Le député PCF de Seine-Maritime défend une proposition de loi pour améliorer la couverture médicale dans les territoires. L’Assemblée en débat ce 2 décembre. Entretien.
Le député PCF de Seine-Maritime défendra devant l’Assemblée nationale, ce jeudi, six mesures concrètes dans sa proposition de loi. La majorité macroniste y est farouchement opposée.
Le projet de loi sur les déserts médicaux est un des principaux textes de votre niche parlementaire. Pourquoi maintenant ?
Sébastien Jumel La crise sanitaire démontre à quel point il faut réarmer l’hôpital et la médecine de ville. Mon rapport souligne que 11,6 % de nos concitoyens n’ont pas de médecin généraliste traitant. Six millions de Français sont à plus de trente minutes d’un service d’urgences. Le gouvernement a supprimé le numerus clausus en 2020, mais ça ne peut suffire, toutes les études démontrant (et mon rapport le confirme) qu’il faudra au minimum dix ans pour que cela produise des effets. Ensuite, il faut veiller à ce que les médecins formés s’installent dans les endroits où on en a besoin. En milieu rural, mais aussi dans les grandes villes où existent des poches de paupérisation médicale. À Paris, on compte 1 192,3 médecins pour 100 000 habitants, mais 62 % d’entre eux exercent en secteur 2, c’est-à-dire en honoraires libres. Les gens les plus fragiles ont alors des difficultés d’accès à la médecine de ville ou à la médecine spécialisée. Notre proposition de loi tente d’apporter des solutions concrètes au problème des déserts médicaux, sujet de préoccupation numéro un des Français dans les cahiers de doléances du « grand débat » ouvert durant les gilets jaunes.
Comment en est-on arrivé là ?
Sébastien Jumel Tout ce qui est rare est cher. On a donc organisé la pénurie et la raréfaction du nombre de médecins formés, dans une logique comptable et corporatiste affaiblissant la couverture territoriale. Seuls 39 % des libéraux assurent la permanence de soins ambulatoires, par exemple, qui est une obligation légale. Les patients qui n’ont pas de médecin référent subissent la double peine : non seulement ils n’ont pas de médecin traitant, mais quand ils trouvent une consultation, ils sont pénalisés dans les remboursements. Les médecins ont une liberté d’installation totale. Cette absence de vision, d’aménagement du territoire en termes de santé, aboutit à la situation que je décris dans mon rapport.
Concrètement, que proposez-vous ?
Sébastien Jumel Nous proposons six mesures. À partir du moment où on lève le numerus clausus, il faut former des médecins non pas en fonction des moyens des facs de médecine, mais en fonction des besoins de chaque région. Ensuite, je propose de généraliser le contrat d’engagement de service public : contre une bourse de 1 200 euros brut par mois pour financer les études, les médecins formés s’engagent ensuite à s’installer durant trois ans dans un désert médical. Cette mesure permettrait aussi de démocratiser l’accès aux études de médecine, qui ne sont pas à la portée de toutes les classes sociales. Le projet de loi propose également le conventionnement sélectif : il consiste à n’aider les médecins que lorsqu’ils s’installent dans les zones sous-denses, comme c’est le cas pour les infirmiers et les kinésithérapeutes. Nous proposons également que l’État flèche prioritairement ses aides vers le soutien aux collectivités locales, pour créer des centres de santé avec des médecins salariés. Enfin, le gouvernement vient de créer un nouveau label pour les hôpitaux de proximité. Dans mon texte, je propose de leur donner une définition, notamment pour qu’il y ait des consultations avancées (de spécialistes). La relation ville-hôpital dans ces territoires est essentielle pour lutter contre les déserts médicaux, y compris parce que des médecins vont vouloir exercer à 50 % en libéral et 50 % à l’hôpital.
Au-delà de votre groupe, ces propositions rencontrent-elles un écho favorable ?
Sébastien Jumel On a le soutien de plusieurs groupes. De toute la gauche, d’abord, d’une partie de la droite avec notamment l’UDI et Agir, ensuite. Mais nous essuyons le refus obstiné de LaREM. Officiellement, ils nous disent vouloir laisser le soin au numerus clausus de prospérer, aux assistants médicaux de se développer. En réalité, le lobby des médecins s’y oppose fortement. Il existe un réflexe corporatiste assez terrible. Mais, même si ce projet de loi n’est pas voté, jeudi, cette question doit devenir centrale dans les élections législatives à venir. Tous les candidats doivent s’en emparer. Personne ne pourra tenir encore un mandat en ne bougeant pas.
On va vous reprocher d’attenter à la liberté d’installation des médecins…
Sébastien Jumel En commission, on m’a reproché de vouloir nationaliser les médecins. Il m’a échappé que les kinésithérapeutes et les infirmières étaient devenus un service public national, alors qu’ils n’ont pas de liberté d’installation. Ensuite, être médecin est un travail entièrement financé par le public : il est pris en charge par la Sécurité sociale. Ceux qui ont le mot libéralisme à la bouche devraient s’interroger sur les modalités de financement de leur profession. Enfin, la liberté d’installation est inscrite dans la loi, mais le principe du droit à la santé est inscrit dans la Constitution. Et 11,6 % des Français n’ont pas totalement accès à ce droit… Donc, ça va être un beau débat !
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