Au Qatar, plus de 34 000 plaintes pour « salaire non versé »

Mondial de football Une enquête de l’Organisation internationale du travail établit que les salaires non payés sont les principales causes de recours des travailleurs migrants exploités sur les chantiers des stades et autres grandes infrastructures de la pétromonarchie. Quand ils ont pu se pourvoir devant un tribunal…

Les victimes de l’esclavagisme mis en œuvre pour construire les stades et autres infrastructures de la Coupe du monde de football au Qatar se révoltent. Selon un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT), elles sont 34 425 à avoir porté plainte pour non-versement de leur salaire entre octobre 2021 et octobre 2022.

Toujours plus sur la défensive à mesure qu’approche le début de la compétition, le 20 novembre, et de l’afflux sur place d’une multitude de témoins potentiels et de journalistes, les autorités de la pétromonarchie ont dû lâcher un peu de lest en faisant, in extremis, quelques « réformes » sociales et juridiques. C’est dans cette brèche que se sont engouffrés certains ouvriers du Mondial pour recourir en justice, sachant que, pour ceux qui ont osé franchir le pas, le nombre réel de délits pratiqués par les groupes locaux du BTP doit forcément être démultiplié. «Les principales causes des plaintes, relève l’OIT, concernent le non-paiement des salaires et des indemnités de fin de contrat, et les congés annuels non accordés ou non payés.» L’organisation onusienne pointe elle-même l’ampleur cachée du phénomène en relevant que 66,5 % des conflits ont été réglés à l’amiable, contre 30,7 % devant les tribunaux du royaume, dans des procédures si accablantes que, huit fois sur dix, le juge a donné raison au travailleur.

À mesure qu’approche la date du match d’ouverture du Mondial, des législations ont donc été introduites comme celle, en 2021, concernant l’introduction d’un salaire minimum ou, plus tard, la protection des travailleurs contre l’exposition à la chaleur extrême. Il n’en est pas moins compliqué de blanchir un système qatari, installé de longue date, pour garantir une odieuse « optimisation » de l’exploitation de la main-d’œuvre immigrée venue du Népal, du Pakistan, du Bangladesh, du Sri Lanka ou d’autres pays pauvres d’Asie du Sud-Est.

un esclavagisme mis en place en toute opacité

Après que l’émirat a obtenu l’organisation de la Coupe du monde, en 2010, de multiples témoignages ont pu affleurer dans l’actualité et dévoiler peu à peu les rouages essentiels de ce système qatari : les travailleurs migrants se voient confisquer leur passeport à l’entrée dans le pays. Ils deviennent ensuite totalement tributaires de leur employeur. Et celui-ci rechigne très souvent à aller au-delà du gîte et du couvert qu’il leur accorde. Une organisation par définition esclavagiste peut ainsi se mettre en place en toute opacité. Pour ceux qui ont pu y survivre, la dénoncer et porter plainte, des milliers d’autres sont morts à cause de ces conditions de travail, contraints de trimer par des températures qui dépassent, durant une bonne partie de l’année, les 50 degrés Celsius.

Une enquête très minutieuse du quotidien britannique The Guardian révèle ainsi que « 6 500 travailleurs migrants sont morts au Qatar depuis l’attribution de la Coupe du monde ». En 2013, notre envoyé spécial Pierre Barbancey avait pu lever un coin de ce sordide voile dans un reportage qui lui vaudra d’être arrêté quelques heures par les sbires du royaume (1). L’OIT, saisie par une plainte de syndicats internationaux contre le Qatar en 2014, n’a pu être « installée » dans le pays que depuis 2018.

De nombreuses ONG, des syndicats et des associations de défense des droits humains craignent qu’une fois les projecteurs de la Coupe du monde éteints, les agapes du foot business terminées, le système qatari ne revienne à sa plus ignoble version et n’étende ses ravages. Ce qui les conduit à se tourner vers l’OIT pour que, surtout, elle reste sur place et intensifie même ses moyens d’observation et d’action.

(1) L’Humanité du 13 octobre 2013 : « Le Qatar veut cacher ses chantiers de la honte ».

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