Violences faites aux femmes. « S’il n’y a pas de sang, madame, on ne se déplace pas »

Myriam, Marine et Sarah sont membres de l’association la Collective des mères isolées de Montreuil qui dénonce les manquements à la déontologie du commissariat de leur ville, lors de dépôts de plaintes pour violences conjugales. Teresa Suarez

À Montreuil, six femmes victimes de violences conjugales ont décidé de dénoncer l’accueil déficient du commissariat de leur ville lors des dépôts de plainte. IGPN et Défenseur des droits sont saisis.

« Maman, il est là. » Lorsqu’elle l’alerte une première fois, en janvier 2021, Katia se dit que sa fille se fait des films. Mais le lendemain, l’adolescente la rappelle en lui expliquant que son père la filme sur le chemin du conservatoire et qu’il lui a crié : « Vous allez me le payer. » Katia rejoint alors sa fille et fonce au commissariat de Montreuil (Seine-Saint-Denis) pour porter plainte. « Les agents ont d’abord refusé, en disant que c’était son père – alors qu’il est déchu de ses droits parentaux – et que filmer sur la voie publique était un droit. Mais je ne suis plus celle que j’étais en 2013 : j’ai hurlé jusqu’à ce qu’ils acceptent de prendre ma plainte. » Août 2013 : c’est le mois où Katia, après six ans de violences conjugales, finit par appeler la police. Cette nuit-là, son ex-conjoint l’a tirée du lit par les cheveux et lui a mis un couteau sous la gorge. « En décrochant mon téléphone pour appeler le commissariat, je pensais que c’était la fin du cauchemar. En réalité, les problèmes ne faisaient que commencer. » Elle se souvient bien de la réponse : « S’il n’y a pas de sang, madame, c’est pas la peine qu’on se déplace. » Plus tard, alors que la justice lui accorde la jouissance du domicile conjugal et que son mari refuse de le quitter, Katia s’en remet aux mêmes policiers, qui lui expliquent que c’est elle qui serait en tort si elle s’approchait de l’appartement et du mari.

Voyant son ex rôder en bas de chez elle, elle déclenche son « téléphone grave danger » le soir de Noël. « Oh non, pas vous, pas un 24 décembre », lui répond un agent. « J’ai demandé si on ne pouvait pas mourir un 24 décembre », se souvient Katia. « Madame, vous pleurez, mais fallait réfléchir avant de l’épouser », ose le fonctionnaire qui enregistre l’une de ses nombreuses plaintes. Convoquée pour témoigner après que le procureur a ouvert une enquête pour des viols évoqués dans l’une de ses lettres au juge des enfants, Katia est auditionnée par un officier qui met en doute le fait qu’elle soit l’auteur de l’écrit en question. « Il trouvait que c’était trop bien rédigé. J’ai dû ramener d’autres textes afin qu’il puisse “comparer ”. Je lui ai dit que même pauvre et mal habillée, j’avais un bac + 4 », riposte la désormais responsable de résidence sociale.

Un coup de gueule pour libérer les témoignages

Sensible depuis cette expérience aux injustices subies par les femmes, Katia adhère à la Collective des mères isolées de Montreuil début 2020. L’association organise des après-midi au parc, des échanges de vêtements, d’articles de presse… Les « daronnes » se remontent le moral et échangent sur un fil WhatsApp. C’est le coup de gueule de l’une des mamans après un litige avec le commissariat qui va libérer les témoignages sur le mauvais accueil réservé par l’institution à nombre d’entre elles. Dont celui de Marine. « Encore une fausse plainte pour violences conjugales », entend-elle un officier souffler alors qu’elle dépose plainte dans un couloir proche de la cellule de dégrisement, après quatre heures d’attente. Le commissariat refusera d’ailleurs tous les dépôts ultérieurs pour soustraction d’enfant son conjoint est parti avec son bébé de trois mois en Bretagne sans la prévenir ni lui dire où il allait ou lorsque l’homme s’introduit à son insu dans le domicile conjugal, dont elle a la jouissance. Il lui faudra attendre deux ans avant de voir sa première plainte traitée.

Devant la multiplication des témoignages, la Collective interpelle les élus de Montreuil. « Toutes les victimes doivent être bien reçues. Le soutien politique est là », assure Loline Bertin, adjointe au maire communiste de la ville, Patrice Bessac, et déléguée à la tranquillité publique. « Nous sommes une ville historiquement engagée pour que les parcours juridiques des femmes victimes de violences soient menés à terme. Nous animons aussi un réseau local contre les violences faites aux femmes qui implique le commissariat, les associations, le parquet, les services municipaux », détaille l’élue. Pour autant, la mairie n’a pas de pouvoirs sur le commissariat, qui dépend de la police nationale.

Renforcer la formation des policiers qui accueille des victimes

Les femmes de la Collective ne se contentent pas de cette réponse. Avec l’aide de l’avocate Juliette Labrot, elles décident fin novembre de transmettre leurs six témoignages à l’IGPN, au Défenseur des droits et au procureur de la République. « Il faut que ces institutions cessent de fermer les yeux sur les défaillances du système. Le dépôt de plainte, c’est la base de la procédure pénale. Voir des femmes empêchées d’utiliser cette procédure, alors qu’elles viennent tout juste de se détacher de l’emprise de leurs conjoints, c’est très difficile à entendre pour nous, avocats », explique-t-elle.

Leur objectif ? Obtenir un renforcement de la formation des policiers sur la question particulière de l’accueil des femmes et des enfants victimes de violences. « Il faudrait proposer un accompagnement psychologique aux victimes et la possibilité de saisir un avocat gratuitement », estime Marine, qui attend plus de la « grande cause du quinquennat » proclamée par le gouvernement. Katia, elle, voudrait que les agents fassent « plus attention à leurs propos et aux traumatismes qu’ils font subir aux personnes ». Quant à Me Labrot, elle espère que cette démarche permettra de faire un audit des plaintes dans ce commissariat. C’est aussi l’espoir de Sarah Lebailly, 35 ans, la présidente de la Collective. « Je me suis heurtée deux fois à des refus de plainte là-bas. La compagne de mon ex me harcelait sur les réseaux sociaux. Mais l’agent avait estimé que le message “T’inquiète pas, on va se croiser toi et moi” ne constituait pas une menace suffisante », raconte la militante. Elle se tourne alors vers le commissariat du 20e arrondissement de Paris. « Ils m’ont écoutée, pris mes plaintes et ouvert une enquête. Si c’est possible là-bas, ça devrait l’être à Montreuil. » Contactée, la préfecture de police n’a pas répondu à nos sollicitations. Comme l’écho d’un refus de plainte.

Elsa Sabado


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