Bons clients des plateaux télé ou figures d’influence sur les réseaux sociaux, une poignée de fonctionnaires de police s’est imposée dans le paysage médiatique, ces dernières années, pour diffuser un discours toujours plus sécuritaire.
Ils ne sont pas toujours syndiqués, mais se sont imposés dans les médias, traditionnels ou sociaux, car ils en maîtrisent les codes. À l’heure où la fonction d’influenceur se décline dans tous les secteurs, la police n’échappe pas à la règle. Qu’ils soient des idéologues réactionnaires assumés ou prétendent faire de l’éducation populaire, ces policiers hyperconnectés sont suivis par des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes, et totalisent d’autant plus de vues.
Selon le journaliste David Dufresne, fondateur du média indépendant auposte.fr, ce phénomène épouse celui de la société : la libéralisation de la parole. Oui, mais à quel prix ? Car, par manque de modération, ces flics 2.0 peuvent déployer des discours violents, voire une rhétorique conspirationniste qui fait écho à celle de l’extrême droite. « Aussi détestables soient-ils, ces contenus sont le thermomètre des convictions portées au sein de la police », explique encore David Dufresne. L’Humanité a tiré le portrait de cinq d’entre eux.
Rida, opération séduction
Lui veut être la belle vitrine de sa maison. En apparence éloigné des débats politiques, Rida a une tout autre approche : redorer l’image de la police et en faire la promotion auprès de la jeunesse. Postées sur les réseaux sociaux, ses photos et vidéos ont des faux airs de campagne de recrutement. Bras musclés, sourire Colgate, rasé de près, Rida se met en scène en uniforme dans la rue, près des jeunes, à la salle de sport…
Devenu star des réseaux sociaux, avec plus de 120 000 abonnés sur son compte TikTok, depuis supprimé, il vante les mérites de la police et livre un discours bienveillant sur les convictions sociales et patriotiques attachées au port de l’uniforme. Le trentenaire compte toutefois parmi les adhérents du très droitier syndicat Alliance et affiche aussi sa proximité avec Matthieu Valet, secrétaire national adjoint du Syndicat indépendant des commissaires de police, séduit par son discours musclé et volontiers populiste. Si Rida a su se construire une notoriété médiatique, c’est sans doute que le monde du spectacle ne lui est pas étranger : adolescent, il intègre le TN Crew, le groupe de danse des rappeurs de Sexion d’Assaut, qu’il suivra pendant six ans en tournée.
Dans un entretien accordé au média en ligne StreetPress, il affirme avoir appris, lors de cette expérience, « la discipline et le respect de hiérarchie ». Après avoir porté l’uniforme d’agent de sûreté ferroviaire à la SNCF, il entre dans la police en 2017 et dit n’avoir qu’un seul défi : restaurer l’image des forces de l’ordre dans les quartiers populaires. Quitte à se mettre en scène en grand frère moralisateur dans ses vidéos, conseillant aux jeunes d’ « aller trouver du boulot au lieu de traîner en bas des tours ».
Andy Cops, le cow-boy de TikTok
Sensations fortes et courses-poursuites comme dans le jeu vidéo Grand Theft Auto. C’est ainsi qu’Andy Cops, policier et motard de la Brav-M, met en scène son quotidien. Avec plus de 200 000 abonnés sur TikTok et près de 80 000 sur Instagram, le jeune fonctionnaire se dit « ambassadeur » de son unité très controversée. Vêtu de noir, entièrement cagoulé, suréquipé, casque sur la tête, Andy Cops s’imprègne des codes des films d’action et joue le cow-boy : il roule à toute vitesse, grille les feux rouges, monte sur les trottoirs. À moto, sa caméra piéton documente ainsi l’action des brigades mobiles, critiquées pour leur ultraviolence dans leurs interventions.
Voir aussi :Comment arrêter les motards de la Brav-M ?
Lors des révoltes urbaines qui ont suivi la mort du jeune Nahel, Andy Cops publie une vidéo des événements sur ses réseaux sociaux et commente : « Nous ne lâcherons jamais le terrain face aux voyous. Force doit rester à la loi. » Sur son compte, il se met en scène, en photo ou en vidéo, aux côtés de personnalités tel le comédien Michaël Youn, le cuistot Philippe Etchebest ou encore la star du doublage français Donald Reignoux, voix de Titeuf et Spiderman.
Bruno Attal, le héraut des fachos
« Policier révoqué par Darmanin en attente de réintégration, devenu journaliste. » Voilà pour sa biographie sur X (ex-Twitter). Héraut de la fachosphère, président du syndicat groupusculaire France Police, Bruno Attal a probablement la stratégie la plus radicale de tous : quand un policier est mis en cause, il conteste systématiquement l’accusation et cherche à contredire le récit des victimes, voir à crier au complot anti-flic. C’est avec l’affaire Michel Zecler qu’il commence à se faire un nom dans les médias, à l’automne 2020. Le producteur de musique martiniquais est passé à tabac par la police, au prétexte qu’il ne porte pas son masque en plein confinement. Bruno Attal impose alors sa propre grille de lecture, via sa chaîne YouTube créée à cette occasion, Touche pas à mon flic : « La police fait l’objet d’une campagne médiatique ordurière sans précédent de médias extrémistes et orientés politiquement. »
Son contre-récit est relayé par des influenceurs d’extrême droite et des journalistes de Valeurs actuelles. « Il n’y a pas eu de violences illégitimes », estime-t-il encore, les policiers mis en cause « ont été condamnés, voire lynchés sur la place publique ». Concernant l’affaire Hedi, victime d’un tir de Flash-Ball à bout portant à Marseille, il récidive, et accuse le garçon d’avoir menti. Habitué des plateaux de Cyril Hanouna, qui l’invite régulièrement, il enchaîne ainsi les discours violents, les raccourcis douteux et les propos complotistes, racistes et sexistes – convaincu que le terme même de violences policières « est un slogan de l’extrême gauche pour avoir le vote des racailles ».
On le sait proche de l’influenceur d’extrême droite Papacito et d’Éric Zemmour, président de Reconquête, qui l’a investi dans le Rhône aux législatives. Après la mort de Nahel, Bruno Attal félicite, sur son compte Twitter, les « collègues qui ont ouvert le feu sur un jeune criminel de 17 ans ». Des propos jugés « inacceptables et abjects » par le ministre Gérald Darmanin, qui a fini par révoquer Bruno Attal de la police, au sein de laquelle il a été par ailleurs épinglé pour son absentéisme.
Linda Kebbab, la grande gueule
C’est en s’en prenant vertement aux gilets jaunes, en 2018, que Linda Kebbab s’est offert son rond de serviette dans les médias. Alors fraîchement nommée déléguée nationale du syndicat SGP police FO, elle se définit alors comme « porte-souffrance des policiers ». En tête d’affiche du mouvement des Policiers en colère, elle a fait de sa grande gueule une signature. « J’ai choisi de dire tout haut ce que notre devoir de réserve devrait, selon nos chefs, nous contraindre à penser tout bas », peut-on lire dans la préface de son premier livre, Gardienne de la paix et de la révolte, publié en 2020 aux éditions Stock.
La syndicaliste fait partie de ceux, nombreux dans la police, qui réclament un traitement juridique spécifique – pour ne pas dire de faveur. De ceux, aussi, qui réfutent catégoriquement le terme de violences policières. Sur Nahel, elle s’en tient à la version de ses collègues, et va même jusqu’à accuser la défense du jeune homme, abattu à Nanterre le 27 juin, de mensonges. Lorsque éclate la polémique de la cagnotte pour la famille du policier tueur, à l’initiative du polémiste d’extrême droite Jean Messiha, Linda Kebbab dit comprendre la vague de soutien, tout en essayant de faire la promotion d’une autre cagnotte « apolitique », créée par les policiers.
Elle étrille aussi régulièrement les défaillances de sa maison – locaux vétustes, « justice laxiste » – et remet en question certaines décisions de sa hiérarchie à qui elle reproche sa lâcheté. Née en 1981 en banlieue lyonnaise, elle s’imaginait, petite, grand reporter, pour « être d’utilité publique », raconte-t-elle. C’est en croisant une patrouille de police en intervention, alors salariée d’une entreprise d’import-export, qu’elle aurait décidé de changer de cap et réussi à intégrer l’école de police de Fos-sur-Mer. Selon le Point, elle a pour projet la création d’un think tank dédiée à la sécurité.
Abdoulaye Kanté, l’« enfant de la République »
« Flic, noir et musulman. » C’est sur cette équation qu’Abdoulaye Kanté a forgé son personnage. Il n’est ni affilié à un syndicat ni inscrit à un parti politique, mais s’est créé une communauté de plusieurs dizaines de milliers d’abonnés en affichant presque quotidiennement sa fierté de l’uniforme sur les réseaux sociaux. Il s’impose, lui aussi, comme un défenseur acharné de sa corporation, qui n’a, à ses yeux, jamais tort. À la mort du jeune Nahel, le fonctionnaire parle de « policiers qui ne font que leur travail » et engage à « s’arrêter lorsque la police le demande ». Le lendemain, pour défendre son camp, il est invité au micro de Sud Radio où il regrette que « certain opportunistes en profitent pour faire de la récupération et du lynchage de policiers ».
Fermement convaincu que « le racisme systémique dans la police n’existe pas », brandissant sa couleur de peau comme preuve de ce qu’il avance, il signe en février 2022 son premier livre, aux côtés du journaliste Jean-Marie Godard, Policier, enfant de la République, aux éditions Fayard. Dans cet ouvrage, Abdoulaye Kanté demande le retour de la police de proximité et livre dans sa préface un plaidoyer pour la défense de sa profession. Fils d’immigrés malien, Abdoulaye Kanté est né en 1978 dans le Val-de-Marne. Alors qu’il est âgé de tout juste 2 ans, sa famille quitte la France pour rejoindre le Mali, où il vivra une partie de sa jeunesse. Peu de temps après son retour dans l’Hexagone, Kanté intègre la marine nationale, en 1995, sur les conseils de son oncle.
Un récit qu’il aime retracer dans les médias qui l’invitent, comme France Culture : « C’est là que j’ai compris ce qu’est être utile aux autres, les valeurs républicaines, la France. » Passé par police-secours du 11 e arrondissement, la BAC, les « stups » puis la police judiciaire de Seine-Saint-Denis, Abdoulaye Kanté officie aujourd’hui, selon nos informations, comme chauffeur affecté à la Direction de la coopération internationale de sécurité du ministère de l’Intérieur (DCI).
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