On ne fait pas d’industrie sans casser les œufs de l’élevage plein air !

 sadak souici

Qui veut la peau des petits éleveurs ? Deux arrêtés du ministère de l’Agriculture, publiés fin septembre, généralisent l’enferment des volailles une grande partie de l’année. Les éleveurs de plein air se rebiffent et ont organisé le 14 octobre une vente de 10 000 œufs de plein air, place de la République à Paris.

Qui de la poule ou de l’œuf est arrivé le premier ? Sur la place de la République, à Paris, ce jour-là, il n’y a pas de poules, seulement des œufs, «  Les derniers de plein air. Des gros œufs qui ressemblent à ceux de nos grands-parents. Du jaune bien jaune avec du goût, des poules nourries au grain… et surtout qui sont dehors de l’aube au coucher du soleil », revendique Christine Rivière. Elle a laissé ses 249 poules pondeuses dans le Gard, errer à l’air libre. Avec ses camarades venus du Gers, du Var, du Rhône ou du Lot, ils ont roulé toute la nuit et ont débarqué sur la place… avec 10 000 œufs.

Pour faire venir tous ces éleveurs dans la capitale, il fallait une grosse menace, de l’ordre de la vie ou de la mort. Même Pierre Thomas, président du MODEF, le mouvement pour la défense des exploitations familiales et éleveur de Sallers, a délaissé l’Allier et ses vaches pour la journée « C’est là où on est bien, il fait bon vivre dans nos territoires. Mais pour cela, il faut des paysans nombreux, et là on en train de programmer leur disparition », lâche-t-il.

Cela faisait des mois qu’ils redoutaient la nouvelle réglementation après le dernier épisode de grippe aviaire qui a semé le chaos dans les élevages du sud ouest de l’automne au printemps dernier. 3,5 millions de volailles ont été abattues. Ces nouvelles règles sont sorties le 30 septembre sous la forme de deux arrêtés du ministère de l’Agriculture. L’un établit une cartographie des départements les plus vulnérables au virus de « l’influenza aviaire », l’autre détermine les mesures de biosécurité et de prévention dans les zones à risques prioritaires et de diffusion, dites ZRP ou ZRD. La dérogation plein air accordée jusque-là aux petits élevages de moins de 3 500 animaux est supprimée. Concrètement, cela signifie que «  les éleveurs vont devoir enfermer leurs animaux une grande partie de l’année », précise Sylvie Colas, éleveuse de volailles bio de chair dans le Gers et porte-parole de la confédération paysanne locale. Pintade, dindons, poules, canards, poulets de chair, tous les volatiles y passent.

Pierre Dufour, éleveur de canards gras depuis 30 ans, dans le Lot a vu passer les crises, tout comme les épisodes de grippe aviaire. «  On connaît depuis la grippe aviaire de 2017 les causes de la propagation du virus : la concentration de nombreux élevages dans des périmètres restreints, la standardisation des animaux et l’explosion du nombre d’animaux dans les élevages. Nous, les éleveurs plein air, on en a déjà connu de la grippe aviaire, mais ça ne flambait pas autant avant », lâche le co-porte parole de la Confédération paysanne dans le département. Pourtant après chaque épisode : on pousse à la concentration, à s’agrandir. « Ils sont en train de faire des petits éleveurs des boucs émissaires, pour pouvoir continuer à exporter toujours plus de foie gras de merde à l’étranger », enrage-t-il.

Ce « foie gras de merde » que dénonce Pierre Dufour, c’est la production segmentée qui s’est développée depuis une dizaine d’années en Chalosse, entre Gers, Landes et Pyrennées Atlantiques : dans de grands bâtiments, des dizaines de milliers de canards, prêts à gaver au bout de 10 semaines, après 8 jours de gavage (désormais appelés engraissement par la filière), ils partent à l’abattage.

Chez Pierre Dufour, il y a 7 000 canards à l’année. «  Les canards ça gratte, ça se nourrit de l’herbe. Ils en ont besoin, une fois que vous avez mis des canards à l’herbe, dehors, ils piaillent tous les matins pour sortir », explique-t-il. Alors, avec ces « nouvelles normes, on prend le problème à l’envers. On nous applique les mêmes règles qu’aux industriels, sauf qu’on n’a pas les mêmes risques. On va nous obliger à enfermer nos canards, mais rien n’est fait pour limiter la densité d’animaux, les flux d’animaux vivants », estime-t-il.

Combien de petits éleveurs vont-ils devoir abandonner ? « 30 % au bas mot », lâche Sylvie Cola s. Pour beaucoup de petits, la mesure risque de sonner le glas de leur production, quand la construction ou la mise aux normes de bâtiments est tout simplement trop coûteuse. « Chez moi, ça voudrait dire un investissement 10 fois plus important que mon prêt pour l’installation », explique Christine Rivière. Ses poules ont beaucoup plus d’espaces extérieurs que ce que recommande le cahier des charges bio, mais l’année dernière, en plein épisode de grippe aviaire, elle a déjà dû claustrer ses bêtes : «  Une poule en plein air gratte la terre, voit la lumière du jour. Pour pondre, elle a besoin de protéine, et de lumière. Pendant cette période de claustration, j’ai eu une chute de ponte, mais surtout, j’ai eu une mortalité que je n’avais jamais eue. Chez un de mes voisins, les poules se bouffaient entre elles. Les enfermer, c’est de la maltraitance surtout pour des poules qui n’y sont pas habituées », explique Christine Rivière. Pour cette productrice, son métier a du sens : « produire de la vraie qualité, des beaux œufs, bien traiter mes poules, et ça, ce n’est pas en les enfermant ».


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