Amendement Unef : le Sénat vise les réunions non-mixtes, la gauche est piégée

NDLR de MAC: dont acte et à suivre!
© Bertrand Guay / AFP

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Jeudi, les Sénateurs ont adopté, à l’unanimité des voix, la possibilité de dissoudre une association qui organiserait ce type de réunions. Si le texte a été très critiqué par les communistes et les écologistes, il n’a reçu aucun vote contre.

À l’occasion de l’examen, débuté cette semaine, du projet de loi « confortant le respect des principes de la République » (dit « séparatisme »), les Sénateurs s’en sont donné à cœur joie dans la surenchère discriminatoire.

Parmi les amendements votés par la chambre haute et sa majorité de droite, les interdictions du port de voile pour les accompagnatrices de sortie scolaire et les mineures dans l’espace public (lire notre article du 2 avril). Le 1 er avril au soir, les sénateurs ont également voté la possibilité pour le gouvernement de dissoudre des associations  « qui interdisent à une personne ou un groupe de personnes à raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée de participer à une réunion ». Une référence directe à l’Unef (Union nationale des étudiants de France), dont la présidente Mélanie Luce expliquait, le 17 mars, que l’association organisait «  des réunions non mixtes sur les discriminations (… ) des groupes de paroles internes à l’organisation, pas des réunions publiques », créant une polémique largement alimentée par la Macronie et la droite.

Profitant d’une atmosphère délétère, sur un sujet qui divise la gauche depuis plusieurs années, et d’une assemblée peu remplie à 23h30 quand ont commencé les débats, la droite a même réussi à faire voter la mesure à l’unanimité, avec le soutien de plusieurs sénateurs de gauche (et l’abstention des élus restants). Si certains élus communistes et écologistes, qui ont défendu l’Unef et fortement critiqué la position de la droite sur ce point, ont voté cet amendement, c’est parce qu’il a été édulcoré pour devenir quasiment incritiquable en l’état, expliquent-ils.

Ciblant d’abord  « des réunions syndicales ou publiques contraires aux principes républicains », le texte vise désormais des associations qui interdiraient à certains de participer à des réunions. Le PS, qui a massivement voté pour, aurait selon nos informations fortement poussé pour cette réécriture.

Un piège tendu par la droite ?

« La droite a joué sur l’ambiguïté, regrette la sénatrice communiste Laurence Cohen, qui s’est abstenue jeudi. Tout le monde est contre le racisme, il serait normal d’écrire cela dans la loi. La droite a tourné le débat de cette façon : si vous votez contre, vous êtes racistes. » Au sein d’une gauche fracturée où il paraît de plus en plus difficile de porter une position tranchée sur ce sujet, ces sénateurs se seraient donc sentis piégés.

En séance au Palais du Luxembourg, Céline Brulin (CRCE) s’était expliquée sur son choix : « Je voterai l’amendement, parce que je pense que, dans un pays comme la France, aucune réunion ne peut s’organiser sur des bases racistes. » Laurence Cohen explique, quant à elle, ne pas avoir voulu rentrer dans le jeu de la droite : « Je sais d’où vient cet amendement : d’une droite extrême qui ne défend absolument pas les valeurs que je porte. »  

Même position du côté du groupe écologiste, qui explique à Mediapart : « Nous sommes pour l’Unef et les réunions non mixtes depuis très longtempsLe fond du sujet, c’est qu’on s’est fait piéger. La droite voulait étendre les motifs de dissolution des organisations. On a cru résister en les restreignant au maximum. D’où cette confusion… »

Malgré les explications, l’absence de vote « contre » a révolté de nombreuses personnalités de gauche, notamment à la France insoumise. Jean-Luc Mélenchon s’est ainsi fendu, samedi, d’un billet intitulé « Au Sénat, la honte à l’unanimité ». Il critique notamment les explications données par les communistes et écologistes : « Le plus ahurissant sont les explications de vote de cette gauche-là. On entend ceux qui les expriment dire qu’ils désapprouvent l’objet (la dissolution de l’Unef) mais qu’ils approuvent le texte. Ils refusent donc le but mais approuvent son moyen ! Naufrage total ! », écrit-il.

Le groupe communiste votera contre le projet de loi

Pour Laurence Cohen, « il faut resituer le débat sur ce que nous devons combattre, c’est-à-dire la droite et son extrême, puisque cet amendement et son esprit révèlent une offensive idéologique de discrimination terrible ». La sénatrice tient par aileurs à rappeler que le groupe CRCE (Communiste, républicain, citoyen et écologiste) votera contre le projet de loi dit « séparatisme » et donc, en définitive, contre cet amendement. « Surtout, ce qu’il faut retenir de ce vote, ce n’est pas si nous avons levé la main ou pas. Voter contre n’aurait rien changé. Ce qui est important, c’est notre position, et elle était claire », a-t-elle rappelé. Au Palais du Luxembourg, jeudi, elle a ainsi éxpliqué : « Mon expérience de féministe fait que des femmes ont pu s’exprimer dans des groupes de parole. Elles ne l’auraient pas fait dans d’autres contextes. Et ce que l’Unef a fait, ça s’appelle des groupes de parole. »

En définitive, les groupes communistes et écologistes ont été les seuls à combattre clairement l’offensive idéologique de la droite et leur instrumentalisation de la polémique autour du syndicat étudiant. Sophie Taillé-Polian, du groupe écologiste, est aussi allée dans ce sens : « Vous avez des jeunes qui ressentent le besoin de se réunir pour parler de leur vécu qui est douloureux, et ça ne vous pose pas de questions ? Vous ne nous dites pas qu’il y a un problème ? Eh bien je vais vous le dire, on a un problème dans notre pays, de discrimination. »

Ces deux sénatrices auraient-elles donc dû, pour ces raisons, voter contre l’amendement ? Pierre Laurent, élu communiste mais absent lors de cette séance, n’aurait en tout cas pas donné d’avis favorable : « Je ne l’aurais pas voté, assure l’ancien secrétaire national du PCF à Mediapart. Les motivations de cet amendement étaient claires, ses auteurs aussi. Et je n’en partage rien. »

Celui-ci aura néanmoins peu de chances d’aboutir en définitive. D’une part parce qu’il sera soumis aux députés, d’autre part car il pourrait bien être retoqué par le Conseil constitutionnel. L’amendement constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté d’association, d’expression et de religion. « Normalement, on peut exclure des personnes. Une association de personnes d’origine portugaise a le droit de rejeter des gens d’origine marocaine. Il est évident que les réunions d’une association religieuse sont réservées aux croyants du culte en question », détaille dans Marianne Gwénaële Calvès, professeure de droit public à l’université de Cergy-Pontoise.


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