Éducation : l’étrange rentrée de Nicole Belloubet
Au titre de la « continuité de l’État », la ministre démissionnaire de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, a présenté la rentrée 2024 avec une forme de détachement assez incongrue. Les syndicats ont annoncé, eux, un premier préavis de grève pour le 10 septembre.
La différence entre la rentrée scolaire et la guerre de Troie, c’est que la première aura bien lieu, même avec une ministre démissionnaire et un gouvernement censé se contenter d’expédier les « affaires courantes ». « Les sonneries des salles de classe ne se calent pas sur celles du Palais-Bourbon » a ainsi lancé Nicole Belloubet pour ouvrir la traditionnelle conférence de presse de rentrée, rappelant que les 12 millions d’élèves, leurs familles, et les 1,2 million de personnels, seront quoiqu’il arrive au rendez-vous du 2 septembre. Malgré tout on a senti, à certaines nuances de son discours, que son temps rue de Grenelle touchait probablement à sa fin.
Sujet déterminant, le budget fait partie de ces domaines où la ministre sortante s’est autorisé une forme de prise de distance. Tout en justifiant la reconduite à l’identique en 2025 des montants adoptés pour 2024, tels que figurant dans les « lettres plafond » envoyées par Matignon, elle a souligné que pour son ministère, dont les rémunérations des personnels constituent la première dépense, cela impliquerait « une rigueur budgétaire particulière ». « Le budget de l’Éducation nationale devrait être a minima sanctuarisé », a-t-elle lancé… tout en renvoyant à la balle au « prochain gouvernement », qui « devra y être très attentif ».
L’échec de l’uniforme et de la « prépa seconde »
Révélateur aussi, le silence de la ministre sur l’expérimentation de l’uniforme. Il a fallu attendre les questions des journalistes pour qu’elle révèle l’échec de cette mesure, envers laquelle elle n’avait d’ailleurs jamais fait preuve d’un enthousiasme débordant : seulement 90 établissements scolaires s’en sont saisis, sur plus de 50 000.
Même sort pour les classes « prépa seconde », destinées aux élèves ayant échoué au brevet des collèges : moins de mille élèves volontaires, dans les quatre départements où l’expérience a été menée… Sur le sujet du brevet, Nicole Belloubet a, au passage, confirmé que le décret qui devait rendre son obtention obligatoire pour passer en classe de seconde était « gelé ».
C’était l’un des piliers du « choc des savoirs » voulu par Gabriel Attal, l’autre étant la mise en place des groupes de niveau (rebaptisés « groupes de besoin ») en 6e et en 5e, pour le français et les mathématiques. Cette mesure-là, la plus critiquée pour son aspect de tri social, entre bien en vigueur en cette rentrée – mais « avec pragmatisme et souplesse », a précisé Nicole Belloubet.
De fait, entre contraintes matérielles (manque de professeurs et de salles) et choix des équipes (dans de nombreux collèges, les enseignants se sont fortement mobilisés contre cette mesure), il faudra sans doute attendre quelques semaines après la rentrée pour juger de leur mise en œuvre effective.
Toujours plus d’enseignants contractuels
Dernier point d’importance : la crise de recrutement. Malgré les 3 200 postes non pourvus aux concours, la ministre démissionnaire n’a pas craint d’affirmer être « tout proche de nos objectifs de couverture à 100 % des besoins en enseignants ». Par quel miracle ? Outre les concours exceptionnels, elle n’a pas craint de se féliciter de la « reconduction des contractuels » déjà embauchés l’année passée, et des « efforts » des académies pour en trouver de nouveaux. On ne saurait mieux assumer l’institutionnalisation du recours à ces personnels précaires et peu formés, dont la part dans les effectifs ne cesse de grimper.
Il n’y a, dans ce tour d’horizon, guère de quoi rassurer ni les familles, ni surtout les enseignants, particulièrement malmenés par 7 ans de politique éducative macronienne. Et si on ignore qui sera ministre le 10 septembre, il ou elle lui faudra affronter la première grève de l’année : les syndicats FSU-Snuipp, CGT Éduc’Action et SUD Éducation ont d’ores et déjà lancé pour ce jour un appel à la grève et au boycott des évaluations standardisées obligatoires en primaire.
Jugées à la fois inutiles, orientées et « source de stress pour les élèves, leurs familles et les enseignants », a expliqué le 26 août Guislaine David, co-secrétaire générale de la FSU-Snuipp, elles ont surtout pour but « d’uniformiser les pratiques au détriment de la liberté pédagogique des professeurs des écoles ».
Quelques jours auparavant, le 5 septembre, en Seine-Saint-Denis, théâtre l’an dernier d’une longue grève contre le choc des savoirs et pour « un plan d’urgence pour l’éducation » dans ce département sinistré, l’intersyndicale CGT-FSU-SUD aura déjà appelé à une assemblée générale qui pourrait déboucher rapidement sur une relance du mouvement. Des luttes qu’il sera difficile d’évacuer au titre des « affaires courantes ».
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