Depuis l’hôtel de Brienne, le chef de l’État a confirmé, dimanche, des hausses budgétaires militaires historiques qui atteindront les 64 milliards d’euros en 2027. Au prétexte de « résister en cas de conflit », le président français s’engouffre dans une dangereuse escalade aux conséquences funestes.

© Ludovic MARIN / AFP
Sur l’avenue des Champs-Élysées, les militaires français défilent en ce lundi 14 Juillet. Infanterie, cavalerie, engins blindés, aviation, tout y passe durant deux heures. Au total, 7 000 femmes et hommes sont mobilisés pour mettre en valeur la « crédibilité opérationnelle », sous les yeux du président français. Depuis plusieurs semaines, Emmanuel Macron a endossé le costume de chef des armées. À quand le treillis pour celui qui s’imagine désormais en chef de guerre ?
Un défilé organisé comme une « vraie opération militaire », selon le gouverneur militaire de Paris, le général Loïc Mizon. Une vitrine pour préparer les esprits à l’engrenage et à l’affrontement. Dimanche, à l’hôtel de Brienne, devant les armées, le président français a été clair : « Jamais, depuis 1945, la liberté n’avait été si menacée. » Depuis près d’un an, Emmanuel Macron ne cesse de tenir des discours alarmistes et bellicistes. « Sommes-nous capables de résister en cas de conflit de haute intensité sur le sol européen dans les trois à quatre années qui viennent ? » a-t-il faussement lancé.
La Russie et le business
L’année 2025 marque un tournant. À chaque discours, la menace d’une guerre est agitée par l’Élysée. Cette fuite en avant est justifiée par le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, qui a tenu une conférence de presse – fait rare –, le 10 juillet à la demande du chef de l’État. Il a affirmé que la Russie « constituera une menace avant 2030 ». Même gravité du côté de la DGSE pour tenter de justifier l’escalade militaire.
Pourtant, un certain nombre de gradés ne privilégient pas cette hypothèse. « En Ukraine, l’armée russe est en difficulté et ils veulent nous faire croire qu’elle va envahir l’Europe ? Les mêmes dirigeants et voix alarmistes à l’égard de Moscou ne cessent de prédire une victoire ukrainienne. Il faut arrêter ces déclarations nauséabondes », déclare à l’Humanité un ancien général, sous couvert d’anonymat.
Pour le journaliste allemand Andreas Zumach, expert des questions de défense, « cette attaque russe contre des pays membres de l’Otan n’est pas réaliste. L’Alliance est supérieure à toutes les capacités russes. Il s’agit d’un discours pour accélérer des ventes et une militarisation de nos industries, de nos sociétés ». Si le budget militaire de la Russie a atteint les 140 milliards d’euros en 2024, les pays européens, eux, ont dépensé 550 milliards.
Les États-Unis restent largement en tête avec 997 milliards de dollars l’an dernier. L’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) rappelle que cela représente « 37 % des dépenses mondiales et 66 % de celles des pays membres de l’Otan ». L’Alliance atlantique a acté, lors de son dernier sommet, une hausse d’ici à 2035 de 3,5 à 5 % du PIB dans 32 pays membres.
Un budget militaire doublé en dix ans
Pour affronter la prétendue menace russe, Emmanuel Macron a annoncé une hausse du budget de la défense de 3,5 milliards d’euros en 2026 puis de 3 milliards supplémentaires en 2027. « Une actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) » pour 2024-2030 « sera présentée à l’automne », a également détaillé le chef de l’État. Le budget de la LPM 2024-2030 était déjà de 413 milliards d’euros.
Au total, le budget de la défense aura quasiment doublé en dix ans sous la présidence d’Emmanuel Macron, passant de 32,2 milliards d’euros en 2017 à près de 64 milliards en 2027. Il s’est engagé à atteindre le seuil de 3,5 % du PIB en 2035. Le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, a même évoqué l’objectif de 90 milliards de dépenses militaires annuelles. Enfin, pour parfaire la panoplie militariste, le retour d’un service national militaire pourrait être annoncé en septembre.
Pour parer aux critiques face à une telle débauche financière à des fins funestes, le président a dit « refuser l’endettement » et réclame « l’effort de toute la nation pour la défense de tous les Français (…) les citoyens, les élus, les entreprises ». Façon pour le locataire de l’Élysée de préparer l’opinion publique à une cure d’austérité alors que François Bayrou doit détailler, ce 15 juillet, les 40 milliards d’euros de coupes auxquelles il entend procéder pour boucler le budget 2026. De quoi faire bondir à gauche.
Pour augmenter les crédits de défense, « où va-t-il trouver l’argent ? Chez les retraités ? Chez les travailleurs ? Dans nos hôpitaux, nos Ehpad, nos facultés ? Stop à la guerre. De l’argent pour la vie », s’est indigné Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF. Même inquiétude du côté du président insoumis de la commission des Finances de l’Assemblée, Éric Coquerel. « Tout cela est fait pour tourner notre économie vers une économie de guerre au moment où la question du dérèglement climatique est laissée de côté », a-t-il réagi au micro de France Info, le 13 juillet.
Outre la question financière, c’est l’alignement atlantiste d’Emmanuel Macron qui est critiqué. Le député LFI s’inquiète du discours « belliciste du chef de l’État » qui « nous présente une espèce de vision de la guerre froide où on serait du côté des États-Unis et de l’Otan ». « Nous ne sommes pas contre la construction d’une défense nationale, mais le président nous place sous la coupe des États-Unis et de l’Otan. Ce n’est pas ainsi que nous retrouverons une autonomie militaire et diplomatique », abonde le porte-parole du PCF, Léon Deffontaines.
Du côté macroniste, on épouse les visées du président de la République. Gabriel Attal avait exigé, dès le 2 juillet, une révision de la loi de programmation militaire dans une tribune publiée par l’Opinion. « L’histoire nous jugera sévèrement si nous ne sommes pas capables de nous unir derrière un objectif simple : disposer de l’armée la plus robuste possible, durcir notre modèle et gagner en masse », a-t-il réagi.
Le sénateur socialiste Rachid Temal a, de son côté, salué comme une « bonne chose » la proposition de revoir la LPM. Cette dernière doit « répondre aux besoins de nos armées », a-t-il déclaré, tout en mettant en garde les macronistes quant à la nécessité de maintenir « le modèle social de notre pays qui est une digue face aux ingérences et fractures du monde ».
Ces discours alarmistes d’un continent assiégé et menacé par la guerre ont fait leur apparition fin 2023 dans les pays Baltes, la Pologne et les pays nordiques. À l’époque, le chef de l’armée suédoise a averti la population qu’elle devait se préparer mentalement à la guerre.
En Allemagne, le quotidien Bild faisait fuiter l’hypothèse de la Bundeswehr (l’armée d’outre-Rhin) selon laquelle la Russie attaquerait l’Europe en 2025. L’Union européenne s’est mise dans la roue en lançant, le 4 mars, un plan pour « réarmer » l’Europe avec, à la clé, une dotation d’un montant de 800 milliards d’euros.
Un projet de paix à construire
Pour renforcer cette stratégie belliciste, les États membres de l’Otan ont accepté de porter à 5 % du PIB leur budget militaire d’ici à 2035, comme réclamé par Donald Trump, lors du sommet à La Haye, fin juin. Seule l’Espagne a refusé de suivre cette voie mortifère. En Slovénie, le premier ministre Robert Golob a décidé de se tourner vers sa population qui devra trancher sur cette question lors d’un référendum.
L’eurodéputé belge Marc Botenga n’a pas de mots assez durs pour condamner la fuite en avant militariste. « Le projet européen, qui a été souvent cité comme celui de la paix, est mort. Aujourd’hui, sa perspective est clairement militaire. Les financements sont prévus pour faire la guerre. Le social, le droit, la paix : où sont ces valeurs qui sont porteurs d’une vraie alternative ? » a critiqué le dirigeant du Parti du travail, lors de l’université d’été du Parti de la gauche européenne (PGE), qui s’est tenue ce week-end au siège du PCF à Paris.
« Nos citoyens ont-ils mesuré ce que représente les 5 % du PIB entérinés ? Qui va être impacté si ce n’est encore les secteurs clés de la santé, de l’éducation, des services à la personne, des transports ? » constate amère Claudia Haydt, vice-présidente allemande du PGE et responsable de Die Linke.
Lors de sa visite au Royaume-Uni, le président français n’a pas hésité à brandir la menace d’un recours à l’arme nucléaire. « Notre modèle de défense s’articule autour de notre dissuasion nucléaire (…). Il n’existe aucune menace extrême sur l’Europe qui ne susciterait une réponse des deux pays », a-t-il prévenu.
Le géopoliticien David Teurtrie met en garde face à « la gravité de la situation : les puissances anglo-saxonnes tentent de pousser la France dans une confrontation directe avec la Russie et susurrent déjà qu’elle pourrait être nucléaire ! Et le plus grave est qu’Emmanuel Macron reprend cette rhétorique » au risque de précipiter l’Europe dans la guerre.
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