Lundi 6 mars, après à peine une heure de réunion, la totalité des organisations syndicales a quitté la table des discussions sur la revalorisation. Un geste fort qui donne le ton à la veille d’une mobilisation massive contre les retraites. « Nous sommes face à un gouvernement qui n’a qu’une seule idée en tête : nous faire travailler plus » résume Sophie Vénétitay. « Le pacte est dans cette logique alors qu’on a une profession en souffrance, qui travaille dans des conditions dégradées et qui peine à recruter. Ce n’est pas acceptable, et ce pour l’ensemble des organisations syndicales. Nous voulons une revalorisation sans contrepartie ».
Toutes les organisations syndicales qui quittent la table des négociations, c’est assez rare. C’est ce qui s’est passé lundi 6 mars lors de la dernière réunion sur le volet pacte de la revalorisation. « Elles (Ndlr : les organisations) ont confirmation que le pacte est un instrument qui ne répond en rien aux attentes des collègues et aux besoins de l’École » indiquent-elles dans un communiqué commun. « Loin de contribuer à la revalorisation attendue par toutes et tous, le pacte va conduire à un alourdissement de la charge de travail des personnels. Aucune réponse n’est apportée sur la question des inégalités salariales femmes/hommes : le pacte va même aggraver ces inégalités, c’est inacceptable ! Enfin, le pacte va considérablement dégrader le fonctionnement des écoles et des EPLE ».
Dans une copie du document qu’a pu se procurer le Café pédagogique, on constate que les missions qui seraient intégrées dans le pacte auraient deux formes, forfaitaires ou quantifiées. Les missions forfaitaires seraient des missions définies dans le cadre d’une concertation locale – projets du fond d’innovation pédagogique, tutorat d’élèves à besoins particuliers, missions de coordination nouvelles pour le premier et le second degré. Participer à l’École ouverte, aux stages de réussite, à devoirs faits au collège et au soutien en sixièmes ferait partie du package des missions quantifiées, par unités de 24 heures, pour les enseignants du premier degré. Dans le second degré, il s’agirait des ateliers de découverte des métiers, du soutien en sixième, de devoirs faits et des remplacements à courte durée.
Dans cette configuration, les enseignants auraient la possibilité de cumuler plusieurs « unités de pactes » ou n’en faire qu’un demie (cf document), ce qui signifie d’une à quatre heure en plus par semaine.
Une revalorisation sous contreparties fortes
« Dès le début, nous étions contre, ce que propose le gouvernement. Nous sommes contre une revalorisation contre des missions supplémentaires qui aggravent les inégalités hommes-femmes» nous confie Jules Siran, co-secrétaire fédéral de Sud éducation. « Il y a un côté usine à gaz. Les enveloppes arriveraient dans les établissements et écoles jusqu’au 20 juin, il faudrait ensuite définir les besoins et se concerter pour cela. Les chefs d’établissements feraient ensuite un appel à candidature puis les enseignants devront se positionner. On voit mal comment il est possible d’organiser tout cela en si peu de temps. Cela nuit au fonctionnement des services et aux conditions de travail des enseignants. Mais plus grave, on a l’impression que ce pacte donnera un pouvoir nouveau à la hiérarchie et aux directeurs et directrices d’école qui décideront de qui recevra un pacte à 5 000 euros… »
« Nous avons quitté la réunion de discussion mais nous ne fermons pas la porte à toute discussion avec le ministère. On voit que le ministère a avancé sur les propositions qu’il nous a présenté, mais c’est encore insuffisant » tempère Catherine Nave-Bekht, secrétaire générale du SGEN-Cfdt. « Pour que des missions, exercées sur la base du volontariat, soient reconnues, il y a un coût en termes de charge de travail qui reste trop fort selon nous. Avant de pouvoir avoir une reconnaissance pour des tâches particulières, il faut nécessairement passer par un volume de 24 heures de remplacement de courtes durées ». Autre point de désaccord pour le syndicat, la non prise en compte des missions dévolues aux enseignants et enseignantes dans le cadre de l’école inclusive. « Dans la partie socle, le ministère reconnait la part de travail supplémentaire dans la prise en charge des besoins particuliers des élèves, mais la partie pacte aurait dû permettre de prendre en compte les réunions, concertations, les rendez-vous avec les parents. Ce n’est toujours pas fait, et cela pose problème ».
« On ne réussit pas à sortir du cadre initial qui est finalement travailler plus pour gagner plus » s’exaspère Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-UNSA. « Le ministère ne réussit pas à entendre les attentes de la profession ni même à donner du sens pédagogique à ce qu’il prévoit. On est dans une construction d’usines à gaz pour chercher à entrer dans les clous de promesses présidentielles : le CNR (Conseil National de la refondation) et le remplacement de courtes durées. Il n’y aucune proposition concrète pour faciliter les apprentissages des élèves et le travail des enseignants » Pour le syndicat, il y a une « nécessité à reconnaître les difficultés du métier tel qu’il est aujourd’hui avec des élèves plus difficiles et des élèves à besoins éducatifs particuliers ».
Moins de 100 euros par mois pour au moins 50h devant élèves, plus le travail de préparation
« Avec cette réunion, on a obligé le ministère à sortir du bois. Ils ont dû nous donner des exemples précis » nous explique Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU. « Le pacte standard, c’est 24 heures face élèves – dont les remplacements de courte durée, auxquelles on ajoute 24 heures de découvertes des métiers et 24 heures dans le cadre des projets CNR. C’est donc au moins 50 heures de travail, sans compter le travail de préparation en plus pour 3750 euros annuels bruts ». Soit moins de 100 euros par mois pour près d’une heure et demie par semaine devant élèves. « On a, dès le début, eu beaucoup de réticences au pacte mais on a joué le jeu, et on a demandé des éclaircissements. Le départ de l’ensemble des organisations syndicales aujourd’hui est un signal politique fort. On ne se reconnait pas dans cette logique du pacte ».
Pour Jean-Rémi Girard, président du SNALC, « au-delà de la logique du pacte – auquel on s’oppose depuis de début, s’ajoute un fonctionnement qui est une véritable usine à gaz : la réunionite, des directeurs d’écoles qui doivent faire tout et le reste. Il est très désagréable de se voir imposer telle ou telle mission pour pouvoir accéder à autre chose. C’est une forme de chantage pour pouvoir afficher qu’on remplace les remplacements à courtes durées et qu’on fait des heures de soutien au collège. Le risque à terme, c’est que tout devienne pacte ». Pour le responsable syndical, le pacte ne rattrape « absolument pas » le décrochage salarial et va amplifier les inégalités entre les hommes et les femmes, entre les personnels à temps partiel et temps complet…
Dans le premier degré « , le soutien en sixième reste prioritaire » déclare Guislaine David, secrétaire générale du SNUipp-FSU. « Depuis le début nous les alertons, toutes les missions qui permettraient de s’engager dans le pacte sont nouvelles. On ne sait toujours pas ce que le ministère entend par tutorat d’élèves à besoins particuliers ou les missions de coordinations nouvelles. Ce que l’on sait par contre, c’est que les missions de MAT (Maître d’Accueil Temporaire) et autres missions fondamentales pour faire fonctionner l’école ne sont pas présente dans le pacte. Tous les jours les professeurs des écoles font 20 min d’accueil qui ne sont pas comptabilisées dans leur obligation réglementaires de service, c’était l’occasion de rectifier le tir. Quand on a évoqué le sujet, le ministère avait l’air de découvrir cette situation… ». Pour la porte-parole du syndicat, le ministère doit « coller au discours du président : travailler plus pour gagner plus », ce qui expliquerait l’absence des missions existantes qui auraient dû être revalorisées grâce au pacte. Guislaine David alerte aussi sur la charge de travail qui incomberait aux directeurs d’école qui « signeraient et attesteraient le service fait », « tout cela risque de mettre à mal des collectifs déjà épuisés ».
Une prochaine réunion aura lieu le 13 mars. « Qu’elle ait lieu ou pas, j’ai autre chose, j’ai conseil de classe et cela sera autrement plus utile » prévient d’ores et déjà le président du SNALC.
Lilia Ben Hamouda
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