Gérard le Puill
Ce que l’on nomme « la loi de l’offre et de la demande » pour fixer le prix d’un produit agricole aussi vital que le blé met les producteurs français en difficulté depuis deux ans. Mais si la récolte mondiale de l’été prochain devenait insuffisante pour couvrir les besoins au niveau planétaire, la spéculation à la hausse reprendrait dans les salles de cotation au détriment des consommateurs les plus pauvres dans le monde.
Dans l’hebdomadaire La France Agricole, les courbes parallèles consacrées à l’évolution des cours du blé, semaine après semaine, méritent d’être regardées sur la durée. L’édition du 4 avril dernier nous rappelait, qu’entre juillet et novembre 2022, le prix de la tonne de blé tendre, rendue au port de Rouen pour l’exportation, cotait entre 350 et 310 euros . En mars 2023, le prix passait sous la barre des 250 euros la tonne. De juillet 2023 à juin 2024, il évoluait entre 220 et 195 euros. De juillet 2024 à mars 2025 ce fut à peu de choses près la même évolution avec un prix de 208 euros le 1er avril de cette année.
Spécialisé dans l’observation de l’évolution des marchés et cité dans La France Agricole, le bureau Argus Media livrait cette analyse : « le retour de la guerre commerciale continue d’apporter son lot d’incertitudes sur les marchés céréaliers. Les négociations de paix dans la région de la mer Noire constituent par ailleurs un facteur baissier pour le marché. Pour autant, les flux d’exportation au départ d’Odessa ont repris à un rythme très dynamique depuis plusieurs mois. Dans ce contexte, le blé français regagne de la compétitivité par rapport à son homologue mer Noire; mais la reprise est trop timide pour inverser la tendance du marché ».
Faut-il vendre à perte pour être compétitif ?
Pour dire les choses clairement le blé produit en France est compétitif sur le marché mondial, européen et hexagonal à condition d’être vendu à des prix que ne couvrent pas les coûts de production tant que les stocks de report à l’approche de la prochaine récolte sont suffisant pour éviter une pénurie qui ferait flamber les prix. Dans l’Union européenne, la France est le principal pays producteur de blé tendre dont environ 50% de la production est exportée chaque année, près de la moitié étant vendue à nos voisins européens. En raison des aléas climatiques, la récolte de 2024 avait chuté de 30% par rapport à la moyenne des quatre années précédentes. Ce ne fut pas suffisant pour faire remonter les prix au départ de la ferme dans la mesure où le blé produit en Ukraine et vendu sans droits de douane en Europe prend des parts de marché depuis plu de deux ans au détriment du blé français. Ce dernier est aussi confronté à une forte concurrence du blé russe en Afrique et au Proche Orient.
Il reste à voir ce que sera la récolte de l’été 2025 dans les pays de l’hémisphère nord en volume et en qualité, ainsi que son influence sur l’évolution des prix dans les salles de cotation. Selon FranceAgriMer, au 24 mars en France « le stade épi d’un centimètre était atteint sur 42% des surfaces de blé tendre, de 49% sur celles du blé dur qui sert à produire des pâtes, de 41% pour les orges, contre respectivement 80% , 69% et 84% l’année dernière et 71%, 67% et 73% en moyenne quinquennale . Selon FranceAgriMer, « les cultures semées tardivement n’ont pas globalement rattrapé leur retard comme elles l’avaient fait l’an dernier à la faveur de températures clémentes ».
Incertitudes concernant les rendements en 2025
Il y a donc un risque de baisse des rendements pour la moisson de l’année 2025 en France. Mais les spéculateurs ne prennent pas le risque de spéculer à la hausse pour le moment. Au pays de la « baguette tradition », chaque Français consomme seulement une moyenne annuelle de 60 kilos de blé contre 240 kilos pour un Algérien, 225 kilos pour un Marocain, 190 kilos pour un Tunisien et une moyenne de 150 kilos par habitant pour l’ensemble de Moyen Orient. Environ 80% du blé tendre consommé au Moyen Orient est importé. Le chiffre est de 90% en Lybie, 82% au Soudan ; 78% en Algérie , 65% au Maroc et 62% en Tunisie. Selon Argus Media, depuis plusieurs mois les blés français ne trouvaient plus preneur en Algérie du fait des tensions diplomatiques entre les deux pays. Il reste à voir si la récente visite de notre ministre des Affaires étrangères à Alger aura permis de débloquer la situation.
Dans le but de réduire leur dépendance en blé, l’Algérie et l’Egypte ont lancé des projets pour produire du blé dans des zones arides en forant dans les nappes d’eau souterraines des grandes profondeurs pour pratiquer l’irrigation. Mais dans ces zones depuis longtemps déficitaires en pluie, ces réserves seront vite épuisées comme l’ont montré des précédents, notamment en Arabie saoudite ces dernières années.
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