Près d’un agriculteur se suicide chaque jour. Face au drame, une proposition de loi sera examinée en commission à l’Assemblée nationale ce mercredi pour améliorer les dispositifs de détection et d’accompagnement. Une première étape nécessaire, mais qui ne s’attaque pas aux racines du mal.

Un mort tous les jours. Environ 300 agriculteurs s’ôtent la vie chaque année en France. Ces effroyables données témoignent d’une surmortalité par suicide des paysans évocatrice par rapport aux autres professions : en 2020, un non-salarié agricole (comprendre, un exploitant ou un membre de sa famille) présentait un risque de se donner la mort supérieur de 77 % à l’ensemble de la population, selon les données de la Mutualité sociale agricole (MSA).
C’est pour endiguer ce funeste phénomène que le député socialiste de Haute-Garonne Arnaud Simion a déposé une proposition de loi, examinée ce mercredi 3 décembre en commission des Affaires sociales, visant à protéger la santé mentale des paysans. « Je ne pouvais pas ne pas prendre en compte les difficultés, la précarité, la misère des territoires ruraux et ces cris d’alerte, explique-t-il. J’ai rencontré des familles avec des parcours particuliers, qui ont vécu des drames. »
Des moyens d’accompagnement insuffisants
Pour éviter la répétition de ces drames, il est temps de passer la vitesse supérieure en termes de prise en charge de ce véritable enjeu de santé publique, estime l’élu occitan. Si une feuille de route pour prévenir le mal-être des agriculteurs a bel et bien été présentée en 2021, donnant un cadre à la détection et à l’accompagnement des paysans en souffrance, les politiques publiques pâtissent d’un manque criant de ressources, estime l’auteur de la proposition de loi.
« La délégation interministérielle fait un énorme boulot. Le problème, c’est qu’elle ne fonctionne qu’avec trois équivalents temps plein. On ne peut pas porter une attention particulière au risque suicidaire des agricultrices et agriculteurs avec aussi peu de moyens. »
Le texte de loi prévoit de créer une mission nationale pour la santé mentale agricole, qui devra fixer une stratégie pour le pays. Il prévoit également de renforcer et de généraliser le dispositif des sentinelles – qui consiste à former des personnes proches du milieu agricole (vétérinaires, employés du Crédit agricole, vendeurs de matériel de ferme) à la détection des risques suicidaires –, créé en 2021, mais inégalement déployé sur le territoire. La loi prévoit ensuite de créer un guichet unique départemental de la santé des agriculteurs.
« Le système actuel repose sur une addition de dispositifs éclatés », assure l’exposé des motifs de la proposition de loi. « C’est une bonne initiative d’avoir des interlocuteurs clairement identifiés à contacter », réagit Julien Brugerolles, député communiste du Puy-de-Dôme et animateur de la commission agriculture, pêche, forêt du PCF. Celui-ci, qui a défendu la revalorisation des pensions de retraite agricole, estime toutefois qu’il faut aller plus loin.
Un taux de pauvreté supérieur à la moyenne
« C’est très bien de chercher à améliorer les dispositifs d’aide existants, c’est nécessaire. Mais c’est insuffisant », abonde Manon Meunier, députée insoumise de Haute-Vienne. Pour l’élue, s’il est indispensable d’accompagner les producteurs en détresse, il faut également s’atteler à éradiquer les causes de leurs mal-être, ce que la proposition de loi ne fait pas. Ces dernières sont pourtant bien identifiées, et les questions de rémunération trônent en tête.
Selon les données récoltées par Agri’écoute, service d’écoute téléphonique en cas de détresse, le premier facteur de risque d’ordre professionnel des agriculteurs ayant composé le numéro d’urgence en 2022 était la pression économique. Cette observation est corroborée par les conclusions du rapport d’information rendu au Sénat en 2021 sur les suicides agricoles.
Celui-ci établit comme essentielle la question du revenu. « Il est incompréhensible que des agriculteurs travaillent toute une journée pour perdre de l’argent. L’insuffisance de prix rémunérateurs, la hausse continue des charges, la baisse des aides de la politique agricole commune, la prolifération et l’instabilité des normes, la course à l’endettement pour s’en sortir… Tous ces facteurs exposent beaucoup d’agriculteurs à un revenu insuffisant au regard du volume horaire du travail accompli », notent les auteurs du rapport.
Selon l’Insee, en effet, « le taux de pauvreté des personnes vivant dans un ménage agricole atteint 16,2 %, contre 14,4 % pour l’ensemble de la population ». Pour autant, cet état de fait n’a guère fait l’objet d’une attention particulière de la part du gouvernement.
« Quand on en parle, les pouvoirs publics se refusent à prendre en compte les causes structurelles : les revenus, la charge de travail, le stress et les conditions de travail de plus en plus délétères. Aujourd’hui, on ne met aucun moyen réel et c’est dramatique », s’indigne Marie-Andrée Besson.
La coprésidente de l’association Solidarité paysans, réseau d’associations locales qui accompagnent les agriculteurs face aux difficultés économiques et sociales, souligne que le nombre de personnes accompagnées par la structure a augmenté de 9 % en 2024.
Encadrer le prix des denrées agricoles
Les accords de libre-échange ajoutent également une couche au terreau de souffrance, complète la députée LFI Manon Meunier. « On demande en permanence aux agriculteurs de s’aligner sur un modèle international qui les écrase. On leur fait subir des injonctions contradictoires, on leur demande de produire proprement tout en les mettant en concurrence avec des producteurs chinois ou brésiliens », dénonce-t-elle, en pointant la signature imminente de l’entente commerciale avec le Mercosur.
La faible protection sociale, qui empêche les paysans de prendre du repos lorsqu’ils en ont besoin, mais aussi les pressions à l’agrandissement des exploitations participent du même phénomène d’affaiblissement de leur santé mentale, alerte Julien Brugerolles.
« Le système agricole a poussé vers un agrandissement des structures, des champs, des cheptels, et donc vers une gestion administrative plus lourde et une productivité du travail poussée à l’extrême », assure l’élu communiste. La mission d’information du Sénat de 2021 notait en effet que deux tiers des agriculteurs ne partent pas plus de trois jours consécutifs par an en vacances, et 90 % travaillent le week-end.
En se concentrant sur l’accompagnement, la proposition de loi d’Arnaud Simion rate-t-elle alors son objectif ? « Ces questions nécessitent un débat non hystérisé sur le modèle agricole que l’on souhaite. Mais ce n’est pas moi seul qui vais pouvoir prendre ce chemin que personne n’a réussi à emprunter », se défend l’intéressé.
Les idées pour réformer la ruralité ne manquent pas. Pour les élus de gauche comme pour une partie des syndicats agricoles, elles commencent par une rémunération juste des agriculteurs, un encadrement des prix des denrées agricole et une meilleure protection sociale.
Un phénomène difficile à quantifier et sous-déclaré
Un agriculteur meurt par suicide chaque jour. C’est le chiffre sur lequel s’est appuyé le député Arnaud Simion pour rédiger sa proposition de loi. Toutefois, cette donnée date de 2019, et aucune autre n’a été rendue publique depuis.
« Cela pose un problème de lisibilité et de portage des politiques publiques », regrette l’élu socialiste. Contactée pour avoir des données précises sur les suicides des exploitants agricoles, la Mutualité sociale agricole (MSA) fait part d’une augmentation exponentielle du phénomène : leur nombre a été multiplié par neuf en dix-sept ans. Toutefois, le nombre de décès pris en compte dans ce calcul paraît très inférieur à la réalité : seuls 27 ont été déclarés en 2020.
Une lourde « sous-estimation », pour certains syndicats, qui cache en fait deux méthodes de calcul différentes. L’une intègre les données de santé de l’ensemble de la population d’où sont extraites les informations des assurés de la MSA. L’autre repose uniquement sur le nombre d’accidents du travail mortels, issu du résultat annuel du système déclaratif des assurés de la MSA. Lequel fait probablement l’objet d’une forte sous-déclaration.
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