Russie. Jean-Marie Collin : « La guerre a renforcé le danger nucléaire »

Jean-Marie Collin, directeur France de la campagne internationale pour abolir les armes nucléaires, décrypte la décision de Vladimir Poutine de suspendre la participation de son pays au traité New Start. 

Le 21 février, le général Andreï Kartapolov présente à la Douma le projet de loi qui remet en cause l’équilibre des forces nucléaires stratégiques. © Vladimir Fedorenko/Sputnik/SIPA

Le 21 février, le général Andreï Kartapolov présente à la Douma le projet de loi qui remet en cause l’équilibre des forces nucléaires stratégiques. © Vladimir Fedorenko/Sputnik/SIPA

Dans la partie de ping-pong rhétorico- diplomatique à laquelle se livrent, depuis quelques jours, le président Joe Biden et son homologue Vladimir Poutine, ce dernier a annoncé que la Russie suspendait sa participation au traité New Start, un potentiel tournant dans la guerre déclenchée il y a un an.

Que signifie, concrètement, la décision de la Russie de suspendre New Start ?

Jean-Marie Collin, Directeur d’Ican France

L’architecture de contrôle des armements est composée de traités bilatéraux et multilatéraux. Entré en vigueur en 2011 et prolongé en 2021 de cinq années supplémentaires, le traité New Start ne concerne que Moscou et Washington. Son objectif est d’assurer un réel équilibre des forces nucléaires stratégiques à travers des inspections et des mesures de contrôle.

Cette confiance mise en œuvre doit permettre de ne pas revenir dans une course aux arsenaux comme nous en avons connu en période de guerre froide. Nous pouvions espérer que ce traité puisse, après 2026, engager un nouveau processus, non pas de contrôle et de limitation des armements, mais bien de désarmement.

Désormais, comme Poutine a annoncé qu’il suspendait la participation de son pays à ce traité, ce canal de communication, de transparence et de confiance disparaît, laissant penser à un futur très complexe pour la vie de ce texte. La prochaine étape de Poutine pourrait bien être de s’en retirer totalement.

Il faut noter que le président russe a aussi averti de son possible non-respect d’un autre traité, le traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires (Tice). Un traité ratifié par la Russie en 2000 (et par la France et le Royaume-Uni en 1998), mais pas par les États-Unis. Un tel acte par un État membre du Tice serait le signe d’une spirale négative pour l’ensemble de cette architecture de contrôle des armements.

De plus, cela donnerait une certaine liberté d’action à la Corée du Nord, qui poursuivrait ses essais, et pourquoi pas donnerait des idées à d’autres États.

Cela renforce-t-il le spectre de l’utilisation de l’arme nucléaire ?

Ce risque est une réalité depuis le début de la guerre froide. Les puissances nucléaires, en particulier les États-Unis, la Russie, la France et le Royaume-Uni, disposent en permanence d’armes nucléaires prêtes à l’emploi. La guerre menée par la Russie a renforcé ce danger, et nous venons de traverser, comme nous l’expliquons dans une récente publication, « une année de menaces de guerre nucléaire ».

La mise en sommeil du New Start va rendre plus complexes certaines communications, même s’il semble que la procédure de notification de tir d’exercice va se poursuivre. C’est une bonne chose car, dans une période de tension, le plus grand danger reste bien la mauvaise interprétation d’une manœuvre militaire.

La guerre en Ukraine n’est-elle pas la preuve que l’arme nucléaire ne dissuade de rien ?

En toute objectivité, nul ne peut répondre de manière ferme par « oui » ou par « non » sur la réalité de la protection apportée par la dissuasion nucléaire. Par métaphore, nous pourrions dire : « Est-ce ou non votre porte-bonheur qui vous assure un voyage sans accident en avion ? »

Par contre, nous pouvons remarquer que, d’une part, des États disposant d’armes nucléaires sont entrés en guerre (URSS -Chine, crise de l’Oussouri en 1969) ou ont amené le monde près d’une crise nucléaire grave (Inde-Pakistan en 1999) et que, d’autre part, l’histoire montre aussi qu’un État non nucléaire peut entrer en guerre contre une puissance nucléaire (Syrie et Égypte contre Israël en 1973 ou Argentine-Royaume-Uni en 1982).

De plus, si le président Macron a indiqué aux Français, lors de son discours sur la Revue stratégique, le 9 novembre 2022, que la dissuasion prémunissait le territoire national de toute agression d’origine étatique, quelques semaines plus tard, il reconnaissait aussi que, malgré la dissuasion, le « territoire national n’est pas à l’abri de frappes isolées » de la part d’un État. Voilà un aveu de faiblesse qui devrait être pris en compte par les parlementaires lors de leur discussion de la loi de programmation militaire où près de 50 milliards d’euros devraient être budgétisés pour les forces nucléaires.

Enfin, et c’est le triste constat de cette guerre, désormais cette dissuasion est devenue « agressive ». Moscou a envahi l’Ukraine sous couvert de menaces nucléaires envers les États de l’Otan et de l’Union européenne ; des actes proférés via des discours et des exercices nucléaires. Nous avons donc la preuve flagrante que la dissuasion nucléaire ne crée pas la paix mais est créatrice de guerre et de barbaries à l’encontre des populations civiles.


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