Contradiction entre les PV et le rapport final, la méthodologie de l’IGESR est remise en question. À la vue des auditions successives de la mission d’enquête parlementaire, on ne peut s’empêcher de penser à Kafka, et à ses dédales administratifs. Le 8 avril 2025, Dominique Marchand, directrice de l’ IGESR, Christelle Gillard, cheffe du pôle juridique et contrôle, et Erick Roser, responsable du collège d’expertise administrative et éducative, ont été auditionnés. Comme pour celle de la Dgesco, l’audition a également pointé l’absence de suivi centralisé. Et c’est à la même inspection générale qu’Elisabeth Borne demande une enquête sur Bétharram…
Indépendance et commande ministérielle
Face aux questions précises de la commission parlementaire d’enquête sur les modalités de contrôles relatives à des violences en milieu scolaire, la situation semblait parfois kafkaïenne et ubuesque. Comment une administration censée évaluer et contrôler, selon ses mots martelés à plusieurs reprises, avec une « méthodologie robuste et rigoureuse » peut-elle, en même temps, ne pas être en mesure de répondre à toutes les questions avec clarté et précision ? Comment une institution censée être indépendante semble-t-elle parfois flirter avec des intérêts politiques, donnant l’impression d’une machine administrative dont les actions échappent à la transparence ? Lors de l’audition du 8 avril 2025, les discussions ont révélé des tensions entre l’indépendance de l’IGESR (l’Inspection Générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche) et sa relation avec le politique. En effet, l’IGESR insiste sur son indépendance, mais précise qu’il n’y a pas d’auto-saisine possible. Elle répond exclusivement aux « commandes » du ministre de tutelle, que ce soit pour des inspections de contrôle ou des évaluations de politiques publiques. L’Inspection Générale, soit l’échelle ministérielle et non pas académique, peut être saisie selon cinq critères précisés, de gravité, de besoin d’externalisation, du niveau de fonction, du sujet de médiatisation ou d’un besoin particulier de ressource.
« Il est certain que nommer une inspection générale est […] un signal qui est donné à une inspection ou à un contrôle » déclare Dominique Marchand. Le déclenchement de l’Inspection Générale provient de « volonté politique forte» avait indiqué durant son audition du 31 mars 2025 Caroline Pascal, ancienne cheffe des IG, aujourd’hui Dgesco. Cela peut interroger sur leur indépendance réelle des volontés politiques.
« Parfois, la limite est ténue entre enquête et contrôle »
Christelle Gillard a eu du mal à répondre clairement aux questions. Elle a insisté sur la méthodologie utilisée, sans pour autant apporter de réponses concrètes aux préoccupations soulevées par les rapporteurs. Dominique Marchand a d’ailleurs reconnu que « parfois, la limite est ténue entre enquête et contrôle », malgré l’insistance sur une « méthodologie rigoureuse et robuste ». L’IGESR insiste sur le principe d’indépendance et une méthode travail qui se veut objective mais les échanges ne convainquent pas, tant sur la forme que le fond.
Stanislas : Absence de mention d’homophobie dans le Rapport de l’IGESR
Le rapporteur Paul Vannier pointe une contradiction entre les PV et le rapport du collège catholique privé sous contrat Stanislas, alors que l’enquête administrative repose sur une « méthodologie rigoureuse ». Dans les PV du rapport, des témoignages d’homophobie sont présents. Or, l’homophobie n’est mentionnée qu’à une reprise et cette occurrence blanchit l’établissement d’un climat homophobe. Pour Dominique Marchand, le rapport dit « un certain nombre de choses sur ce point, me semble-t-il ». Concernant l’homophobie, celle-ci n’a pas été caractérisée comme systémique, malgré les faits soulevés. Dans son audition la semaine précédente, l’ancienne directrice des IGESR, Caroline Pascal, renvoyait à la liberté et l’indépendance des Inspecteurs Généraux quant au choix des mots, et à la qualification éventuelle d’homophobie, systémique ou institutionnelle. La présidente de la commission Fatiha Keloua Hachi souligne avec agacement que ni la nouvelle ni l’ancienne responsable des IGESR ne peuvent fournir d’explications sur cette omission.
« Pourquoi le mot racisme ne figure-t-il pas dans le rapport ? »
L’IGESR noie le poisson, renvoie à la méthode, parlant de « discussion collégiale » avec « des éléments à charge et à décharge », pour avoir la vision la plus complète et objective possible. Un point d’interrogation pointé par le rapporteur Paul Vannier a été l’absence totale du mot « racisme » dans le rapport de l’IGESR. A la question «Pourquoi le mot racisme ne figure-t-il pas dans le rapport ? » La réponse de la direction de l’IGESR a été un simple : « Je ne sais pas ».
Lors de l’audtion, la directrice de l’IGESR a expliqué que les chefs de service sont choisis par appel à candidatures pour chaque mission, et qu’un référent avec un rôle d’appui et un relecteur sont désignés pour garantir et contribuer à la collégialité, « reliée à l’indépendance » et à un rôle d’ « assurance qualité ». Selon elle, ce système vise à partager les points de vue et à assurer un processus décisionnel collectif. La cheffe de l’IGESR a le rôle de transmettre le rapport mais non d’intervenir, précise-t-elle. D’ailleurs, selon elle, c’est une garantie d’indépendance des IG.
Le cabinet du ministre de Jean-Michel Blanquer envisage une transmission « caviardée » du rapport sur le lycée musulman sous contrat Averroès de 2020
« Une enquête administrative a un caractère confidentiel et une diffusion restreinte » affirme Christelle Gillard. Or, la commission évoque que le cabinet de Jean-Michel Blanquer avait envisagé de transmettre une version « caviardée » du rapport de l’IGESR au président du groupe RN du Conseil régional des Hauts-de-France et au président de la Région Xavier Bertrand (LR). Cependant, lors des auditions, les responsables de l’IGESR ont déclaré «ne pas avoir connaissance » de cette action en 2020, précisant qu’elles étaient « incapables de répondre » car elles n’étaient pas en poste à ce moment-là.
Des liens entre politique et administration
L’implication du préfet dans certaines décisions a été particulièrement marquée, notamment dans les ruptures de contrats d’association. Les liens entre politique et administration apparaissent dans la mesure où les ruptures du contrat d’association des lycées musulmans privés sous contrat (Averroès à Lille et Al Kindi à Lyon) sont des décisions du préfet, tel que prévu dans la procédure.
Le cas du lycée Averroues : un rapport positif de juin 2020 qui conduit à une rupture du contrat
Le lycée Averroues, en juin 2020, a reçu un rapport positif de l’IGESR. Ce rapport a été transmis au ministre, trois ans plus tard, en 2023, le lycée perd son contrat d’association. C’est la deuxième rupture de contrat d’association depuis 65 ans, le début de la loi Debré. La décision de rupture de contrat provient du préfet qui s’appuie sur le rapport pédagogique de la chambre régionale des comptes des hauts de France.
Reconnaissance de dysfonctionnements par l’IGESR
Durant l’audition, Dominique Marchand a reconnu des « dysfonctionnements » et des « défaillances à chaque étape » dans le traitement des cas, notamment celui du lycée Bayen à Châlons en Champagne pour des faits de violences sexuelles. L’IGESR propose une formation qui vise sommet de l’académie de Reims. Christelle Gillard indique un « besoin de professionnaliser sur l’indépendance des procédures et leur articulation ». Elle note l’absence d’articulation entre les procédures administratives et pénales, avec des sanctions et des temporalités différentes.
Absence de suivi des rapports de l’IGESR
Lorsque les rapporteurs ont demandé comment les rapports étaient suivis après leur rédaction, Dominique Marchand a répondu que « ce n’est pas prévu aujourd’hui ». Elle a ajouté que cela pourrait faire partie des « réflexions d’évolution » pour l’avenir, précisant que c’est au ministre commanditaire de décider de l’issue des rapports. « Aujourd’hui, ce n’est pas systématisé », a-t-elle affirmé, soulignant une fois de plus l’absence de mécanismes clairs pour garantir le suivi des rapports. Dans le cas du suivi de la mission au collège Stanislas, l’IGESR a « laissé le rectorat de Paris mettre en œuvre ce qu’il était de sa responsabilité et de son ressort » explique-t-elle.
Une gestion floue
L’absence de suivi formalisé des rapports, la gestion floue des faits de racisme et d’homophobie dans le cas du rapport sur le collège Stanislas et les incohérences entre les procédures de contrôle ou d’enquête pose la question d’un flou. L’inspection générale a reconnu certains dysfonctionnements sans toujours fournir d’explications convaincantes, laissant planer des doutes sur son indépendance réelle et son efficacité.
La machine administrative et le poids du politique
Le rapporteur Paul Vannier relève dans le rapport d’activités de l’IGESR 2023 -24 l’absence de la liste des rapports réalisés cette année, Dominique Marchand évoque « peut-être […]un oubli », ajoutant « il n’y a pas de volonté de ma part de masquer quoi que ce soit ». Elle rappelle le départ récent de l’ancienne cheffe de service devenue Dgesco. Cette maladresse met en lumière l’opacité, notamment sur la manière et les influences possibles de certaines décisions. Rendre publics des rapports ou pas relève du choix du ministre, l’IGESR rappelle son rôle de conseil auprès du ministre.
Les auditions révèlent une administration aux services cloisonnés où les relations entre politique et contrôles administratif, financier et pédagogique semblent floues. L’IGESR insiste sur sa rigueur méthodologique et son indépendance, mais la réalité semble plus complexe, avec des inquiétudes sur les liens politiques et les actions administratives. La situation laisse entrevoir un entrelacs de relations entre l’administration, la politique et l’évaluation, et sur la manière dont les décisions sont prises et suivies, sans suivi possible d’ailleurs.
Djéhanne Gani
Privé sous contrat : « Pendant des années, il n’y a pas eu …
Contrôle des établissements privés : les services du …
Stanislas : climat genré vs propos homophobes
Bétharram : « On m’a demandé de me taire ».
L’après Bétharram : la parole se libère
Bétharram : un double contrôle en cours
Une commission d’enquête parlementaire pour empêcher …
Bétharram : du silence ministériel au pas de vague …
En savoir plus sur MAC
Subscribe to get the latest posts sent to your email.