Handicap. L’école inclusive est un sport de combat

Selon les syndicats, le nombre d’heures d’accompagnement alloué aux enfants « se réduit trop souvent à 3,7 heures par semaine, quand il était auparavant de 6 à 9 heures ». J.-M. Loos/MaxPPP

La journée d’action des AESH de ce 19 octobre, la troisième cette année, met en évidence les promesses non tenues d’une école proclamée « inclusive », mais à qui on ne donne pas les moyens de le devenir.

Elles et ils ne lâchent pas l’affaire. Les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) étaient dans la rue le 8 avril, dans une mobilisation qui a surpris par son ampleur ceux qui ne s’intéressent qu’épisodiquement à leur situation. Ils ont remis ça le 3 juin. Et comme ils n’obtiennent toujours pas ­satisfaction sur leurs revendications ­essentielles, ils y retournent ce mardi 19 octobre, avec une liste de manifestations et de rassemblements qui n’oublie aucun recoin de l’Hexagone (pour l’Île-de-France, rendez-vous à 13 heures à la station RER Luxembourg pour défiler en direction du ministère de l’Éducation nationale).

Tout irait pour le mieux, sauf que…

Mais leur malaise traduit une autre réalité, peut-être moins audible encore : celle d’une école décrétée « inclusive » par le gouvernement… et qui ne l’est toujours pas vraiment ; celle de familles et d’enfants dont les « besoins particuliers », selon la terminologie officielle, peinent à être pris en prise en compte. Au prix de souffrances multiples : celles des élèves, de leur famille et – à commencer par les AESH – de tous les personnels sommés d’endosser la difficile mutation de l’école française vers une inclusivité qui serait bien réelle, et pas seulement proclamée.

Les chiffres se veulent ronflants, les communiqués triomphants : 400 000 enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire à la rentrée 2021, contre 321 500 en 2017 (+24 %) ; un budget accru de 250 millions d’euros en 2021 pour, au total, 3,3 milliards d’euros de financement annuel désormais consacré à « l’école inclusive », soit « une augmentation de moyens de plus de 60 % durant le quinquennat ! » proclame le secrétariat d’État aux Personnes handicapées. Les AESH sont désormais 125 000 –  une hausse de 37 % depuis 2017 – et, souligne le secrétariat d’État, elles et ils « sont désormais agents à part entière de l’éducation nationale ». Tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que…

Contrats précaires et grilles de salaire au-dessous du Smic

Sauf qu’on joue sur les mots, déjà. «  Agents à part entière de l’éducation nationale », certes, mais toujours sous contrat de droit privé. Avec des CDD, au mieux, de trois ans, et une infime proportion de CDI. Avec, surtout, des contrats à temps partiel qui laissent leurs salaires flotter entre 700 et 800 euros, soit très nettement sous la barre du seuil de pauvreté, fixé à 1 100 euros. Nombre d’AESH cumulent d’ailleurs cet emploi avec un autre travail (par exemple, la surveillance des cantines le midi dans les écoles), pour tenter de joindre les deux bouts. Avec les conséquences que l’on imagine en termes de fatigue et sur leur vie personnelle.

Là aussi, la communication ronflante du ministère ne doit pas faire illusion. Arrachée de haute lutte après les premières mobilisations de cette année, la nouvelle grille indiciaire entrée en vigueur depuis la rentrée est présentée comme une quasi-révolution, promettant enfin une progression de carrière qui était jusqu’ici inaccessible aux AESH. Sauf que cette grille démarre… au-dessous du niveau du Smic. Celui-ci est en effet établi à 1 589 euros brut depuis le 1er octobre, alors que la grille de salaires des AESH démarre… 20 euros plus bas, à 1 569 euros brut. La première conséquence de cette situation, c’est que la colère des AESH ne faiblit pas, et qu’avec leurs organisations syndicales (CGT Educ’action, SUD éducation…), elles et ils continuent à exiger un véritable statut d’agent public, une rémunération au niveau des emplois équivalents de la fonction publique, une formation initiale qualifiante… bref, le minimum pour permettre de reconnaître qu’ils exercent un vrai métier.

Icon Quote Sans les AESH, on ne pourrait rien faire. Qu’ils puissent en vivre, que ce soit un métier reconnu et soutenu : nos enfants seraient les premiers à en bénéficier. Géraldine Pouy Mère d’une enfant détectée « multidys »

Car l’école inclusive, c’est eux. Géraldine Pouy, dont la fille détectée « multidys » (troubles multiples liés aux apprentissages) est scolarisée à Villeurbanne (Rhône), le formule sans ambages : « Sans eux, on ne pourrait rien faire. Qu’ils puissent en vivre, que ce soit un métier reconnu et soutenu : nos enfants seraient les premiers à en bénéficier. » Le parcours de Géraldine et de sa fille, similaire à celui de bien des familles, en dit plus long sur la réalité de « l’école inclusive » que les communiqués ministériels les plus alambiqués. La lourdeur des dossiers à présenter à la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées, le service des conseils ­départementaux en charge du handicap), « à refaire tous les deux ans, même si la situation n’a pas changé », le certificat médical refusé « alors qu’il était encore parfaitement valable », obligeant à une nouvelle visite chez le médecin…

« Il faut avoir les moyens »

Cette année, la fille de Géraldine Pouy entrait en sixième, un passage qui peut s’avérer délicat pour n’importe quel élève. « Début août, raconte la maman, l a MDPH nous a informés que nous aurions une ­réponse… dans quatre mois. » Autrement dit, pas d’AESH pour la rentrée et la crainte qu’il n’y en ait pas non plus après, car l’expérience montre que « si on n’a pas de notification d’accompagnement en septembre, on ne pourra pas avoir d’AESH après car les budgets sont très vite clos ». Pour Géraldine et sa fille, les conséquences sont lourdes. « C’est moi qui aide ma fille à faire ses devoirs tous les soirs », précise-t-elle. En plus de son travail. « C’est très fatigant mentalement, il y a des moments où je lui crie dessus… Mais on n’a pas le choix. »

Encore a-t-elle la « chance » d’être en ­capacité de le faire. « C’est encore plus dur pour les parents qui n’ont pas les moyens, financiers et culturels, de suivre leur enfant », remarque-t-elle, alors qu’ « une bonne prise en charge change tout. Mais il faut en avoir les moyens : il y a parfois des années d’attente pour avoir une place en CMPP (centre médico-psycho-­pédagogique), il faut trouver un ­médecin capable de poser le bon ­diagnostic »… À 50 euros la consultation chez l’ergothérapeute, 45 euros celle de la psycho­motricienne, le tout chaque semaine et non remboursé, les coûts finissent par être astronomiques. Et l’aide est minimale : 130 euros par mois, quand Géraldine chiffre le coût de la prise en charge à 300 euros mensuels…

La mutualisation n’est qu’un moyen de gérer la pénurie

L’arrivée des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) a aggravé les problèmes. L’idée de départ était de mieux coordonner localement l’action des AESH en fonction des besoins, et de permettre la « mutualisation », dans le but d’une meilleure allocation des ressources. Dans la réalité, les Pial ne sont qu’un moyen de gérer la pénurie. Dans la région lyonnaise, le Collectif des parents d’élèves en faveur des AESH, dont fait partie Géraldine Pouy, relève que la mise en place des Pial a ainsi coïncidé avec une baisse terrible du nombre d’heures d’accompagnement effectivement alloué aux enfants, qui « se réduit trop souvent à 3,7 heures par semaine, quand il était auparavant de 6 à 9 heures ». Alors que les besoins des enfants, eux, n’ont pas changé…

Trop souvent aussi, les notifications d’accompagnement individuel (un enfant ­bénéficie d’un AESH pour lui seul) ne sont plus respectées. Certains AESH se retrouvent à devoir accompagner plusieurs enfants dans une même classe ; d’autres sont envoyés, la même semaine (voire le même jour) d’une école à un établissement secondaire, alors que ce n’est pas le même travail ; certains élèves sont « baladés » entre plusieurs AESH, alors que la stabilité et la sécurité affective sont au premier rang parmi les « besoins particuliers » de ces enfants…

Résultat : alors que, faute d’attractivité et de reconnaissance, il est déjà difficile de recruter des AESH, dans le Rhône l’année dernière, le taux d’absentéisme atteignait les 20 %, soit 1 000 absents sur les 4 000 postes… Des absences dues en partie au Covid (400, selon le collectif), mais surtout à l’épuisement et au mal-être des AESH… qui ne sont pas remplacés, laissant enfants et familles dans le désarroi le plus complet. Une réalité que les chiffres triomphants du gouvernement ont de plus en plus de mal à cacher.

Les AESH s’invitent dans le débat budgétaire

À l’initiative de François Ruffin (FI), des députés de tous bords vont cosigner des amendements dans les projets de loi de finances 2022 et de financement de la Sécurité sociale visant à améliorer les conditions de travail des AESH, et plus largement des métiers du lien. Outre l’obligation de rémunérer ces professionnels « au minimum » au Smic, l’insoumis réclame la fin des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial), qui obligent les AESH à « faire du saute-mouton d’un élève à l’autre, d’une classe à l’autre, voire d’un établissement à l’autre ».


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