Le foncier hospitalier, l’arme des groupes de cliniques privées pour faire main basse sur l’argent public destiné à financer la santé

Dans son rapport sur la spéculation immobilière au sein du système de soins, la CFDT alerte sur l’accaparement du patrimoine immobilier par les grands groupes de cliniques et hôpitaux privés. Décryptage d’une opération de captation de l’argent public destiné à financer les soins de santé.

Qui profite réellement de l’argent public alloué à la santé ? Le gouvernement ne ferait-il pas mieux de reprendre les rênes ? Telles sont questions soulevées par la fédération CFDT Santé-sociaux dans son dernier rapport. Corédigé par le CICTAR (Centre for International Corporate Tax Accountability Research), le dossier alerte sur la spéculation immobilière qui mine le système de soin français.

Ainsi, le cas du groupe Ramsay Santé, un des plus gros exploitants d’hôpitaux et de cliniques privés en Europe, en dit long quant à l’avenir du système de santé. « Ramsay Santé tire ainsi un profit substantiel de son patrimoine immobilier », explique Ève Rescanières, secrétaire générale de la CFDT Santé-sociaux. Pour cause : le géant du secteur ne pèse pas moins de 488 établissements, 38 000 salariés en Europe et 85 % de revenus provenant de financements publics.

11 millions d’euros de loyer annuel

Le rapport met en lumière l’impact de cette financiarisation du secteur. L’exploitation des hôpitaux et cliniques privés devient une véritable marchandise, dans laquelle les murs des établissements jouent les lingots d’or. Ainsi, Ramsay Santé s’est notamment illustré dans l’établissement de baux de type « triple net » : les locataires, en l’occurrence les hôpitaux, doivent assumer tous les frais d’entretien et d’exploitation des bâtiments. « Il est intenable de voir de tels mécanismes possibles », déplore la cédétiste.

L’hôpital privé d’Antony (HPA), dans les Hauts-de-Seine, en fait un bon exemple. Pour la responsable syndicale, « l’établissement verse chaque année plus de 11 millions d’euros de loyer » à la société HPA 3 SAS, filiale directe de HPA et détenue par le groupe Ramsay.

Ce qui permet à l’hôpital privé d’Antony de se mettre en situation financière tendue (aucun dividende versé depuis 2019), quand HPA 3 enregistre des marges bénéficiaires exceptionnelles, atteignant jusqu’à 82 % du chiffre d’affaires, reversées à la société mère.

Opacité totale

Ces logiques sont masquées par une opacité totale. Les informations sur les loyers et profits générés par ces structures sont « difficilement accessibles », souligne le rapport. En effet, comme la majorité des établissements privés, Ramsay Santé ne divulgue pas les montants des loyers qu’elle collecte auprès à ses sociétés affiliées, ni les profits réalisés grâce à cette stratégie.

« Ce manque de transparence profite aux grands investisseurs du secteur », précise Mike Lewis, analyste financier du CICTAR, dont les marges bénéficiaires peuvent atteindre des niveaux vertigineux « compris entre 65 % et 134 % des revenus locatifs », selon les derniers chiffres retranscrits dans le rapport. Une partie de ces revenus est ensuite redistribuée aux actionnaires sous forme de dividendes, avec des taux d’imposition remarquablement faibles, proches de 0,3 % pour certains fonds, et allant jusqu’à 4,3 % pour les moins chanceux…

Ces structures immobilières sont, selon la CFDT, l’élément clé du problème. En l’absence de véritables régulations, les grandes entreprises du secteur de la santé n’hésitent pas à opter pour des stratégies d’acquisition et de spéculation à répétition. Le rapport révèle que l’acquisition successive de cliniques et d’hôpitaux est devenue une méthode courante pour augmenter leur envergure et mieux capter les financements publics.

Ces rachats sont rendus possibles par l’entrée en scène des grands fonds d’investissement internationaux, qui, grâce à des montages financiers complexes, transfèrent des profits vers des structures à l’étranger ou dans des sociétés peu soumises à la fiscalité française. Résultat : dans un contexte où les besoins de financement sont importants, l’argent public destiné à financer les soins de santé est détourné au profit d’investisseurs privés, loin des préoccupations de service public.

Trois alternatives pour sortir de la financiarisation

Face à cette situation, la CFDT Santé-sociaux appelle à une reprise en main de la situation par l’État. Le syndicat propose trois pistes de réforme pour endiguer la financiarisation de la santé. La première est la fin des régimes fiscaux avantageux dont bénéficient les fonds d’investissement privés dans l’immobilier de santé.

La seconde préconise que l’État prenne en main la gestion des établissements de santé, en devenant propriétaire des infrastructures et en assurant un contrôle direct sur leur gestion financière.

Enfin, la fédération cédétiste exige une transparence totale. C’est le cas en Norvège et cela permettrait de limiter les dérives financières et de garantir une meilleure répartition des fonds publics.


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