cortège de marginalisations, de chômage, de mal-vivre et de misère. Agir sur la réduction de ces inégalités dans tous les domaines (accès à l’école, au travail, au logement, à la citoyenneté, aux prestations sociales et aux soins), voilà une partie de la réponse au malaise de la société qui nourrit la démagogie d’extrême-droite. Cette démagogie n’hésite pas davantage à utiliser l’antisémitisme, monstre sans cesse renaissant dans notre société. A la fin du siècle, il inspirait les campagnes haineuses des cercles ultranationalistes et de la Ligue dite patriote lors de l’affaire DREYFUS. Il devait conduire les nazis au génocide que l’on sait. Mais cela ne gène pas LE PEN et ses amis.
Du calembour, au sujet des fours crématoires, au « détail » des camps d’extermination, ils tentent de troubler la mémoire de notre peuple et de jeter le doute sur la réalité des atrocités commises au nom de la race pure. Or les mots ne sont pas innocents, ils conduisent aux actes et à quels actes L’odieuse profanation de sépultures au cimetière israélite de Carpentras est un signal d’alarme que nous ne pouvons pas ne pas entendre. La première moitié de ce siècle nous a appris la logique implacable du verbe à la pratique. Cela doit nous amener à réfléchir sur les devoirs d’une société démocratique relativement à la sécurité et au respect de tous ses membres. En particulier les moyens de communication – presse-radio-télévision – dont la responsabilité grandit avec la puissance, doivent faire preuve, dans leur mission légitime d’information, d’une plus grande rigueur à l’égard de la propagation des thèmes d’exclusion et de haine, ainsi que des tentatives de falsification de l’Histoire.
A Lyon, pourtant haut-lieu de la Résistance, le révisionnisme pro hitlérien en arrive à nier l’existence des chambres à gaz, suscitant la protestation indignée du maire Michel NOIR.
C’est à Lyon aussi que LE PEN ose inviter l’ancien Waffen SS SCHÔNHUBER. Un ancien SS, certes, mais aussi et surtout le chef de l’extrême droite allemande revancharde et pangermaniste, qui annonce ouvertement son projet du retour aux frontières du grand Reich hitlérien de 1938. Des néofascistes italiens à ceux de l’Allemagne, les amis européens du Front National nous avertissent clairement du danger.
Notre devoir est donc de faire face et de nous mobiliser pour faire échec à l’entreprise de subversion. Mais, pour sortir victorieuse de l’épreuve, la démocratie ne saurait s’accommoder de concessions à l’affairisme, d’amnisties aux intentions équivoques et, en tout cas, aux effets délétères, qui sapent les bases de la confiance populaire pour le plus grand profit de ses ennemis.
Pourtant la France ne saurait marcher à contre-sens de l’Histoire à l’heure où la vague démocratique déferle en Europe de l’Est, remporte des succès indéniables en Amérique latine et s’étend jusqu’à l’Afrique du Sud où l’apartheid commence à trembler sur ses bases. Comment pourrait-il en être autrement ?
A l’époque où les nuages radioactifs n’ont pas besoin d’autorisation pour transgresser les frontières, les replis nationalistes et les chauvinistes de tous bords sont hors de raison et doivent céder la place au besoin universel de nouvelles solidarités.
De même qu’il serait illusoire de considérer les mesures protectionnistes en matière d’immigration comme une solution satisfaisante et définitive, alors qu’elles ne sont tout au plus qu’un palliatif fragile, tant que les inégalités dans la répartition des richesses continueront de s’accroitre au détriment de l’immense majorité de l’humanité, plongeant le Tiers-Monde dans un dénuement sans espoir.
Voilà ce que nous sommes venus exprimer par notre manifestation, dans notre unité et dans notre diversité.
Nous allons maintenant marcher dans la ville.
Nous nous arrêterons devant la plaque des Martyrs pour y déposer une gerbe, à la mémoire des patriotes pendus par les nazis en juillet 1944, qui sont morts pour une cause qui est toujours la nôtre.
Nous ferons halte devant l’Hôtel de Ville, dans un lointain passé berceau de la démocratie et qui en demeure le lien hautement symbolique.
Nous allons marcher dans la ville, accompagnés par la foule invisible mais toujours présente de ceux qui, il y a deux siècles, exprimèrent si bien leur idéal de liberté, d’égalité et de fraternité dans la Déclaration des Droits l’Homme et du Citoyen, cet idéal qui est et qui restera le ressort de nos combats d’aujourd’hui et de demain.
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