Compagnon de route du PCF, biberonné par les anars Siné et Cavanna, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo était un grand ami de notre journal, avec qui nous menions des combats communs.
Personne – ou presque – ne connaît Stéphane Charbonnier. Mais, depuis dix ans, tout le monde – ou presque – connaît Charb. Le dessinateur était en haut de la liste des terroristes islamistes qui ont fait un carnage dans la rédaction qu’il dirigeait, Charlie Hebdo. « Balles tragiques à la rédac : huit morts », aurait-il eu sans doute la force de plaisanter, s’il s’en était tiré. Car Charb était de ceux que rien ne faisait reculer. « Il avait décidé de ne pas se soumettre à la peur, à l’autocensure, à la loi du plus con », écrivait-on dans l’Humanité au lendemain de sa mort.
Il était « des nôtres », soulignait Patrick Apel-Muller, alors directeur de notre rédaction. « Un long compagnonnage s’est noué au fil des années entre l’équipe de Charlie Hebdo et l’Humanité. Son chef d’orchestre était Charb, coco insolent et professionnel rigoureux. »
L’« amendement Charb »
L’un était son hebdo, l’autre son quotidien : « Le journal qui, quand j’arrête de faire le con dans Charlie, traduit le mieux mes idées. » Car le compagnon de route, communiste sans carte « scrupuleux », doublait le « dessinateur sans bride », cultivé et rigoureux.
Depuis des années, même encadré de deux policiers qui assuraient sa sécurité en déplacement, il donnait de « discrets coups de main à son quotidien ». En signant la une contre la réforme des retraites Fillon-Sarkozy en 2010 ; en participant à sa rédaction, entouré de Jul, Honoré, Wolinski, Cabu, à la veille de la Fête de l’Humanité 2011 ; ou seul, en rédacteur en chef d’un jour, en 2012.
Il avait même porté avec Pierre Laurent, ex-directeur des rédactions de l’Humanité et de l’Humanité dimanche devenu sénateur PCF, l’idée d’une réduction d’impôts pour les dons aux entreprises de presse, qui bénéficierait aux deux titres. Repoussé par la droite avant sa mort, le texte avait été adopté après le drame, popularisé sous le nom d’« amendement Charb ».
Quelques années auparavant, il était venu conseiller nos jeunes correspondants de « Libres échanges », dessinateurs en herbe. Et s’il prétendait, dans sa chronique hebdomadaire, « n’aimer personne », il ne manquait jamais de transmettre. Attablé, il sortait son équerre pour tracer ses cases au cordeau avant d’y installer ses personnages à gros nez : « Toute l’humanité a chez lui la même triste gueule de petits vieux ahuris-soucieux, qu’il s’agisse de vieux cons, de jouvencelles à consommer sur place ou de bébés à foutre à l’eau », disait Cavanna 1. Le vieil anar qui l’avait, avec Siné, pris sous son aile à son arrivée au journal lui a transmis ce goût : comme eux, il prenait la jeunesse au sérieux.
Il faut dire que Charb avait été repéré jeune. Natif de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), c’est à Pontoise, entre un père aux PTT et une mère enseignante, qu’il aiguise ses crayons de couleur. Il recopie alors Tintin, Picsou, Lucky Luke et découvre Cabu dans le Club Dorothée en 1978. Alors qu’il sévit dans divers journaux lycéens (Cause toujours, Passe ton bac d’abord, Canicule), Michel Polac l’invite sur le plateau de Droit de réponse, où il rencontre son idole. Loin d’imaginer qu’il s’assiéra un jour à la même table de travail. En attendant, Polac l’engage pour dessiner en direct dans son émission. Il faut bien payer ses études de publicité, vite abandonnées au profit de sa passion.
« Charlie c’est ma raison de vivre »
En 1991, il intègre la Grosse Bertha, journal satirique écolo. Il y travaillera avec Cabu, mais aussi Philippe Val, avant que ce dernier ne reprenne Charlie Hebdo avec Cavanna et Cabu, emmenant avec eux le jeune Charb. Il en deviendra un des piliers, jusqu’au poste de rédacteur en chef puis directeur de la publication en 2009, après le départ de Val. « Charlie c’est ma raison de vivre », avait-il coutume de dire.
En 2011, après la publication des caricatures de Mahomet, le journal avait brûlé, cible, déjà, de l’obscurantisme. Mais lui n’a jamais cédé à la haine facile : « On a eu un procès avec trois associations musulmanes, mais on oublie de dire qu’on a eu treize procès avec l’extrême droite catholique. » Urticant mais toujours précis.
« Derrière les hublots de ses lunettes, sa vision était nette, pertinente, incisive », rappelle son ami Babouse2. « Un mec qui avait de l’épaisseur, des convictions, profondément en éveil », ajoutait Franck Vandecasteele, le chanteur de Marcel et son orchestre, pour qui il avait réalisé la couverture de l’album Bon Chic bon genre en 2009.
Car Charb aimait la musique, et sous ses airs doux avait choisi les Dead Kennedys ou Rammstein comme bande-son de sa vie. Même s’il était attaché (pour de rire ?) à un autre folklore musical, ne faisait-il pas du rameur en écoutant les « chants de l’Armée rouge chinoise », plaisante Babouse ?
- Cavanna raconte Cavanna, hors-série de Charlie Hebdo, novembre 2008. ↩︎
- Dans 120 ans, 120 unes, 120 regards, édité par l’Humanité. ↩︎
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