Prenant prétexte des dysfonctionnements de cet examen, le ministre de l’Éducation nationale fait du contrôle continu l’instrument pour aller vers un diplôme à valeur purement locale.
« Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. » La pratique de cet adage aura été portée au niveau d’un des beaux-arts par Jean-Michel Blanquer pour en finir avec le baccalauréat comme droit d’accès universel et républicain aux études supérieures. En présentant au soir du 28 juin ses « ajustements » pour le bac 2022, le ministre apporte en effet la touche finale au mouvement amorcé avec la réforme du bac et Parcoursup. En renforçant le poids du contrôle continu, il acte le passage à un « bac local », dont les effets et la valeur dépendront de l’établissement où il sera préparé plus que du travail de chaque élève.
L’offensive a été savamment orchestrée. Le 16 juin, devant la commission Éducation du Sénat, Pierre Mathiot, maître d’œuvre de la réforme du bac, annonce la couleur : « Les épreuves ponctuelles mettent en péril l’organisation du bac. Il faut aller vers un contrôle continu intégral. » Comme le raconte le journaliste spécialisé François Jarraud sur le site du Café pédagogique, il est venu flanqué de Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa (principal syndicat des personnels de direction). Celui-ci abonde, dévoilant du même coup la stratégie mise en œuvre : « C’est un sujet qui peut maintenant passer… C’est un message qui peut être accepté par les enseignants. »
De très grandes disparités entre les lycées
À défaut de contrôle continu intégral, il s’agirait de faire table rase des épreuves communes (ou E3C) de spécialités, passées parfois dès janvier : une aberration qui avait soulevé en 2020 (elles ont été annulées cette année pour cause de Covid) une très vive opposition des élèves comme des professeurs, certains ayant ensuite été visés par de lourdes sanctions disciplinaires. Les spécialités en question ne seraient donc plus évaluées qu’en contrôle terminal, comme le français (en première), la philosophie et le grand oral, l’ensemble représentant 60 % de la note. Les disciplines du tronc commun, plus la spécialité abandonnée en fin de première, seraient évaluées sur la seule base du contrôle continu. Tout comme les options, qui seraient réintégrées dans la note globale, avec un coefficient maximal de 14 (sur 100).
En apparence, les grands équilibres ne sont pas modifiés : 60 % en contrôle terminal, 40 % en contrôle continu. Sauf que pour la procédure Parcoursup, qui clôt l’envoi des vœux début avril, seuls le français (anticipé) et les matières en contrôle continu pourront être pris en compte. Et ouvrir, ou non, la porte des études supérieures. Or, le contrôle continu n’apporte, aujourd’hui, aucune garantie d’égalité de traitement entre les élèves, toute l’évaluation étant décidée localement. Ce qui induit de très grandes disparités entre les lycées, selon les moyens dont ils disposent et/ou leur recrutement sociologique. De plus, chaque note comptant désormais pour Parcoursup, c’est en fait une course au bachotage quotidienne qui serait ainsi lancée : la négation d’une « meilleure préparation aux exigences de l’enseignement supérieur », que met pourtant en avant la communication ministérielle.
Le ministère lui-même reconnaît, en creux, que la chose est problématique : « Afin que soit préservée l’égalité de traitement entre les élèves », précise-t-il, « des repères nationaux seraient diffusés aux équipes pédagogiques », les personnels recevraient des « formations spécifiques » et « les corps d’inspection seraient particulièrement mobilisés ».
La belle affaire, pour Claire Guéville, chargée des lycées au Snes-FSU : « C’est le renforcement de l’assignation à résidence. Il sera très difficile pour les jeunes nés au mauvais endroit, issus de lycées sans grande réputations d’accéder au supérieur dans de bonnes conditions. » De fait, le bac reposant sur des évaluations fluctuantes et discutables, le fameux critère du lycée d’origine deviendrait encore plus prépondérant. La syndicaliste redoute également de voir les professeurs, à la fois enseignants et évaluateurs, soumis à la triple pression « des élèves, des familles et de la hiérarchie », alors que la moindre note comptera – y compris pour la réputation du lycée… « Nous avons l’été pour faire de l’information sur cette menace contre le bac lui-même, conclut-elle, et convaincre de la nécessité d’une forte mobilisation à la rentrée. Personne ne peut se résoudre à voir ainsi maltraitée toute une génération. »
Au lendemain de la mise en examen, le 28 juin, du militant islamiste Abdelhakim Sefrioui pour avoir dénoncé Samuel Paty sur les réseaux sociaux, l’avocate de la famille du professeur, Me Virginie Le Roy, a pointé des ratés dans la protection dont il aurait dû bénéficier. Le tueur, Abdoullakh Anzorov, avait fait l’objet de signalements sur la plateforme Pharos, non suivis d’effet. Le collège avait alerté la police des menaces à l’encontre du professeur, mais aucune protection rapprochée n’a été mise en œuvre : « C’étaient ses collègues qui le ramenaient chez lui », dénonce l’avocate.
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