3,7 % des maires ont jeté l’éponge depuis les municipales de 2020. Un chiffre inédit qui traduit un ras-le-bol général, entre hausse des tensions avec les administrés et abandon de l’État.
Éplucher la presse locale suffit à prendre conscience de l’ampleur du phénomène. Ces dernières semaines, à Ossun (Hautes-Pyrénées), à Magny (Yonne), à Moutier-d’Ahun (Creuse), à Ouveillan (Aude), les maires ont rendu leur écharpe, avec le goût amer du devoir inaccompli.
Tantôt, l’abandon par les services de l’État et le manque criant de moyens face à une demande sociale toujours plus forte créent frustration et colère. Tantôt, les menaces et autres intimidations, en provenance notamment de l’extrême droite, font craindre aux édiles pour leur sécurité physique. Le 10 mai, la démission du maire de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), Yannick Morez, a mis en lumière des problématiques jusque-là passées sous silence. L’édile a vu sa voiture et sa maison incendiées par des militants d’extrême droite qui lui reprochaient son soutien au projet de déménagement d’un centre d’accueil pour réfugiés.
Les « laissés-pour-compte de la République »
Quinze jours plus tard, un grand rassemblement républicain était organisé sur la place du village. Ceint de son écharpe tricolore, Yannick Morez y est apparu ému. « Nous devons nous battre pour éviter que les élus locaux, particulièrement dans les petites communes, ne soient tentés de démissionner. Il est important d’avoir un soutien des autorités quand les projets viennent de l’État », a-t-il tonné.
Son départ a suscité une vague de solidarité partout dans le pays et aidé de nombreux maires à enfin mettre des mots sur leur mal-être. À peine quelques jours plus tard, la maire de Cénac, en Gironde, Catherine Veyssy, a envoyé sa lettre de démission à Emmanuel Macron, accompagnée de son écharpe tricolore.
Une façon symbolique de signifier son ras-le-bol et de tirer la sonnette d’alarme. Elle déplore que les maires soient devenus les « laissés-pour-compte de la République » et conclut son courrier ainsi : « L’État ne nous protège pas. L’État nous accable. Nous ne sommes pas entendus. »
Menaces et agressions
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans un entretien paru en avril dans « le Figaro », le président de l’Association des maires de France, David Lisnard (LR), s’émeut de voir les démissions d’élus locaux atteindre « un niveau jamais vu », le seuil des 1 000 maires démissionnaires ayant été franchi depuis le début de la mandature en 2020. « C’est encore plus rapide que lors du précédent mandat », a-t-il rappelé.
Selon les calculs établis par le ministère de l’Intérieur, quelque 1 293 édiles ont quitté leurs fonctions depuis les élections municipales de juin 2020, soit 3,7 % d’entre eux. Le souvenir du maire de Rezé, Hervé Neau, retrouvé mort dans son hôtel de ville l’an dernier, est encore présent dans la tête de nombreux élus. Dans une lettre écrite avant son suicide, il expliquait recevoir des « messages malveillants » et faisait part d’une « volonté manifeste » de lui nuire.
Les menaces et les agressions visant les maires sont une cause importante de démission. Pour le maire PCF de Grigny (Essonne), Philippe Rio, la situation ne peut plus durer. « J’ai l’habitude de dire que nous sommes les urgentistes de la République, à portée d’engueulades, voire de baffes. Pour autant, la violence contre les élus a clairement monté d’un cran, estime-t-il. La démission d’élus locaux n’a jamais été aussi forte, les chiffres sont inédits ! Ce constat ne doit pas nous tétaniser mais nous mobiliser. » Président de la Coopérative des élus communistes, il dénonce aussi « une ambiance nauséabonde impulsée par le président de la République ».
Une marche de 650 kilomètres contre « le désengagement de l’État »
L’AMF rapporte que les atteintes verbales ou physiques envers les élus locaux, notamment les maires et leurs adjoints, ont augmenté de 32 % entre 2021 et 2022. Sur le premier semestre de l’année 2020, 233 maires ont été agressés en France. En 2019, sur la même période, ils n’étaient que 198. Il y a quelques jours, le visage tuméfié de Claude Grauby, à Laroque-d’Olmes (Ariège), a fait le tour des réseaux sociaux et ému de nombreux Français. L’élue âgée de 77 ans, qui explique avoir « cru mourir » lors de son agression, s’est fait frapper par une habitante pour une querelle de voisinage.
À Caudrot (Gironde), le maire Jérémie Gaillard s’est lancé dans une longue marche de 650 kilomètres. Son objectif : rejoindre Paris pour protester contre « le désengagement de l’État » dans sa commune et le peu de soutien, notamment financier, aux projets en cours. Jérémie Gaillard y voit aussi le moyen d’alerter sur le manque de personnel communal et les services publics qui se font la malle. Tout en regrettant : « Pour obtenir des choses ordinaires, on doit faire des choses extraordinaires. » Il a finalement été reçu, début juin, par la ministre chargée des Collectivités territoriales, Dominique Faure.
Ensemble, ils ont discuté de propositions à mettre sur la table pour « faciliter les conditions d’exercice du mandat de maire dans les petites communes ». Denis Oztorun, maire (PCF) de Bonneuil (94), a pour sa part mené une lutte jusqu’au Conseil constitutionnel pour refuser la règle des 1 607 heures imposée aux agents par le gouvernement. « Une attaque contre le service public et la liberté des maires », selon l’édile, qui continue de dénoncer les mesures injustes après avoir été débouté par les sages. Les règles tombent mais les finances ne suivent pas.
La fin de l’autonomie fiscale des communes
De fait, les dotations versées aux communes par l’État, leur principale source de financement, se révèlent bien souvent insuffisantes. Depuis plus de dix ans, la baisse est quasi continue. En 2011, Nicolas Sarkozy a initié le processus en décidant d’un premier gel de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Sous François Hollande, les réductions se sont enchaînées. En 2012, l’enveloppe de la DGF dévolue aux communes était de 16,4 milliards d’euros. Cinq ans après, elle n’était plus que de 11,7. Une purge de presque 30 % des sommes allouées aux villes et villages a ainsi été infligée.
Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, les montants de la DGF sont, au global, plutôt stables. Pour les communes, elles se portent en 2023 à 12,2 milliards d’euros. Mais, dans les faits, les disparités sont énormes. Les communes de plus de 200 000 habitants perçoivent en moyenne 128 euros par an et par habitant, là où celles de moins de 500 habitants touchent 64 euros.
En plus de son poste de maire, Roch Chéraud travaille dans le privé. Un double statut épuisant et chronophage. L’édile plaide pour « une réforme de l’élu salarié ».
Le sentiment de ras-le-bol repose aussi sur un transfert de charges toujours plus important, et donc incompatible, selon les élus locaux, avec les coupes dans leurs budgets de fonctionnement. D’autant que les maires sont aujourd’hui privés d’une compétence autrefois essentielle : la levée de l’impôt.
La taxe d’habitation a été supprimée par Emmanuel Macron. Celle sur la valeur ajoutée des entreprises a été sucrée par Nicolas Sarkozy en 2010. Les communes se trouvent ainsi privées de toute autonomie fiscale, ce qui nuit à leur libre administration. À Ambérieux-en-Dombes (Ain), la maire Christine Fornes raconte devoir constamment se creuser la tête pour lancer de nouveaux projets. Elle n’est pas sur le départ mais reconnaît que sa mission vire quotidiennement au casse-tête. « Je veux bien savoir tout faire, et être imaginative, mais là on nous demande de faire mieux avec moins. Une fois qu’on a fait toutes les économies possibles, on fait quoi ? ».
Répondre à l’exigence sociale
Une situation qui, en plus d’affecter les maires, touche en premier lieu les habitants de classes populaires. « On est beaucoup sollicité, mais nos moyens ne sont pas suffisants pour répondre à l’exigence sociale. En pleine crise, et après le Covid, les habitants et les associations aimeraient être beaucoup plus soutenus », regrette le maire PCF d’Allonnes (Sarthe), Gilles Leproust. L’élu parle de « frustration » à voir ses marges de manœuvre de plus en plus réduites, malgré « un besoin fort de services publics ». « Parfois, ça me dérange la nuit », confie-t-il. Malgré des effets de communication et de grands discours au sommet de l’État, le communiste déplore : « Il y a une vraie pression sur nos épaules. Les habitants, comme les élus, ne sont pas reconnus, pas respectés. »
S’il y en a une pour qui tout va bien, c’est la ministre Dominique Faure. Dans une interview au HuffPost, l’ancienne maire de Saint-Orens-de-Gameville (Haute-Garonne) explique que « ceux qui démissionnent ont en général été élus en 2020 et n’avaient pas réalisé à quel point un maire est dans le don de soi, le sacrifice de sa vie privée et comme la charge administrative est lourde ».
Quant à 2026, date des prochaines municipales, elle ne semble pas particulièrement inquiète. « Je pense qu’il y aura des candidats et candidates grâce à nos mesures et parce que beaucoup de gens veulent le pouvoir ! » Sur le terrain, le ressenti global n’est pas le même. À Lussan (Gard), classé parmi les plus beaux villages de France, le maire est très préoccupé. Il le sait : « Personne ne veut devenir maire. » Alors il demande : « Qui prendra la relève ? »
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