Lancée dans la bataille élyséenne, la Guyanaise entend se tailler un costume de femme providentielle. Mais sa longue carrière laisse entrevoir les contradictions de la gauche depuis trente ans.
Elle se tient debout, fière, face à l’Hémicycle. Ce 23 avril 2013, après 120 heures de débats, les députés ont définitivement inscrit dans la loi l’ouverture du mariage pour les couples de même sexe. Le texte d’une vie pour Christiane Taubira : ni les contestations dans la rue des pourfendeurs de l’égalité, ni les vociférations de la droite n’auront entaché sa détermination. « Si vous êtes pris de désespérance, balayez tout cela. Ce sont des paroles qui vont s’envoler, restez avec nous et gardez la tête haute : vous n’avez rien à vous reprocher », lance la ministre de la Justice face à sa majorité, avant d’être ovationnée devant des bancs de droite vides.
L’art oratoire ? Sa meilleure arme. « On nous dit depuis trois ou quatre ans que la gauche n’avait pas d’incarnation. Maintenant, avec Christiane, elle en a une », lâche Christian Paul. Ancien député PS, l’ex-frondeur est l’un de ses principaux soutiens. Secrétaire d’État chargé des outre-mer sous Lionel Jospin, il a porté avec elle la « loi Taubira », du nom de la rapporteuse du texte, reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité. « Un moment de larmes de joie et de souffrances mêlées », confiait-elle au sujet de ce texte adopté à l’unanimité en 2001. Vingt ans plus tard, la voici une seconde fois lancée dans la course à l’Élysée.
La confiance au gouvernement Balladur
À 69 ans, celle qui souhaite rassembler à gauche est une femme politique aguerrie. Économiste de formation, elle est élue députée en 1993 du Walwari, « éventail » en amérindien, une formation indépendantiste guyanaise classée au centre-gauche, fondée avec son époux. Mais, dans la foulée, premier hic sur son CV : la parlementaire vote la confiance au gouvernement d’Édouard Balladur. L’année suivante, en 4e position sur la liste « Énergie radicale » portée par Bernard Tapie, elle cumule avec un mandat européen. Si Christiane Taubira réussit son pari, 2022 sera sa seconde expérience présidentielle. En 2002, déjà, alors que la gauche plurielle s’avance éparpillée, elle est désignée par le Parti radical de gauche (PRG). 670 000 voix et 2,32 % plus tard, Solferino la tient en partie pour responsable du désastre du 21 avril. « J’avais toute légitimité à être candidate. Je n’ai aucun regret pour les idées que j’ai défendues et j’ai fait preuve d’une loyauté totale envers la gauche », soutenait encore cette année l’intéressée auprès du magazine Zadig.
Vivement appréciée au sein de la primaire populaire, elle se voit reprocher par ses détracteurs de ne porter que des combats sociétaux. « C’est un contresens absolu, de la paresse, et le sociétal ne mérite pas le mépris », s’offusque Christian Paul. « La gauche, c’est essentiellement une ambition et un idéal d’égalité », tentait de clarifier, en 2018, Christiane Taubira. Pourtant, le programme porté en 2002 s’apparente à un caillou dans sa chaussure : défense d’un régime présidentiel fort, suppression des cotisations sociales dans le financement de l’assurance-maladie, introduction des retraites par capitalisation, baisse de l’imposition des plus riches…
Opposée à la déchéance de nationalité
« C’est vrai que ces mesures sont plus proches du PRG que celles des communistes », glisse l’ancien frondeur, qui aura « un regard extrêmement attentif » sur le futur projet, « qui doit réussir à fédérer les gauches et les écologistes ». Ces derniers, à l’instar du PCF et de FI, affichent un refus catégorique face à une carte déjà joué à la veille des européennes de 2019. « J’ai énormément de respect pour elle », assurait alors l’écologiste Julien Bayou, au moment où son nom était évoqué comme un recours.
Cependant, les ambiguïtés de son parcours ne plaident pas en sa faveur. Lors du référendum européen, en 2005, Christiane Taubira se prononce en faveur du non, mais après la défaite de Ségolène Royal à la présidentielle de 2007, l’ex-ministre de la Justice cosigne une tribune réclamant « un projet politique commun »… avec le futur Modem de François Bayrou. La même année, Nicolas Sarkozy a laissé planer l’idée que son nom pourrait figurer parmi les ministres d’ouverture.
François Hollande élu, elle est nommée garde des Sceaux, sans n’avoir jamais eu de carte au PS. Opposée à la déchéance de la nationalité, elle ne claque la porte qu’en janvier 2016, après s’être toutefois affichée publiquement aux côtés des frondeurs dès l’été 2014. « Christiane était un soutien, mais dans le cadre de la discipline gouvernementale », rapporte Christian Paul. Son dernier fait d’armes, comme ministre, fut de ne pas intervenir auprès du parquet, en faveur des huit cégétistes de l’usine Goodyear à Amiens, condamnés à de la prison ferme pour avoir séquestré deux cadres de l’entreprise lors de sa liquidation. Tout un symbole alors que la gauche peine à renouer avec les classes populaires.
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