Comme ailleurs en France, le département est confronté à un déficit de professeurs. Le Covid n’explique pas tout. À Roubaix, où presque toutes les écoles sont en « réseau prioritaire », l’exaspération est à son comble. Dans le Nord, près de 400 classes attendent un remplaçant.
Roubaix (Nord), correspondance.
« Anatole-France, Jean-Macé, George-Sand, Charles-Perrault, Léo-Lagrange, Jules-Verne, Littré, Lucie-Aubrac, Léon-Jouhaux, Prévert… » C’est devenu un rituel : chaque vendredi midi, devant les locaux des trois inspections de circonscription de Roubaix, on fait l’appel des écoles de la ville représentées. Il y a d’abord eu 80 personnes, en majorité des enseignants, puis une centaine, puis plus de 120, malgré le froid et la pluie, qui s’acharnent de semaine en semaine. L’objet de la mobilisation est résumé sur une banderole : « Roubaix, 10 016 élèves, 532 enseignants, 49 écoles, zéro remplaçant ! »
Là où les classes de CP et CE1 sont dédoublées
La colère qui couvait a éclaté lors d’une réunion syndicale du SNUipp-FSU du Nord. La CGT éduc’action et le SGEN-CFDT se sont joints à l’appel, et le premier rassemblement s’est tenu le 19 novembre. Ici, presque toutes les écoles sont en zone REP+ (réseau d’éducation prioritaire), où les classes de CP et CE1 sont dédoublées, et les professeurs bénéficient de plages de concertation supplémentaires. Mais le non-remplacement quasi total des enseignants absents a fait voler en éclats le système. « La situation est chaotique, assure Agathe Duplay, enseignante à Roubaix et militante au SNUipp. Ils se demandent même comment remplacer les congés maternité. Le système ne tient que grâce aux enseignants et aux directeurs, mais ils sont usés. »
« Dans notre école, personne n’est remplacé, que ce soit pour un jour ou une semaine, confirment trois enseignantes emmitouflées dans leur écharpe, bonnet et capuche. Nous devions mener un programme sur une année rassemblant enseignants, parents et acteurs du quartier, en partenariat avec ATD Quart Monde… La journée de vendredi prochain est annulée. La prochaine date est en février, mais y aura-t-il des remplaçants pour prendre nos élèves pendant ce temps-là ? »
31 classes sans enseignant à Roubaix
Début décembre, on comptait 31 classes sans enseignant à Roubaix. « Ici, la situation est poussée à l’extrême, mais elle est tendue dans tout le département », confie Stéphanie Maréchal, de la CGT éduc’action du Nord, venue de Cambrai pour prêter main-forte. Au début du mouvement, l’inspection d’académie évaluait à 300 le nombre de classes sans enseignant dans le département (1). « Nous sommes à 350-400 depuis quinze jours », reconnaît désormais Jean-Yves Bessol, inspecteur d’académie du Nord, lors d’un entretien téléphonique qu’il nous a accordé le 9 décembre.
Le SNUipp a récolté 150 témoignages d’enseignants. Extraits : « Dans notre école, un remplaçant est arrivé ce matin, mais il est déjà reparti ailleurs. » « En arrêt pendant trois semaines, j’ai quand même dû assurer la continuité pédagogique (faire l’école à distance – NDLR). » Ici, il est question de « six semaines sans école pour une classe de très petite section de maternelle » ; là, de « 32 journées d’absence non remplacées ». Conséquences évidentes : « Cours double pour tout le monde » et « grosse fatigue psychologique ».
Céline Devillers, dont la fille est en CP à l’école Léon-Jouhaux, a posé une demi-journée pour participer au rassemblement : « C’est important pour mon enfant et pour les professeurs. Le CP est une classe charnière. Comment, en tant que parents, on prend le relais pour leur apprendre la lecture ? Les maths ? Je suis banquière, pas maîtresse d’école, un métier à part entière et pas facile. » « Derrière les discours lénifiants, il y a une vision comptable de l’éducation nationale, aggravée depuis Blanquer », soutient de son côté Jean-Yves Guéant, président de l’association de parents d’élèves FCPE du Nord.
« On se rend disponibles, mais on est des bouche-trous »
À force d’insister, une délégation a été reçue le 8 décembre par l’inspecteur d’académie. « Au début, le ton a été un peu abrupt. Il a dit qu’on dramatisait la situation », confie au téléphone Alain Talleu, enseignant en CM1-CM2 à Bailleul et secrétaire du SNUipp du Nord. D’autres membres de la délégation rapportent des propos ironiques sur leurs « pique-niques » et « méchouis » du vendredi midi. « Mais nous pensons avoir été entendus », espère Alain Talleu. À l’Humanité, Jean-Yves Bessol affirme être « conscient de la souffrance des enseignants » et loue des collègues « consciencieux », dont « les absences ne sont pas fautives ». Il souligne la multiplication des cas de Covid (2) et rappelle qu’il a obtenu en novembre l’autorisation du ministère d’embaucher 30 contractuels, et 60 de plus depuis le 8 décembre. « J’aimerais les recruter tous avant les vacances de Noël, sinon dans les quinze premiers jours de janvier, prévoit-il. En croisant les doigts pour que la situation sanitaire s’améliore. »
Mais le Covid n’explique pas tout. « À la rentrée de septembre, il manquait déjà 54 enseignants dans le Nord », insiste Alain Talleu. En clair, des postes existants mais non pourvus. « De l’estimation même d’un ancien inspecteur, il faudrait au contraire démarrer avec un surplus de 100 personnes, poursuit Alain Talleu. On en est maintenant à moins 124, du fait des mouvements d’enseignants entre départements, des démissions, des départs en retraite plus importants que prévu… »
Leïla (prénom modifié), elle-même professeur vacataire en collège-lycée, décrit des postes « payés au lance-pierre, avec des contrats suspendus pendant les vacances scolaires » : « On se rend disponibles, mais on est des bouche-trous », dénonce-t-elle. Mais si elle est présente ce 10 décembre devant l’inspection de Roubaix, c’est avant tout en tant que maman d’un élève de CP qui a classe par intermittence : « Vu la gravité de la situation, nous avons même proposé, avec quelques autres parents, de nous relayer pour faire cours aux élèves. Nous n’avons pas eu de réponse. »
Quant au recrutement de 90 vacataires, « c’est un coup de crépi sur la façade ! » tranche Leïla. Toutes et tous réclament des solutions à la hauteur et de long terme : plus de postes au concours, l’ouverture des « listes complémentaires » à la rentrée pour intégrer les candidats qui ont échoué à quelques dixièmes de points… Des assemblées générales ont été organisées à Lille, Cambrai ou Dunkerque pour étendre le mouvement, car c’est dans les premières semaines de 2022 que seront affectés les moyens pour la rentrée scolaire suivante. À Roubaix, le prochain rendez-vous est déjà pris : jeudi 16 décembre, à midi, sur la Grand-Place de la ville. « On chantera des chants de Noël. Il y aura sûrement du “Petit Papa Blanquer” », s’amuse François Vandergoten, responsable local du SNUipp. Une journée de grève est déjà programmée pour janvier. Mais aussi, plus inédit, un « Roubaix-Paris à vélo sur une semaine, avec des étapes à Arras, Amiens… » « Cinq ou six collègues sont déjà prêts », sourit l’enseignant, qui compte bien enfourcher sa propre bicyclette.
En savoir plus sur Moissac Au Coeur
Subscribe to get the latest posts sent to your email.