Protection de l’enfance : quels dangers derrière la réforme de la justice des mineurs ?

Myriam Baghouli, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis.

Myriam Baghouli, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis.
 

Le Code de justice pénale des mineurs, adopté à l’Assemblée nationale le 11 décembre dernier, fait l’objet d’un débat public au Sénat le 26 janvier 2021. La juge Sophie Legrand, le magistrat Jean-Pierre Rosenczveig, l’avocate Myriam Baghouli et Josselin Valdenaire, secrétaire général CGT de la Protection judiciaire de la jeunesse, reviennent sur la dangerosité de ce texte.

Ce code signe la mort de l’ordonnance de 1945

Sophie Legrand

Par Sophie Legrand  Secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, juge des enfants à Tours

Le 11 décembre 2020, après à peine deux jours de débats dans une Assemblée nationale quasi vide, le Code de justice pénale des mineurs a été adopté. Ce code, très légèrement amendé par rapport à la version initiale du gouvernement, signe la mort de l’ ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

Ce texte fondateur de la justice pénale des enfants a été adopté après guerre, alors que les pertes humaines étaient telles qu’il fallait préserver notre jeunesse et l’aider à construire une société meilleure. L’idée phare de cette ordonnance était d’assurer la protection de ces enfants, les passages à l’acte délictueux étant perçus comme révélateurs de la situation de détresse et de danger dans laquelle ils se trouvaient.

Icon QuoteDepuis les années 2000, la primauté de l’éducatif sur le répressif n’a cessé de reculer.

Soixante-quinze ans après, et bien que la délinquance des mineurs ne s’aggrave pas statistiquement et soit encore l’un des symptômes d’une enfance en danger, l’ordonnance du 2 février 1945 a subi de nombreuses modifications qui en ont altéré les principes. Ainsi, depuis les années 2000, la primauté de l’éducatif sur le répressif n’a cessé de reculer, avec un recours facilité et accru au contrôle judiciaire et à la détention provisoire. De même, la spécificité des procédures applicables aux enfants a été nettement entamée par le déploiement de procédures rapides, de plus en plus similaires à celles existant pour les adultes.

Puisque l’ordonnance du 2 février 1945 a été si fortement altérée, d’aucuns diront qu’il était temps d’en changer. La question reste néanmoins de savoir si ce Code de justice pénale des mineurs va constituer une amélioration ou au contraire un danger plus grand pour la justice des mineurs.

Icon QuoteCette réforme ne vise pas à améliorer la prise en charge de nos enfants mais à rendre la justice plus vite et à moindre coût.

Malheureusement, à l’image de la loi de programmation pour la justice dans laquelle le gouvernement a été habilité à la réaliser, cette réforme ne vise aucunement à améliorer la prise en charge de nos enfants mais simplement à rendre la justice plus vite et à moindre coût. Le plus bel exemple en est la création d’une audience dite unique qui permettra, dans de très nombreux cas, de juger les enfants immédiatement tant sur la culpabilité que sur la sanction, sans leur laisser le temps d’évoluer, sans laisser l’accompagnement éducatif faire son effet.

Au final, le principal danger de ce code réside dans la banalisation du prononcé de peines à l’égard d’enfants, au risque d’en oublier la primauté de l’éducatif sur le répressif, pourtant rappelée en début d’ouvrage (pour faire joli ?). Désormais, il sera possible pour un juge des enfants seul, sans aucune collégialité, de prononcer une peine de travail d’intérêt général, pourtant susceptible d’entraîner de l’emprisonnement en cas d’inexécution. Plus loin, ce code crée une dangereuse confusion entre l’éducatif et le coercitif, en introduisant des interdictions et obligations dignes de celles d’un contrôle judiciaire ou d’un sursis probatoire au sein des mesures éducatives et en créant une nouvelle phase procédurale intitulée « mise à l’épreuve éducative ».

À l’inverse, on cherchera en vain dans cette réforme les moyens dont manquent cruellement les tribunaux pour enfants, les services de la protection de l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse pour prendre en charge les enfants de manière adaptée et dans des délais raisonnables.

Le plus inquiétant dans tout cela, c’est que l’avenir de nos enfants ne semble intéresser qu’une poignée de parlementaires passionnés qui, malgré leurs efforts, ne peuvent à eux seuls infléchir le vote de la majorité.


Ce texte n’est pas orienté vers le XXIe siècle, mais vers le XIXe

Jean-Pierre Rosenczveig © AFP

Par Jean-Pierre Rosenczveig  Magistrat, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny et du collège droits des enfants du Défenseur des droits

Dans l’indifférence quasi générale, le Parlement va remplacer la mythique ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante par un vulgaire Code de justice pénale des mineurs.

La délinquance des plus jeunes n’a pas mué au point qu’il faille changer les règles du jeu. Elle baisse en quantité et en proportion depuis quelques années. On affirme que les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus les jeunes d’hier, quand un immature d’aujourd’hui vaut un immature d’hier. Face à une carence éducative, il n’est qu’une vraie réponse : rattraper le retard en mobilisant en nombre et en qualité des personnels qualifiés pour gagner la confiance de l’intéressé et construire un autre projet de vie.

Le texte régulièrement « enrichi » serait devenu illisible et impraticable. Les 800 et quelques mineurs qui séjournent quotidiennement en prison ne sont certainement pas de ce point de vue.

Icon QuoteL’enjeu du moment n’est pas de changer la loi, mais de veiller à son application.

Dans 85 % des cas, un jeune suivi par la PJJ et un juge des enfants n’est plus délinquant à sa majorité ( rapport Lecerf, sénateur UMP, 2011). Et, si nécessaire, la loi permet déjà de passer du commissariat à la prison en quelques heures via la détention provisoire ou la présentation devant le tribunal pour enfants pour y être jugé. Insuffisant ! On introduit la comparution immédiate – l’audience unique – à l’initiative du parquet devant le juge des enfants ou devant le tribunal pour enfants. Comme pour les adultes ! On veut juger vite quand l’enjeu de cette justice est de réagir sûrement sur les causes !

On en oublie aussi que, alors que pour le législateur de 1945 les mesures coercitives devaient être exceptionnelles, elles sont d’ores et déjà prononcées dans 47 % des cas, et que trop de mesures éducatives ne sont pas exercées avant plusieurs semaines ou plusieurs mois, quand elles le sont. L’enjeu du moment n’est donc pas de changer la loi, mais de veiller à son application. Les 8 % d’augmentation du budget de la justice seront-ils mobilisés pour qu’un éducateur n’ait plus à « suivre » 25 situations et que les mesures soient mises en œuvre dans les cinq jours comme la loi l’impose, voire immédiatement comme à l’hôpital où on soigne le jour même ?

Icon QuoteLes services social et de santé scolaires sont toujours sous-dotés, la psychiatrie infantile abandonnée, la PMI en grande difficulté…

Cette nouvelle procédure ne change rien pour le commun des jeunes délinquants : repris en main par les parents, sous le contrôle de la justice, ils ne repasseront pas plus à l’acte. En revanche, pour ceux vraiment inscrits dans une séquence de vie d’opposition aux règles, on se dote d’un dispositif permettant plus sûrement une mise hors du circuit. On les privera de liberté dans des centres éducatifs fermés, négligeant qu’on apprend difficilement les règles de vie dans un lieu clos.

En fait, on se prépare à répondre demain à la montée de la délinquance juvénile, quand plus que jamais des parents, eux-mêmes en grande difficulté, notamment avec la montée prévisible de la grande pauvreté et esseulés du fait des défaillances du dispositif de proximité d’aide aux familles en difficulté, s’avéreront hors d’état de prendre en charge leurs enfants. Les services social et de santé scolaires sont toujours sous-dotés, la psychiatrie infantile abandonnée, la PMI en grande difficulté et la prévention spécialisée a disparu dans 17 départements. D’ici quelque cinq à dix ans, laissés à eux-mêmes, viendront à maturité des jeunes portés à ne pas respecter une loi qui ne les aura pas protégés.

Ce texte n’est pas liberticide, mais dangereux. Il n’est pas orienté vers le XXI e siècle, mais vers le XIX e. La France aura des comptes à rendre.


Que veut-on ? Punir les enfants ou les aider ?

Myriam Baghouli

Par Myriam Baghouli  Avocate au barreau de Seine-Saint-Denis, membre du Syndicat des avocats de France

Cette réforme, qui met en cause un texte fondateur, l’ordonnance de 1945, est passée en force, sans réelle concertation, dans un simulacre de débat. Elle est dangereuse pour plusieurs raisons. La terminologie annonce déjà la couleur : Code de justice pénale des mineurs. Exit le terme enfant. Exit l’esprit de l’ordonnance de 1945 qui fait prévaloir l’éducatif. Ce code porte une vision centrée sur l’accélération de la réponse pénale, au détriment du relais éducatif, incontournable de la justice des mineurs. Il ne fait que conforter l’abandon progressif de la spécificité due aux enfants et se rapproche de plus en plus de la justice des adultes. Ainsi, par exemple, alors que les mesures de contrôle judiciaire et de détention provisoire étaient plutôt l’exception, elles trouvent, dans ce texte, un champ beaucoup plus large d’application au point de devenir quasiment la règle.

Icon QuoteUn enfant délinquant est avant tout un enfant en danger, en rupture.

La réforme est dangereuse aussi parce qu’elle est guidée par une logique gestionnaire et comptable : des procédures accélérées, des délais réduits pour boucler les dossiers au plus vite sans pour autant que les moyens suivent. Or, le temps de l’enfant n’est pas le temps de l’adulte , c’est un être en construction. Un enfant délinquant est avant tout un enfant en danger, en rupture. Pour l’aider, il faut du temps. Les enfants souvent parlent de « leur » juge, « leur » éducateur ou éducatrice, « leur » avocat-e. Un lien se crée, essentiel. C’est d’écoute et de protection dont ils ont besoin, pas d’une justice expéditive. Il en va aussi de l’intérêt de la victime. Or, cette réforme nous enlève tout ce temps nécessaire.

Il a été reproché trop de lenteur dans la justice des mineur.e.s. Celle-ci n’est pas imputable aux procédures actuelles, mais au manque de moyens, à l’insuffisance d’éducateurs, de travailleurs sociaux, de greffiers et de magistrats. Les passages à l’acte de certains enfants sont souvent la conséquence de carences bien en amont du pénal, faute de services de prévention et de protection.

Icon QuoteMaintenir coûte que coûte cette réforme ne fera qu’aggraver toutes les difficultés exacerbées par la crise sanitaire.

En Seine-Saint-Denis, territoire métropolitain le plus pauvre, nous avons le premier tribunal pour enfants de France en nombre de dossiers. On a vu durant le confinement combien les catégories défavorisées ont été durement touchées, les enfants notamment ont été mis en grande difficulté. Dans le 93, les services publics sont laissés à l’abandon : l’école publique, les hôpitaux, les transports. C’est par là que commence la prévention. Si on veut vraiment s’occuper de nos enfants, mettons, dès la plus tendre enfance, des moyens et des structures adaptées, restaurons les services publics, investissons dans la politique de la ville.

Maintenir coûte que coûte une telle réforme du droit pénal des enfants ne fera qu’aggraver toutes les difficultés exacerbées par la crise sanitaire. Cette réforme aurait dû avoir une ambition globale, elle aurait dû être une réforme sociétale. Car, en l’occurrence, il s’agit d’un choix de société. Que veut-on ? Punir les enfants ou les aider ? Le texte adopté en décembre pour être appliqué en mars prochain s’inscrit dans un projet politique plus vaste, sécuritaire et répressif.

Cela fait des années que nous alertons et nous nous battons au sein du collectif Justice des enfants, dont font partie le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, la LDH, l’Observatoire des prisons – OIP –, les principaux syndicats de la PJJ.

Nous ne nous résignons pas. Nous continuerons à interpeller, à nous mobiliser sur le terrain pour replacer la protection de nos enfants au centre des enjeux, pour un projet plus ambitieux et concerté, pour un code non pas de la justice pénale des mineur.e.s, mais de l’enfance.

L’éducatif est noyé dans le flot du répressif

Josselin Valdenaire

Par Josselin Valdenaire  Secrétaire général CGT PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse)

L’ordonnance du 2 février 1945 est le texte fondateur de la justice des mineurs en France. Dans le contexte d’après guerre, le Conseil national de la Résistance avait compris l’intérêt de s’occuper de tous les enfants en instaurant un régime de protection qui donne la priorité à l’éducatif plutôt qu’au répressif. Sur ce fondement a été créée une profession dédiée à cet accompagnement des enfants placés sous main de justice, représentée aujourd’hui par la Protection judiciaire de la jeunesse.

Icon QuoteLa part des enfants dans l’ensemble de la délinquance est seulement d’environ 10 %.

Après de multiples modifications de ce texte (40 en soixante-seize ans), basées sur l’idée d’accroître le répressif, la CGT PJJ estime qu’une réforme était donc nécessaire pour revenir au fondement d’origine. Jusqu’à présent, il y avait environ 90 % de taux de réponse pénale contre les enfants et environ 75 % des enfants détenus l’étaient déjà scandaleusement à titre provisoire. La part des enfants dans l’ensemble de la délinquance est seulement d’environ 10 %.

Le gouvernement a donc entrepris cette modification par voie d’ordonnance avec pour deux mots d’ordre « précipitation » et « coercition ». Aucune réflexion conjointe, aucune consultation des professionnels et des organisations syndicales, aucun réel débat de société. Voilà ce que sera le bilan de la construction de ce futur Code de justice pénale des mineurs.

Icon QuoteInutile de rappeler que l’enfermement n’a que des effets néfastes sur le développement d’un enfant.

La philosophie du texte d’origine est dénaturée et l’éducatif est noyé dans le flot du répressif. Les principales conséquences en sont la disparition de la prévention, la possibilité de poursuivre des enfants de moins de 13 ans, un rôle du parquet accru, un temps éducatif réduit et contraint, une justice plus répressive avec la création de 20 centres éducatifs fermés supplémentaires (qui engloutissent les rares augmentations de budget de la PJJ et dont les résultats restent à démontrer) et une marchandisation progressive du travail social. Inutile de rappeler que l’enfermement n’a que des effets néfastes sur le développement d’un enfant et qu’une dominante répressive n’aura pour conséquence que d’accroître l’exclusion et la mise au ban de la société d’une partie de notre jeunesse.

Précipitation encore, son application devant être effective au 31 mars 2021, les tribunaux judiciaires vident à la hâte les placards des anciennes procédures et parfois sans aucune cohérence.

Icon QuoteActuellement, ni les services judiciaires, ni la PJJ ne sont prêts à mettre en place cette réforme.

Le gouvernement a tellement confiance en sa majorité parlementaire que la partie législative de ce texte a été adoptée sans presque aucune possibilité d’amendement et sera présentée au Sénat le 26 janvier 2021. À ce jour, le constat est identique pour sa partie réglementaire, qui vient d’être éditée par la PJJ. Dans la même lignée, le 18 décembre dernier, le garde des Sceaux a fait diffuser dans certains services de la PJJ la circulaire d’application de la réforme avant même que le texte soit définitivement adopté.

Actuellement, ni les services judiciaires, ni la PJJ ne sont prêts à mettre en place cette réforme : absence de moyens matériels et humains, absence de formation pour les personnels, absence d’informations. Au-delà des conséquences pour les usagers, cette nouvelle justice des mineurs risque de coûter plus cher et d’être bien moins efficace.

La CGT PJJ revendique une augmentation des moyens pour la prise en charge des enfants sous main de justice, la réaffirmation de la primauté de l’éducatif, mais aussi que les secteurs de prévention et de protection de l’enfance soient renforcés.


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