En envoyant son aviation bombarder les sites nucléaires iraniens, Benyamin Netanyahou empêche tout nouvel accord entre Téhéran et Washington et oblige Emmanuel Macron à reporter la conférence prévue à l’Onu sur la Palestine. À New-York, le chef de l’État devait annoncer la reconnaissance de l’État de Palestine par la France.

Atta KENARE / AFP
Donald Trump et Benyamin Netanyahou ressemblent à ces bonimenteurs de foire, qui grugent tout le monde en laissant penser qu’ils ne sont pas d’accord. Deux bateleurs qui se sont distribués les rôles pour parvenir à leurs fins. Le problème est que dans cette partie de poker menteur, la paix au Moyen-Orient et, plus largement dans le monde, est en jeu.
Depuis dix ans maintenant, les gouvernements israéliens successifs ont fait de l’Iran leur bête noire, la mère de tous les maux. Mais qu’est-ce qui explique qu’aujourd’hui une guerre – le mot n’est pas trop fort – ait été déclenchée ? Des actions au sol s’étaient déjà déroulées dans le passé. Il s’agissait notamment du vol de documents confidentiel Défense mais également de l’assassinat d’un scientifique impliqué dans le dossier nucléaire, par le Mossad. De même, à l’automne dernier, des échanges de tirs de missiles et d’envois de drones avaient bien eu lieu entre les deux pays, séparés de près de 2000 km mais jamais Israël n’avait envoyé ainsi ses avions de chasse frapper plus de 200 cibles contrairement à ce qu’il avait entrepris contre des installations nucléaires irakiennes en 1981 et une autre dans le nord de la Syrie, en 2007.
Lire aussi: Bombardements israéliens en Iran : halte à la fuite en avant guerrière de Netanyahou !
Jeu de dupes entre Trump et Netanyahou
Cette attaque – toujours en cours – ne doit rien au hasard et s’inscrit dans un plan beaucoup plus élaboré qui vise à transformer l’ensemble de la région en un sanctuaire inscrit dans le cadre des intérêts états-uniens avec, comme gardien Israël. La guerre génocidaire menée à Gaza, après les attaques monstrueuses du 7 octobre 2023 menée par le Hamas, a ouvert la voie à une annihilation des organisations (Hezbollah au Liban, Hamas en Palestine) et des États (Liban, Syrie) qui s’opposaient peu ou prou à cette mainmise régionale. Restait l’Iran, quoi qu’on puisse penser du régime en place.
C’est là que commence le jeu de dupes de Trump et Netanyahou. Le premier – qui, en 2018 avait retiré la signature des États-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (dont l’acronyme anglais est JCPoA). À l’époque, lors de son premier mandat, le milliardaire états-unien parlait du « pire accord jamais négocié », qui pourrait déclencher un « holocauste nucléaire ». Il accompagnait son retrait du rétablissement de sanctions contre l’Iran. Pourtant, onze rapports de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) attestaient du respect par l’Iran de ses engagements.
À la surprise générale, cette même administration Trump, de retour aux affaires, a repris le dialogue avec Téhéran. Au début du mois de juin 2025, un possible accord encadrant le programme nucléaire iranien, garantissant que la République islamique ne pourrait se doter de l’arme atomique était évoqué. Quelques jours auparavant, interrogé pour savoir s’il avait dit à Netanyahou de ne pas cibler l’Iran, Trump répondait : « Eh bien, je voudrais être honnête. Oui, je l’ai fait… J’ai dit (à Netanyahou) que ce serait très inapproprié de le faire maintenant, car nous sommes très proches d’une solution. »
Le président des États-Unis ajoutait : « Cela pourrait changer à tout moment. Cela pourrait changer d’un simple coup de fil. Mais pour l’instant, je pense que [l’Iran] souhaite conclure un accord, et si nous y parvenons, cela sauverait beaucoup de vies. » Le 28 mai, le New York Times pensait qu’« au cœur de la tension entre M. Netanyahou et M. Trump se trouvent leurs points de vue divergents sur la meilleure façon d’exploiter un moment de faiblesse iranienne. »
Il s’agissait en réalité d’une entente. Les discussions se sont en effet poursuivies entre les États-Unis et l’Iran, non sans difficultés, et les Iraniens devaient se prononcer sur les dernières propositions états-uniennes avec, comme date butoir le 13 juin. Deux jours auparavant, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, avait qualifié la proposition américaine de « 100 % contraire » aux intérêts de son pays. Plus que de l’enrichissement il était visiblement question de levée des sanctions.
Netanyahou isolé sur la scène internationale
C’est là qu’entre en scène Netanyahou. S’il n’a pas le feu vert de Washington, il n’a pas non plus reçu une interdiction formelle d’attaquer. Comme dit l’adage, « qui ne dit mot, consent ». Le premier ministre israélien y voit plusieurs avantages alors que depuis plusieurs mois maintenant, notamment depuis sa rupture unilatérale du cessez-le-feu à Gaza, il est isolé sur la scène internationale, son seul soutien réel provenant des États-Unis. N’est-ce pas pour cela que l’aviation israélienne est entrée en action à ce moment précis ?
La question des sanctions a commencé à émerger (deux ministres d’extrême droite, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, sont directement touchés), celle de la révision de l’accord d’association avec l’Union européenne également. Dans le monde et y compris en Israël même, les manifestations contre la guerre ont pris un nouvel élan, renforcé par les images terribles des Gazaouis tués chaque jour par les bombes et condamnés à la famine.
Et puis, surtout, Benyamin Netanyahou sentait bien qu’une chose impensable jusque-là était en train de se produire. La conférence de l’Onu sur la solution à deux États, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, allait aboutir à la reconnaissance officielle par Paris de l’État de Palestine et Riyad, malgré les pressions, refusait de normaliser ses relations avec Tel Aviv, campant sur l’idée de 2002 d’une reconnaissance d’Israël par les pays arabes en échange de l’acceptation de l’établissement du nouvel État.
Ces derniers jours, plusieurs diplomates européens avaient signalé à l’Humanité que « tout était possible et qu’il fallait s’attendre à des coups tordus de la part d’Israël » pour empêcher un tel événement. Après Paris près d’une dizaine de pays membre de l’UE suivaient certainement. Or, pour le gouvernement israélien, il n’est pas question d’accepter un État de Palestine dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-est comme capitale. Il fallait donc saborder l’initiative de l’Assemblée générale des Nations unies et la conférence qui devait s’ouvrir le 17 juin prochain. Avec les attaques massives sur l’Iran Netanyahou semble bien être parvenu à ses fins.
Donald Trump maintenant met en demeure l’Iran. Celui-ci « doit conclure un accord avant qu’il ne reste plus rien ». Et le dirigeant états-unien a ajouté : « Je leur ai dit que cela serait bien pire que tout ce qu’ils avaient connu, anticipé ou ce qu’on leur avait dit, que les États-Unis fabriquent les meilleurs équipements militaires et les plus destructeurs que personne d’autre au monde, DE LOIN, et qu’Israël en a beaucoup, et que beaucoup d’autres vont encore arriver — et qu’ils savent comment les utiliser ».
L’Iran « responsable de la déstabilisation » régionale
Vendredi après-midi, Emmanuel Macron a annoncé que la conférence à l’ONU qui devait s’ouvrir la semaine prochaine à New York sur la solution à deux États était reportée « pour des raisons logistiques et sécuritaires » mais qu’elle sera organisée « au plus vite », ajoutant : « ce report ne saurait remettre en cause notre détermination à avancer vers la mise en œuvre de la solution des deux États. J’ai dit ma détermination à reconnaître l’État de Palestine, elle est entière et c’est une décision souveraine. » Mais, une fois de plus, et alors qu’on s’attendait à ce qu’il le fasse le 18 juin, cette décision est reportée.
Pour le président de la république, l’Iran porte « une lourde responsabilité dans la déstabilisation de toute la région ». Mais les discussions en cours entre Téhéran et Washington, aussi difficiles soient-elles, ont été interrompues par Israël. De la même manière, si l’on peut souscrire à l’idée d’un Iran empêché d’avoir l’arme nucléaire, comme l’a répété le chef de l’État, cette préoccupation devrait concerner l’ensemble de la région (voir le monde entier débarrassé des armes nucléaires), ce qui doit inclure Israël, puissance nucléaire non déclarée, non-signataire du traité de non-prolifération et qui, à ce titre, n’accueille jamais aucun inspecteur de l’AIEA sur son sol.
Pendant ce temps, la guerre se poursuit à Gaza et la possibilité d’un nouveau cessez-le-feu semble s’éloigner toujours plus.
En savoir plus sur MAC
Subscribe to get the latest posts sent to your email.