Ian Brossat : « Remettons la question sociale au cœur du débat politique »

Pour la troisième année consécutive, Carole Delga a rassemblé ses soutiens issus de la plupart des organisations politiques de gauche. Ce weekend à Bram (11), intitulé « Les rencontres de la gauche », était organisé autour d’ateliers thématiques. Ian Brossat, porte-parole du Parti Communiste Français, a participé à celui sur « la Gauche : des idées communes pour changer la vie ».

Julien Sueres

Tarn et Garonnais • Engagé pour les locataires et le droit au logement • Team #FabienRoussel pour de nouveaux #JoursHeureux

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Ian Brossat lors d’un atelier aux rencontres de la gauche à Bram (11)

Retrouvez ci-dessous quelques-unes de ses analyses. Entretien.

La gauche a besoin de se parler aujourd’hui pour aspirer à la victoire ?

Ian Brossat : C’est quand même pas mal de pouvoir débattre entre nous à gauche dans une ambiance chaleureuse. Ça change de ce qu’on peut voir parfois sur nos écrans de télévision. La question posée est très juste. Je suis frappé par une chose. Certains nous expliquent du matin au soir que le seul sujet que la gauche aurait à affronter aujourd’hui c’est la question de l’union, la question du rassemblement. Or nous sortons quand même d’une séquence 2022 où lors des élections législatives nous avons réalisé une forme d’union et nous avons échoué. Nous avons collectivement échoué. Cela doit nous interroger. Car si l’union est la seule condition à la victoire de la gauche, alors nous aurions dû réaliser de bien meilleurs résultats aux élections législatives.

On se retrouve aujourd’hui avec une assemblée où seulement un député sur quatre est de gauche et les trois quarts de droite ou d’extrême droite. Non seulement nous avons échoué, mais en plus nous avons désormais 90 députés d’extrême droite. C’est un évènement sur lequel on ne s’est pas suffisamment interrogé. Désormais le RN gagne des duels face à ce qu’on appelait le camp républicain. Longtemps on disait qu’il ne fallait pas de proportionnelle car cela allait faciliter l’entrée du RN à l’assemblée. Or aujourd’hui, nous n’avons pas de proportionnelle. Et avec un mode de scrutin à deux tours, malgré tout, le RN entre en masse à l’assemblée.

Tout cela doit nous interroger sérieusement, sur ce que nous avons fait aux dernières législatives, et sur les moyens que nous nous donnons pour que demain notre rassemblement soit victorieux.

Justement, pour permettre un rassemblement victorieux, de quoi la gauche a besoin de débattre aujourd’hui ?

Ian Brossat : A mon sens, la question clé est de regarder sur quoi porte le débat politique dans notre pays.  On a aujourd’hui un décalage monstrueux entre un débat politique qui porte sur des questions absurdes, et on a quand même passé des semaines à débattre de l’uniforme à l’école, alors même que des millions de nos concitoyens n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois. Nous avons aujourd’hui des millions de gens qui travaillent dur et qui en même temps ne s’en sortent pas à cause du niveau de l’inflation.

Donc à mon sens, tout le travail de la gauche, tous nos efforts doivent permettre de remettre les questions sociales au cœur du débat politique. Faire en sorte que les préoccupations de ces dizaines de millions de personnes qui ne s’en sortent pas tiennent le haut du pavé, et que ce soit de cela qu’on parle du matin au soir sur nos écrans.

Parce que bien sûr, il y a les programmes que l’on fait. On peut faire un programme avec 600 mesures, c’est très bien sauf que de fait, on ne va pas parler de ces 600 mesures tous les jours, donc la question est de savoir ce que les gens retiennent de ce qu’on dit.

Or mon sentiment aussi, est qu’à force de répondre à toutes les polémiques lancées par la droite et l’extrême droite, on contribue à faire de ces sujets absurdes le cœur du débat politique. Je pense que nous devons consacrer plus de temps à mettre sur la table nos propres sujets, en particulier la question sociale, plutôt que de passer notre temps à répondre aux provocations de la droite et de l’extrême droite.

Les élections européennes qui approchent semble plutôt un sujet de division ?

Ian Brossat : Sur l’Europe. Il faut qu’au sein de l’Union Européenne, des Etats, y compris dans les diverses options qu’ils portent, puissent coopérer entre eux indépendamment de ce qu’il se passe à l’échelle de l’ensemble de l’union. C’est le seul moyen de s’en sortir. Rendez-vous compte qu’aujourd’hui on nous impose l’austérité budgétaire partout et d’ailleurs le gouvernement vient de présenter par avance 4 années de cure d’austérité avec 12 milliards d’euros d’économies dans les budgets qui viendront pour atteindre un déficit en 2027 qui ne devra pas dépasser 3% du PIB. Et le gouvernement le présente au nom des impératifs de l’UE.

Aujourd’hui, un pays comme la Pologne, dispose de dérogations de l’UE pour ne pas signer la charte sur des droits fondamentaux parce qu’elle engendrerait un risque d’égalité entre les couples hétérosexuels et homosexuels, et dans le même temps il est forcé d’obéir aux règles européennes sur le plan budgétaire. C’est quand même une absurdité. Nous avons une union européenne qui considère qu’il est plus grave de déroger aux règles budgétaires qu’aux droits de l’homme.

Au vu de tout cela, nous devons pouvoir débattre honnêtement de nos conceptions de l’UE car si demain nous voulons que la gauche gagne, et si nous voulons qu’elle mène une politique de gauche en Europe, elle devra bien déroger à certaines règles de l’Union Européenne, donc autant le dire d’emblée et avoir la franchise de débattre de ces questions.

Tu penses qu’il y a encore des raisons de garder espoir et de ne pas sombrer dans le pessimisme à Gauche ?

Ian Brossat : Il est vrai que lorsqu’on regarde l’état de la gauche à l’échelle nationale sur nos écrans de télévision, on peut avoir envie de désespérer. Pourtant on a quand même beaucoup de raisons d’être plein d’espoir pour ce que nous sommes capables de faire tous ensemble. Pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, quand on regarde ce que disent les français sur plein de sujets que nous portons, ils sont d’accords avec ce que nous disons. Ils sont une écrasante majorité favorable à un meilleur partage de la richesse, favorable à l’augmentation des salaires, du SMIC et des retraites, favorable au rétablissement de l’impôt sur la fortune. Donc l’idée selon laquelle on aurait un paysage politique qui aurait dérivé vers la droite ou l’extrême droite ne correspond pas à la réalité, en tout cas pas sur ces sujets-là, ni sur les grandes questions économiques et sociales.

Nous devons donc nous appuyer là-dessus. Sur les grandes questions économiques et sociales, je crois que nous avons quand même gagné une forme d’hégémonie culturelle depuis plusieurs dizaines d’années. Car la majorité des gens voit bien que les logiques libérales, les logiques de marché nous conduisent à notre perte. A la fois sur le plan économique et social comme sur le plan environnemental. Donc l’idée qu’on a besoin d’une rupture avec ces logiques est une idée qui a gagné dans les têtes. Appuyons-nous là-dessus.

Ensuite, ne cédons pas au pessimisme car à l’échelle locale, à gauche, nous sommes capables de faire des choses formidables. On le voit à Paris où malgré tout ce qu’on dit nous avons une gauche rassemblée depuis 20 ans et qui a par exemple contribué à doubler le taux de logements sociaux. On est passé de 13% à 25% de logements sociaux à Paris. Donc si on est capable de faire de telles choses au niveau local, nous devons être capable de le faire à l’échelle nationale.

Enfin, la clé pour y arriver, c’est d’être capable de rassembler le monde du travail. On est obsédé par l’union des forces politiques, mais la question vraiment est de savoir comment rassembler le monde du travail. Comment réussir à rassembler autour de nous les millions de gens qui ont manifesté contre la réforme des retraites, les 3 français sur 4 qui se sont mobilisés. Le monde du travail, ceux qui travaillent et qui veulent vivre de leur salaire, ceux qui ont travaillé toute leur vie et qui veulent vivre de leur retraite, ceux qui sont privés de travail et qui voudraient demain avoir accès à un emploi. Rassembler tout ce monde du travail, c’est cela qui demain permettra à la gauche de dépasser ses divisions et de conquérir le chemin de la victoire.

Illustration 2Plusieurs personnalités de Gauche ont participé au débat © Julien Sueres

 

 


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