Lula président : joie mais aussi inquiétude

Ce qui domine à l’annonce des résultats très serrés est la joie mais on ne peut pas cacher à quel point la partie va être très difficile pour Lula, plus de 49% du corps électoral à voté pour l’extrême-droite et suite au premier tour tout comme au Chili, au Pérou ou en Colombie, Lula n’a pas de majorité parlementaire.

Dès aujourd’hui que va faire son rival battu de justesse : contester les résultats comme a pu le faire Trump ?

De toute manière, le fascisme qui bénéficie de la moitié des voix, va comme dans les autres pays du continent où le président a été élu dans de telles conditions mener une lutte impitoyable en s’appuyant sur les rumeurs, le mensonge des réseaux sociaux, des réseaux évangélistes, obliger le président à devoir mener une lutte constante dans laquelle les Etats-Unis, la CIA, vont jouer la déstabilisation. Le pays est sinistré et le drame vécu par des millions de brésiliens va être utilisé à plein. Lula a déjà dans sa déclaration noté que ce pays avait besoin de calme et d’unité.

D’unité parce que le Brésil ‘est un pays divisé avec des lignes de fracture traditionnelles mais pas seulement. Dans les États les plus riches du Sud et du Sud-Est, le vote conservateur et anti-PT a prédominé au premier tour; dans le Nord-Est et le Nord, la victoire de Lula a été écrasante. L’Amazonie était divisée entre le pouvoir des éleveurs de bétail, des mineurs et des agriculteurs, bénéficiant du gouvernement actuel et des défenseurs de l’environnement et des peuples autochtones, à qui la politique de Bolsonar a nui. À Acre et Roraima, États limitrophes du Pérou et du Venezuela, le triomphe de la droite a probablement été favorisé par des questions frontalières spécifiques. Alors que le Sud continue d’être prisonnier d’un passé esclavagiste, raciste et d’exclusion, le Nord appauvri, héritier des quilombos des esclaves libérés mais aussi de la prédation de la monoculture du caoutchouc, soutient les options émancipatrices.

Ce qui apparait avec la courte victoire de Lula c’est que le vote honteux et caché pour Bolsonaro s’est atténué mais a également perduré. Il va falloir encore reprendre la carte des votes pour mesurer comment chaque état a voté et voir si cette fois les 20% d’abstentionnistes ont choisi, ce sont au-delà des résultats électoraux des flux qui permettent de mesurer le rapport des forces.

La question centrale, celle sous laquelle Lula a voulu placer sa campagne cependant, est : le besoin de changement vers un Brésil moins violent triomphera-t-il ou le comportement régressif et violent promu par le gouvernement fasciste actuel l’emportera-t-il ?

Les analystes brésiliens estiment que Bolsonaro a eu au premier tour des résultats inespérés en raison du barrage de mensonges promus par sa campagne contre le candidat progressiste, cela est allé jusqu’à l’accusation de réseaux pédophiles, il y a les pressions des hommes d’affaires sur leurs travailleurs, l’achat de votes, le budget secret du gouvernement utilisé à des fins électorales et la tentative de séduire les pauvres à la dernière minute avec des subventions, des promesses généralement incompatible avec la politique économique du faucon néolibéral Guedes, ministre de l’Economie de Bolsonaro. Mais non seulement une propagande mensongère, la pression des milieux d’affaire et des sectes évangélistes se sont déchaînées mais la situation sociale critique a été utilisée contre Lula y compris le fait que le Brésil a vécu avec la pandémie d’atroces souffrances humaines, estimées à plus de 680 000 victimes.

La violence de Bolsonaro est son arme principale

L’orientation violente du gouvernement actuel est claire. Les armes et la répression ont été des signes caractéristiques de la politique et du discours bolsonaristes, qui ont alimenté la discrimination et la misogynie du début à la fin. La présence des plus hauts grades militaires dans son gouvernement a fait de cette gestion une démocratie supervisée par l’armée, qui, avec les allusions répétées en faveur du coup d’État de 1964, place l’ancien capitaine comme la continuité achevée de la dictature que le Brésil a subie pendant les vingt et une années successives jusqu’en 1985.

À tel point que la même dictature militaire a instauré à partir de 1967 un système politique bipartite contrôlé – même légitimé par une constitution civile – dans lequel le parti militaire Arena gouvernait grâce à sa majorité parlementaire dans les deux chambres. On voit que la coïncidence avec le présent est réelle.

Au-delà de l’ostentation radicale de la violence armée, la politique économique du gouvernement sortant a rétabli le despotisme néolibéral, commandé comme déjà évoqué, par Paulo Guedes, qui a dans son cursus non seulement le doctorat en économie de l’université de Chicago – faculté commandée par l’ultralibéral Milton Friedmann – mais aussi pour avoir participé à un poste mineur à la mise en œuvre de ladite doctrine économique sous le régime Pinochet.

La cruauté économique a ramené le Brésil en tant que pays où règne la faim – dont il était sorti grâce aux gouvernements de Lula –, a réduit les investissements sociaux par la politique de « plafond des dépenses » et a commencé le processus de privatisation d’actifs publics précieux tels que Eletrobrás (la plus grande compagnie d’électricité d’Amérique latine) et la compagnie pétrolière d’État Petrobrás. L’intention déclarée du cabinet bolsonariste a été et est encore de liquider la propriété sociale forgée depuis des décennies en se débarrassant de toutes les entreprises d’État, ce que même les dictatures et les gouvernements néolibéraux n’ont pas réussi dans les quatre décennies qui ont suivi le coup d’État contre Joao Goulart.

Cette violence économique a entraîné une hausse des prix des denrées alimentaires et des carburants, ce qui a poussé l’inflation à des taux intolérables pour la majorité de la population.

Un autre indicateur de la (in)conduite présidentielle a été le mépris des droits des femmes par une démonstration flagrante de machisme frôlant même les mentions pédophiles contre les filles immigrées.

D’où l’appel à la paix et à l’unité de Lula

le grand avantage de Lula c’est que c’est un animal politique, un lutteur qui a mené un combat depuis toujours. Il est né dans la misère et a mené des combats de syndicaliste, la victoire à la présidence il l’a arraché par deux fois mais rarement dans des conditions aussi difficile. Qui aurait pu imaginer que celui que l’extrême-droite et les Etats-Unis avaient réussi à faire mettre en prison sous l’accusation de corruption, non seulement à réussi à en sortir mais à être à nouveau élu, ne pas abandonner après un premier tour défavorable et ’emporter enfin. Ceux qui parmi nous ont suivi les combats de Lula, son rôle y compris dans les luttes “bolivariennes” savent qu’il bénéficie lui et la gauche brésilienne d’une expérience essentielle, son rapport au peuple peut aider à avancer , mais les leçons de l’histoire nous disent aussi que tout reste à craindre y compris ce qui fait partie également de l’histoire du Brésil comme du sous continent : le recours à la dictature militaire, les provocations fascistes organisées et l’intervention d’une armée manipulée en sous main par les Etats-Unis.

Depuis son enfance, Luis Inacio Lula da Silva a été victime de la violence sociale d’un pays déchiré par l’exploitation impitoyable de son peuple et de ses énormes ressources naturelles. Il n’est donc pas surprenant que sa vie se soit concentrée sur la défense des droits des travailleurs et des majorités violées, dans un cadre syndical d’abord, puis en tant que politicien et homme d’État.

Bien que son mandat, comme ce fut le cas avec d’autres progressistes de la région, n’aspire pas à transformer fondamentalement la structure capitaliste et dépendante, il a obtenu des résultats remarquables en termes de droits et d’opportunités pour des millions de personnes, ce qui a permis d’élargir collectivement la liberté de choix. Est-ce que cela sera suffisant dans la nouvelle étape qu’affronte le monde ? Toute la question est là, est-ce que la paix et l’unité pourront être obtenues à travers des recettes anciennes c’est le grande inconnue.

Autre question, Lula pourra-t-il jouer le rôle qui a toujours été le sien et qui par bien des points est comparable pour le continent son indépendance à celui d’Alma, le président mexicain ?

Lula a joué un rôle clé dans le rejet des revendications américaines d’établir une zone de libre-échange pour les Amériques (ZLEA), dont l’asymétrie équivalait à une annexion économique continentale. Avec des dirigeants tels que Chávez ou Kirchner, Lula a été l’un des promoteurs de l’intégration régionale de signe souverain, qui a abouti à la création de l’UNASUR et plus tard de la Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC), ce qui augure d’une nouvelle période pour renforcer la solidarité et la collaboration entre les peuples frères.

C’est dans cette logique que peut se développer son attitude de toujours visant à réduire la violence qui étouffe la population brésilienne et latino-américaine.

Même dans le cadre d’un parlement où la droite aura beaucoup de force et compte tenu du pouvoir concentré de la finance et des médias ainsi que de l’alliance politique forcée avec les secteurs centristes, il n’y a aucun doute sur le choix que le Brésil a devant lui.

Une plus grande équité dans la répartition du revenu national ou une augmentation de la faim, de la misère et des inégalités; Plus d’éducation et de santé publique ou privatisation; Plus de démocratie ou d’autoritarisme; Plus de droits pour les femmes ou la soumission au machisme; Plus de souveraineté et plus d’intégration internationale ou d’isolement; Une plus grande protection de l’environnement ou un pillage sans restriction des ressources naturelles; Une action plus proactive contre la discrimination ou l’aggravation du racisme; Plus de tolérance et de diversité ou l’irrationalité médiévale d’un confessionnalisme extrémiste sont quelques-unes des options en jeu.

Le nouveau gouvernement de Lula au Brésil ne sera pas parfait. Cependant, et c’est pour cela que nous saluons sa victoire, celle-ci était nécessaire pour sortir de la catastrophe, un choix de continuer sur la voie de l’abandon de la préhistoire violente. Ceux qu’il a rallié à la dernière minute ne sont pas des alliés surs et tenteront de peser de tous leur poids pour empêcher une politique en faveur du peuple, d’indépendance nationale et de solidarité internationale avec les autres forces progressistes parce qu’ici comme ailleurs dans ces années de basculement du monde tout reste subordonné à l’intervention populaire et à la manière dont elle vaincra l’hégémonie capitaliste menée par les USA et son choix de la guerre et du fascisme. L’appel à la paix et à l’unité de Lula n’est pas valable que pour le Brésil et il pousse chacun vers des changements profonds pour éradiquer guerre et violence, c’est un processus dans lequel le monde entier est entré et dans lequel les pays du sud dans leur coopération jouent un rôle essentiel…


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