Après l’éviction du PDG d’EDF, les gros industriels maintiennent la pression sur l’Etat

Une semaine après avoir obtenu l’éviction de Luc Rémont à la tête de l’opérateur historique, les patrons des grandes sociétés énergivores poursuivent leur lobbying auprès de l’État pour contraindre EDF à leur fournir du courant à prix bas.

 

Les grands industriels ne savent toujours pas comment ils s’alimenteront en électricité nucléaire à compter du 1er janvier 2026. Le gouvernement, qui a brutalement mis le patron d’EDF, Luc Rémont, à la porte après seulement deux ans et demi en poste et à trois mois de la fin de son mandat, appelle les directions des grandes sociétés électro-intensives (chimie, ciment, acier, etc.) à poursuivre le dialogue pour trouver un accord d’ici l’été.

Pendant que les patrons de ces grosses entreprises et le dirigeant renvoyé s’affrontent par médias interposés, Bernard Fontana, le futur nouveau PDG proposé par l’Élysée quelques minutes seulement après le renvoi de son prédécesseur, hérite donc du dossier brûlant des tarifs de l’électricité pour les sites industriels énergivores pour les quinze prochaines années.

La fin programmée au 31 décembre 2025 de l’Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique) – un dispositif qui imposait depuis treize ans à EDF de brader son électricité aux fournisseurs alternatifs à 42 euros le mégawattheure – approche et l’étau se resserre donc pour les différentes parties. Les usines qui dépendent encore de ces prix cassés devront-elles payer le prix fort à compter de 2026 ?

Le blocage persiste

C’est tout l’objet du bras de fer commercial qui dure depuis que l’État a annoncé, en novembre 2023, un accord permettant aux industriels de signer avec EDF des contrats de long terme, dits d’allocation de production nucléaire (CAPN), en gré à gré. Ainsi, les plus gloutons en électricité bénéficieraient d’un tarif régulé, courant jusqu’à quinze ans, en échange d’une participation au financement du parc nucléaire existant et à venir, et donc au risque industriel, avec EDF.

Car il faut bien que EDF finance le programme de construction de six EPR2 annoncé par Emmanuel Macron en grande pompe en 2022. En juillet, la Cour des comptes estimait le coût du chantier à plus de 100 milliards d’euros. Pourtant, un an et demi après le début des négociations, deux entreprises seulement auraient souscrit des contrats à long terme. Ni EDF ni les grands sites industriels français ne disposent de visibilité suffisante pour leurs investissements. Le blocage persiste.

Le directeur des affaires publiques de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (Uniden), qui représente 70 % de la consommation d’énergie de l’industrie en France, Fabrice Alexandre, rappelle auprès de L’Humanité que les secteurs représentés tels que l’aluminium ou l’acier ne sont pas des « price makers » (ne dictent pas les prix) et dépendent du cours des matières à l’international, rendant les surcoûts impossibles. Mais, de son côté, EDF refuse d’accorder des tarifs en dessous de son coût de production, estimé selon la Commission de régulation de l’énergie à 60,70 euros le mégawattheure sur la période 2026-2030.

Mise aux enchères des contrats

Faute de signature, Luc Rémont a annoncé début mars vouloir mettre aux enchères l’attribution des contrats de long terme CAPN pour d’autres gros consommateurs, à l’instar de data centers ou de sociétés européennes, déclenchant les foudres des grands industriels, inquiets à l’idée de ne plus bénéficier du très avantageux modèle de l’Arenh.

Ni une ni deux, les adhérents à l’Uniden, notamment, ont fait le tour des ministères et des plateaux télé pour dénoncer la stratégie « antipatriotique » de l’électricien pris entre deux feux. Le 20 mars, Benoit Bazin, patron de Saint-Gobain, s’est vivement attaqué à Luc Rémont sur BFM Business en déclarant qu’il aurait fait « un bras d’honneur à l’industrie française ».

Le lendemain, celui-ci était convoqué à Bercy sans préavis en vue de se faire limoger pour être remplacé par l’actuel directeur général de Framatome, filiale d’EDF fournissant notamment les cuves des réacteurs nucléaires EPR, une fois la décision approuvée par le Sénat et l’Assemblée nationale. Une annonce qui intervient quatre jours seulement après qu’Emmanuel Macron a convoqué un quatrième conseil de politique nucléaire (CPN), pour un point d’étape sur l’avancement du chantier des six EPR2.

Luc Rémont, lui, s’est défendu en début de semaine dans les colonnes du Figaro : « EDF est le premier investisseur industriel en France, s’est toujours battu pour l’industrie française, et le fera toujours. Mais une entreprise publique n’est pas là pour faire des subventions à un petit club privé. EDF est là pour rendre service aux Français dans des conditions d’équité. »

« Les industriels s’indignent de cette mise aux enchères, mais ils refusent de négocier », souligne, perplexe, le directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie, Jacques Percebois. Si les tensions se sont intensifiées entre le dirigeant d’EDF et l’Élysée ces derniers mois sur fonds de désaccords stratégiques quant au financement du nouveau nucléaire, les industriels ne se seront pas arraché les cheveux bien longtemps. En effet, « ils sont parvenus à avoir la peau de Luc Rémont », constate Gwénaël Plagne, secrétaire du CSE à la FNME CGT. Pour lui, « les électro-intensifs ont ainsi réussi à faire tordre le bras d’EDF par l’État, en dépit du service public ».

Lancement d’une mission d’information parlementaire

Pour le député de la France Insoumise Maxime Laisney, qui était rapporteur pour avis de la commission des Affaires économiques sur le volet énergie du budget 2025, « Luc Rémont a été victime des caprices de Jupiter ». Le parlementaire, qui prendra part à une mission d’information sur les prix de l’électricité et ses conséquences sur l’industrie à partir d’avril, est loin de défendre le marché européen.

Il constate néanmoins « qu’on lui a confié une mission impossible. À savoir : une électricité pas chère pour les industriels, tout en relançant le nucléaire et en étant à la tête d’une société anonyme dans le cadre d’un marché européen. Le problème, ce n’est pas le PDG, c’est l’absence de méthode du gouvernement ». Jacques Percebois abonde : « Le problème, c’est que L’État veut concilier « Soyez rentables, récupérez des marges » mais dans le même temps « Il faut leur faire des prix d’ami ». »

Gwénaël Plagne s’inquiète du rôle du futur PDG, Bernard Fontana, polytechnicien et spécialiste de l’industrie lourde. « Doit-on s’attendre à ce qu’il s’incline devant les grands industriels, même si ces cadeaux se répercuteront à terme sur les usagers et les collectivités locales ? »


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