Aux Césars, les mots de Judith Godrèche et le sacre de Justine Triet 

La comédienne devenue le symbole du #Metoo à la française a secoué une cérémonie émaillée par plusieurs prises de position politiques sur les violences faites aux femmes et sur Gaza. Palme d’or à Cannes, le film Anatomie d’une chute de Justine Triet est couronné par six Césars.

Vendredi soir, Judith Godrèche a regardé le cinéma français dans les yeux. Depuis quelques jours, la presse annonçait une prise de parole de l’actrice aux Césars pour témoigner, au nom de toutes les victimes, des violences sexistes et sexuelles dans le 7e art et dans l’ensemble de la société.

Quarante minutes après le début de la cérémonie, la comédienne a prononcé face à ses pairs un discours d’une puissance rare, dont il faudrait reproduire chaque mot, salué par une standing ovation : « Depuis quelque temps la parole se délie, l’image de nos pairs idéalisés s’écorche, le pouvoir semble presque tanguer. Serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face, prendre nos responsabilités ? (…) Depuis quelque temps je parle, je parle, mais je ne vous entends pas, ou à peine. Où êtes-vous, que dites-vous ? Un chuchotement, un demi-mot, ce serait déjà ça dit le petit chaperon rouge. Je sais que ça fait peur, perdre des subventions, perdre des rôles, son travail », a-t-elle martelé. Appelant le milieu du cinéma à prendre ses responsabilités et à donner l’exemple, car « le monde nous regarde », Judith Godrèche a parlé au nom des « 2 000 personnes qui (lui) ont envoyé leur témoignage en 4 jours ». Avant de dessiner les contours d’une possible révolution : « Il faut se méfier des petites filles, elles touchent le fond de la piscine, elles se cognent, elles se blessent mais elles rebondissent. Les petites filles sont des punks (…) elles aiment se repasser ce dialogue de Céline et Julie vont en bateau (de Jacques Rivette NDLR). (…) Il était que cette fois, ça ne se passera pas comme ça, pas comme les autres fois.»

Sophie Binet devant l’Olympia pour soutenir les victimes

Plus tôt dans la soirée, plusieurs collectifs et syndicats, dont la CGT spectacle, la Ciivise et le collectif 50/50, avaient organisé un rassemblement devant l’Olympia où se tenait la cérémonie, brandissant des pancartes : « 160 000 enfants dans le cinéma et ailleurs », « Agresseurs, violeurs, prédateurs, pédocriminels, vous n’aurez plus un jour de paix ». La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a affirmé son soutien aux victimes : « Ce soir, je pense à Judith Godrèche, mais aussi à Anna Mouglalis, à Anouk Grinberg, à Isild Le Besco, à Sarah Grappin, à Julia Roy, à Vahina Giocante, à Laurence Cordier et à toutes les autres. Je pense aussi à Adèle Haenel, à Camille Kouchner ou à Charlotte Arnould qui en 2019 avaient déjà ouvert la boite de Pandore. Je pense à ces milliers de femmes victimes de violence sexuelles et sexistes. Je leur dit, au nom de la CGT, je vous crois, vous n’êtes pas seules, vous n’y êtes pour rien. »

On aurait aimé, entre les murs de la mythique salle parisienne, la même franche solidarité. Dans le cadre corseté de la grand messe diffusée par Canal Plus – chaîne du groupe Bolloré – en présence de la nouvelle ministre de la Culture Rachida Dati, quelques interventions se sont démarquées. Comme celles des comédiennes Ariane Ascaride et Bérénice Béjo, très émues par les mots de Judith Godrèche. Comme celle aussi d’Audrey Diwan, réalisatrice de l’Evénement  (d’après le livre d’Annie Ernaux), venue remettre le César du meilleur scénario : « Personne ne soutient les victimes dans cette salle? », a-t-elle interpellé, jetant un froid dans l’assemblée. La politique, pourtant, n’était pas absente de cette 49e cérémonie des Césars. À travers les prises de paroles chronométrées (pas plus d’une minute) des lauréats ou des « remettants », certains sujets qui fâchent se sont invités dans  l’exercice d’auto-célébration du cinéma français : la réalisatrice et scénariste Kaouther Ben Hania, César du meilleur documentaire pour les Filles d’Olfa, s’est saisie de la tribune qui lui était offerte pour alerter sur le sort de Julian Assange et la situation à Gaza. « Il faut que le massacre cesse », a-t-elle affirmé. Arieh Wothalter, meilleur acteur pour le Procès Goldman, a également envoyé un message de paix, très applaudi : « Je me joins (…) à un appel pour un cessez-le-feu à Gaza parce que la vie le demande, celle des Gazaoui et celle des otages, parce que nous sommes unis en tant qu’espèce, parce qu’à la lumière des enseignements des douleurs passées, le chemin qui est emprunté ne s’inscrit pas dans une réparation du monde. »

“Celles et ceux qui font bouger les us et coutumes d’un très vieux monde”

On en oublierait presque un palmarès réjouissant qui s’est clôt par le sacre de Justine Triet, deuxième femme, après Tonie Marshall, à recevoir le César de la meilleur réalisation. Avec six statuettes, dont celui du meilleur film, du meilleur scénario, du meilleur montage pour Laurent Sénéchal, de la meilleure actrice pour l’impeccable Sandra Hüller, de l’acteur secondaire pour Swann Arlaud, l’équipe d’Anatomie d’une chute coiffe au poteau celle du Règne animal, de Thomas Cailley, qui repart avec cinq récompenses. « Je ne quitterai pas ce plateau sans louer celles et ceux qui font bouger les us et coutumes d’un très vieux monde où le corps étaient implicitement à la disposition des corps des autres », a conclu Justine Triet dont la parole, après son discours choc à Cannes, secoue décidément le cinéma français. Puisse ce vieux monde vivre ses derniers instants.

Sophie Joubert

 


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