Pour éviter d’autres inondations, ces habitants réclament des haies et des arbres (Pas de Calais)

Échaudé par les terribles inondations de l’hiver dernier, un collectif d’habitants du marais audomarois (Pas-de-Calais) milite pour renaturer les sols détruits par l’agriculture intensive. Le but : retenir l’eau en amont.

« Il y a une peur panique dès qu’il pleut », soupire Michel Dewalle, 82 ans. « Je n’ai pas peur, enfin… Je dis que je n’ai pas peur, mais je regarde Vigicrue à dix jours », sourit Jacques Flandrin, 70 ans.

L’humain, croyait-on, avait réussi à dompter les eaux, grâce aux canaux, aux wateringues (des fossés) et plus récemment aux pompes, situées dans le marais et à l’embouchure du fleuve Aa, du côté de Dunkerque. Mais en novembre 2023 et janvier 2024, ce fut la catastrophe : le marais a connu les pires inondations de son histoire moderne. Juste devant chez Jacques et Michel, les stigmates de la catastrophe sont encore palpables : un bateau retourné — on ne sait pas comment il est arrivé là — une maison abandonnée, un bout de ruban de signalisation accroché à un poteau…

Alors pour ne plus revivre cela, en un an, les habitants échaudés n’ont pas chômé. Le collectif des habitants du marais — Michel Dewalle et Jacques Flandrin font partie des fondateurs — est né au printemps 2024, afin d’interpeller les décideurs. L’objectif est simple : « Nous voulons ralentir l’eau en amont du marais, et améliorer son évacuation en aval », peut-on lire sur leur communiqué. Pour la ralentir, le collectif s’inscrit dans le temps long : il faut planter des haies et renaturer les sols, et donc lutter contre l’agriculture intensive et ses monocultures. Et pour évacuer l’eau, les habitants réclament des mesures d’urgence de curetage et de pompage pour faciliter son écoulement vers la mer.

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Situé au cœur du Pas-de-Calais, le marais audomarois est la plus grande zone humide des Hauts-de-France. Comme l’Aa prend sa source à une altitude de 122 m et que le marais est situé dans une cuvette, chaque épisode pluvieux important risque de faire déborder cette zone. Et le danger augmente.

Le rôle de l’agriculture intensive

Les précipitations tombant sur la partie haute de l’Aa mettent beaucoup moins de temps qu’il y a 20 ou 30 ans à se retrouver dans le marais. Et plus l’eau arrive vite dans le marais, plus elle risque de s’accumuler. « Quand je suis arrivé [en 2019], l’eau mettait trois jours à descendre dans le marais. Aujourd’hui, c’est même pas en une journée », raconte Jérôme Sergent, qui gère l’écolieu appelé De Rives en Rêves, installé un peu plus haut dans la vallée de l’Aa. « C’est difficile d’évaluer un tel phénomène, on n’a rien de fiable pour affirmer ça, dit Agnès Boutel, directrice du syndicat mixte de gestion des eaux (Smage). Mais ils ont probablement raison. »

La cause principale ? L’évolution des pratiques agricoles dans la vallée de l’Aa depuis un demi-siècle, époque à laquelle on a demandé aux agriculteurs d’intensifier leur production. Fini les herbages et les haies, adieu la tradition bocagère et l’élevage bovin, et donc toute la végétalisation qui retenait l’eau dans le sol. Bienvenue aux monocultures qui laissent le sol à nu. « La betterave, la pomme de terre, et le maïs : ces trois cultures posent problème », dit Jérôme Sergent.

La disparition des herbages porte d’ailleurs préjudice aux exploitants eux-mêmes. « Les agriculteurs vont devoir prendre le phénomène au sérieux, dit Michel Dewalle, ancien maraîcher — et spécialiste du poireau Leblond, succulente variété typique du marais. S’ils ne trouvent pas les moyens de retenir l’eau sur place, ce sont leurs bonnes terres qui s’en iront à chaque fois [à cause du ruissellement]. Je crois qu’ils vont devoir s’adapter comme nous au changement climatique. » Lui qui est né dans le marais en 1940 ne se remet pas des inondations de l’an dernier : « J’ai eu 70 cm d’eau pendant une semaine, et toutes nos exploitations sont passées sous l’eau. »

En réponse à ce danger, le collectif du marais propose de favoriser la plantation de haies et d’arbres en amont, de développer l’agroforesterie sur le marais et de favoriser l’hydrologie régénérative. Jérôme Sergent a justement travaillé sur ces méthodes agricoles visant à mieux retenir l’eau en créant des zones tampons, comme des haies, des fossés, des mares…

Prise de conscience des décideurs

Le collectif du marais audomarois, comme le Smage-AA, mène un travail de sensibilisation sur ces questions auprès des maires ruraux. Sur le volet politique, certaines figures du territoire ont bien pris note de l’importance de l’enjeu lié à l’imperméabilisation des sols. « Il manque des prairies et des haies sur le bassin amont, écrit ainsi François Decoster, maire de Saint-Omer, dans un rapport sur les inondations pour Emmanuel Macron. Replanter des haies ou des banquettes boisées, remettre des prairies nécessitera un travail partenarial avec l’agriculture au travers de contrats solides et rémunérateurs pour les agriculteurs concernés. » Si l’enjeu est bien saisi en théorie, on attendra toutefois pour la pratique.

« Après les inondations, les décideurs vont bien intégrer cette question du risque, analyse Agnès Boutel, la directrice du Smage-Aa. Mais on sait qu’entre les élections et les impératifs de développement, il y a parfois des injonctions qui peuvent paraître contradictoires. »

De manière plus générale, il faut repenser le territoire sur le temps long. « On peut transformer toute la vallée en pâturage avec des bestiaires en travers des pentes, mais il faudra se remettre à manger de la viande dans ce cas, dit, dans un sourire, En réalité, il y a une multitude de facteurs. Le territoire va pas se transformer d’un coup de baguette magique. »

« Cela fait plus de vingt ans que l’on travaille sur ces questions, dit Agnès Boutel, qui évoque le programme d’action de prévention des inondations (Papi). Comme c’est un territoire organisé sur la prévention des inondations depuis longtemps, le sujet était intégré dans les documents d’urbanisme. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’imperméabilisation. »

« On a regardé des documents de 2005, 2008, tout est écrit, abonde Jacques Flandrin. Mais le problème, c’est qu’il y a le lobby des agriculteurs derrière. L’agriculture intensive a pris le pas. »

Changer les mentalités sera long, mais un an après les inondations, on note quelques évolutions dans le bon sens. « Il y a quelque chose de nouveau par rapport à l’an dernier : on s’est rendu compte que curer les fossés ne résout pas le problème », dit Jérôme Sergent.


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