Plusieurs élus, très à droite, mais pas seulement, ont fait de la défiance envers les autorités un véritable business. Quitte à mépriser les faits, la science et à alimenter les pires théories conspirationnistes. Vaccins fourrés à la 5G, covidistes, plandémie, great reset… Quel peut être le débouché politique pour les nouvelles figures du complotisme ?
Florian Philippot et Martine Wonner. D’un côté, l’ex-numéro deux du FN, désormais à la tête de son propre microparti, Les Patriotes. De l’autre, une députée diplômée de médecine psychiatrique, élue en 2017 sous l’étiquette En marche avant d’en être exclue, et qui se définit comme sociale-libérale. Deux figures politiques sur le papier opposées. Pourtant, depuis le début de la crise sanitaire, leurs trajectoires convergent.
VACCIN FOURRÉ À LA 5G. À la croisée des craintes envers deux technologies, cette théorie du complot prétend que des « nanoparticules de 5G » sont contenues dans les doses vaccinales, afin de ficher et tracer la population.
Car Florian Philippot et Martine Wonner font leur beurre sur le même créneau : la lutte contre la « dictature sanitaire ». Autrement dit, la contestation du port des masques, de la vaccination, du confinement et de l’ensemble des contraintes fixées par le gouvernement. Une critique qui, du reste, a tout à fait sa place dans une démocratie. Sauf quand elle s’accompagne d’un discours complotiste, au mépris des faits et de la science.
Fake news et mauvaise foi
Remise en cause de la dangerosité même du virus, du nombre de morts ou de l’efficacité de la distanciation physique sur la contamination composent leurs discours. « 90 % des tests sont des faux positifs, il faut s’y opposer », a déclaré Martine Wonner, reprenant à son compte une fake news qui circulait en janvier sur la Toile. Et les vaccins ? « Ça ne marche pas », balaye-t-elle, ironisant sur les ministres se faisant injecter devant les caméras : « Je ne sais pas si c’est de l’eau physiologique ou le vaccin… » En revanche, elle défend la liberté pour les médecins de prescrire de l’hydroxychloroquine, le traitement controversé et à l’efficacité non démontrée du professeur Raoult.
COVIDISTE Terme essentiellement employé par Florian Philippot qualifiant les décideurs publics qui établissent les contraintes sanitaires ainsi que ceux qui s’y « soumettent ». A contrario, les anti-mesures se définissent comme des « résistants » face au « système
covidiste ».
Bref, un discours susceptible de fédérer des plus conspirationnistes, persuadés que le virus n’est que pure invention médiatique, à ceux qui expriment simplement leur ras-le-bol d’un état d’urgence sanitaire qui s’éternise. Preuve de ses liens avec la complosphère, la députée a participé, en octobre 2020, à la création de Bon Sens. Dans ce « lobby citoyen », on retrouve Xavier Azalbert, rédacteur en chef de ce qu’il reste de « France Soir », vidé de ses journalistes et devenu le média plébiscité par tous les conspirationnistes. Wonner a certes rapidement claqué la porte de ce groupe, officiellement « pour (se) consacrer à (son) travail parlementaire ».
À un meeting de « réinformation » de Martine Wonner, tenu le 17 avril à Metz, on retrouvait, parmi la foule, des membres du collectif de gilets jaunes Unic 57. Sur Facebook, le groupe, proche de la droite radicale, partage des contenus liés à QAnon (théorie du complot prisée par les partisans de Trump, qui prétend qu’une élite mondiale pédo-sataniste gouverne le monde), ou au Great Reset (voir encadré). Pour Élie Guckert, journaliste pour Conspiracy Watch, si Martine Wonner elle-même ne produit pas de propos aussi farfelus, elle « déroule son discours de manière suffisamment fine pour que cela reste compatible avec les théories les plus radicales de ceux qui l’écoutent ». Dans une lettre ouverte adressée à plusieurs médias, dont « l’Humanité », Martine Wonner se défend toutefois de tout complotisme, et dénonce « une nouvelle inquisition » : « Je suis constamment attaquée selon des procédés particulièrement inquiétants. »
PLANDÉMIE Théorie qui veut que la pandémie ait été organisée en amont par des organisations internationales. Peut se décliner en fonction du coupable : cela peut être une simulation de l’OMS qui aurait dérapé ou, plus populaire, un vaste plan de réduction de la population mondiale, pilotée par – là encore c’est au choix – le Forum de Davos, George Soros ou Bill Gates.
Sur un plan plus politique, la députée n’hésite pas à exprimer, sur Twitter le 27 avril, son enthousiasme pour la tribune des généraux d’extrême droite publiée par « Valeurs actuelles », qui se proposaient d’intervenir militairement pour redresser la France. Une tribune plébiscitée par les milieux complotistes, qui y voient un recours contre le « système corrompu » en place.
Ce qui lui fait un nouveau point commun avec Florian Philippot. Sur les réseaux sociaux, ce dernier est un hyperactif du complotisme. Outre la tribune des généraux, dont il se fait le VRP, arguant qu’elle gagne chaque jour un peu plus de signataires, Florian Philippot peste contre le « système covidiste » qui veut « soumettre » le peuple via le « conditionnement par les médias ». Lui refuse la vaccination, comme les masques, qu’il appelle à « brûler ». Pourtant, le même Florian Philippot déclarait, le 20 avril 2020 sur sa page Facebook : « Il me semble que le masque devrait être obligatoire, y compris dans la rue. » À l’époque, le gouvernement assurait encore qu’il n’était pas utile.
GREAT RESET Théorie confusionniste qui veut que le Covid ait été planifié pour faire émerger un nouvel ordre mondial totalitaire et « marxiste », avec camp d’internement et abolition de la propriété personnelle. Le tout piloté par… le très libéral Forum de Davos.
Le discours de Florian Philippot suit le sens du vent contestataire. « Au sein du parti de Marine Le Pen, on a connu un Philippot raisonnable, qui a participé à rendre le parti acceptable, se souvient Astrid de Villaines, journaliste et coauteure d’un livre enquête sur l’élu. C’était l’atout “techno”, énarque, du FN. » Ce qui contraste avec un homme politique désormais inséré dans la complosphère et fricotant avec l’ultradroite, comme à la manif de soutien à Génération identitaire, où il s’est rendu, le 20 février.
Les paradoxes de Philippot
Florian Philippot est en concurrence avec d’autres figures souverainistes de droite, comme Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) ou François Asselineau (UPR), qui flirtent avec les sphères pseudoscientifiques. Pas à un paradoxe près, « NDA » défendait, l’an dernier, l’usage « sans attendre » des traitements à base d’hydroxychloroquine, alors que rien ne prouvait leur efficacité. Puis, lorsqu’il s’agit des vaccins, il redevient très prudent, refusant d’être un « cobaye » pour un remède arrivé selon lui trop vite sur le marché… Quant à Asselineau, il la joue plus finement, proposant par exemple, face au « covidélire » du gouvernement, « un référendum sur le port du masque en extérieur ».
Mais si ces élus s’assurent une tribune et une audience, celles-ci peuvent-elles se traduire en électorat ? Pas si sûr. Les enquêtes d’opinion révèlent que l’adhésion au discours conspirationniste traverse les clivages de classe et les niveaux de diplômes. « Ce n’est pas un ensemble homogène qui pourrait constituer un électorat, plutôt une somme de profils contestataires, liée à une forme d’anomie sociale », estime Luc Rouban, politologue au Cevipof. « Les élus complotistes ont surtout une popularité numérique, abonde Julien Giry, spécialiste du conspirationnisme. Or, Facebook ou Twitter ne sont pas la France, ils représentent une sociologie particulière et il y a un fossé entre liker un contenu et aller voter pour son auteur. »
DICTATURE SANITAIRE Dès 2018, l’autoritarisme de Macron dans la gestion des mouvements sociaux a alimenté l’idée chez certains
que nous vivions dans un régime totalitaire, un sentiment conforté par les contraintes liberticides dues à la pandémie. Derrière, on retrouve l’idée que le virus n’est pas si mortel (quand bien même les études tendent à prouver que la mortalité à l’échelle mondiale
est sous-estimée) et qu’il est (au minimum) instrumentalisé pour mettre la population au pas.
Si l’adhésion au complotisme enjambe les clivages politiques, elle reste surreprésentée à l’extrême droite. Dans tous les cas cités, l’espace complotiste chevauche celui de la fachosphère, sans totalement se confondre. En revanche, la plupart des comptes complotistes en viennent tôt ou tard à partager du contenu affilié à l’extrême droite, consciemment ou non. « Ce qu’on observe quand on étudie les publications des groupes complotistes, c’est que la source de l’expression devient moins importante que le message lui-même, explique Julien Giry. Cela participe du grand brouillage politique actuel : ce n’est pas grave de partager un post d’extrême droite tant que ce qui est dedans nous convient. »
« Ces élus sont en train de créer autour d’eux des groupes qui sont des vecteurs de radicalisation, avec des gens certes très minoritaires, mais prêts à passer à la vitesse supérieure », juge pour sa part Élie Guckert. Du partage de fake news au passage à l’acte, il n’y a parfois qu’un pas. C’est ce qu’a révélé l’enquête autour du kidnapping de la petite Mia M., enlevée le 13 avril par un groupe persuadé de la soustraire à un complot pédocriminel mondialisé. Deux des ravisseurs présumés s’étaient rencontrés lors d’une manifestation organisée par Florian Philippot à Paris, pour protester contre la « dictature sanitaire ».
LE NUMÉROD’ÉQUILIBRISTE DU RN À l’extrême droite, la stratégie de Marine Le Pen contraste avec celle de Philippot, Dupont- Aignan et consorts. La ligne du RN : surfer sur la défiance sans sombrer dans le complot. Le parti a choisi l’opposition respectable aux contraintes sanitaires, pour rester audible tout en égratignant dès que possible Macron. Le confinement ? Marine Le Pen ne s’y oppose pas de front, mais tacle l’exécutif, considérant que c’est « la dernière solution quand on a raté tout le reste ». Les vaccins ? La députée RN a pu exprimer des « doutes », mais compte bien se vacciner « quand ce sera son tour », à condition que le gouvernement résolve « son problème majeur de logistique ». « La préoccupation du RN dans sa quête du pouvoir, ce sont les gens âgés et ceux qui ont du revenu, c’est-à-dire ceux qui votent et sont sensibles à la notion de crédibilité, résume l’historien de l’extrême droite Nicolas Lebourg. Or vous ne convaincrez pas les personnes âgées avec un discours antivaccins, bien au contraire. ».
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