Le vernis social du parti d’extrême droite ? C’est à l’heure où s’exprime une puissante aspiration à la justice fiscale dans le pays qu’il craque. Oubliés la retraite à 60 ans et l’ISF, le Rassemblement national est désormais vent debout contre la taxe Zucman et souhaite réduire drastiquement la fiscalité des entreprises et protéger les riches.

Adnan Farzat / NurPhoto via AFP
Quelle mouche a piqué le Rassemblement national (RN) ? Oublié le soutien aux gilets jaunes, le voilà même qui hurle contre les mobilisations sociales de ces derniers jours. Quant au vernis social, c’est à l’heure où s’exprime une puissante aspiration à la justice fiscale dans le pays qu’il craque.
Le parti à la flamme est monté frontalement au créneau contre la taxe Zucman, pourtant approuvée par 86 % des Français, et même 75 % chez ses propres sympathisants… C’est que Jordan Bardella a une stratégie, et s’y tient : il cherche à se faire adouber par le Medef.
Quand le patronat français met le cap à l’extrême droite
Cela porte ses fruits. Fin août, tirant le bilan des Rencontres des entrepreneurs de France, le patron des patrons, Patrick Martin, lâche que « ce sont Gabriel Attal, Bruno Retailleau et Jordan Bardella qui se sont montrés les plus conscients des périls que l’on rencontre ».
La phrase paraît anodine mais elle symbolise un tournant qui pourrait s’avérer dévastateur pour la démocratie et l’idéal républicain.
Car les grands patrons français ont renoncé à combattre l’extrême droite. Pis, certains y voient désormais une opportunité pour mener la politique économique à laquelle ils aspirent. Y compris les prédécesseurs de Patrick Martin à la tête du Medef. Comme Pierre Gattaz, qui avoue avoir « plus peur de Mélenchon que de Bardella », et Geoffroy Roux de Bézieux, qui juge désormais que « le RN vise juste ».
Le même estimait encore en 2022 que le parti d’extrême droite était « dangereux pour le pays ». Si le Medef a appelé à faire barrage à Marine Le Pen en 2022, il ne l’a pas fait en 2024. Une partie du patronat espère même « une coalition de droite et d’extrême droite qui assure la stabilité du champ politique », analyse Ugo Palheta, sociologue et auteur de Comment le fascisme gagne la France.
Marine Le Pen mise sur le pouvoir d’achat pour gagner en crédibilité
Avec des électeurs dans toutes les couches de la population, le RN a un atout, selon le chercheur : « Il a toujours eu une base plus large que celle d’Emmanuel Macron. L’étroitesse de la base de ce dernier est un des éléments qui expliquent l’instabilité politique. »
Comment, en à peine trois ans, cette bascule a-t-elle pu s’opérer ? À la sortie de la présidentielle de 2022, la campagne de Marine Le Pen, largement axée, dans le discours, sur le « pouvoir d’achat », est, en interne, autant saluée que mise en doute. Marine Le Pen acte alors sa nouvelle priorité : « gagner en crédibilité économique. »
Une stratégie qui n’est pas nouvelle à l’extrême droite, rappelle Ugo Palheta. « Une fois qu’elles ont conquis une partie suffisante des classes populaires et moyennes, quand les extrêmes droites s’avoisinent du pouvoir, elles opèrent un rapprochement avec les classes favorisées et le patronat », rappelle le sociologue. Aujourd’hui, le RN drague les électorats LR ou macronistes et courtise l’appui de certains hommes d’affaires.
Une grande opération séduction a été lancée. Un jeu de rencontres, de mots doux et réconfortants, afin que chacun fasse un pas vers l’autre. Convaincre des figures du capitalisme français, mais aussi être vu à leurs côtés pour briser un cordon sanitaire déjà bien effiloché, est un enjeu primordial pour le RN, qui mandate Sébastien Chenu.
Le RN multiplie les rencontres avec le patronat
Le député est ainsi photographié en 2023 aux côtés de Michel-Édouard Leclerc et a noué de nombreux liens, en particulier dans l’agroalimentaire et dans la grande distribution. Le RN fait ensuite fuiter la rencontre entre Henri Proglio, ancien PDG d’EDF, et Marine Le Pen, début 2024.
Celle avec Patrick Martin, qui a bien eu lieu quelques semaines avant les dernières législatives, est, elle, restée secrète jusqu’aux révélations du journaliste Laurent Mauduit dans son livre-enquête Collaborations (la Découverte).
En parallèle, des signaux sont envoyés. Marine Le Pen publie des tribunes dans les Échos, en février 2024, appelant carrément les économistes à « (l’) aider » à affronter le « mur de la dette » en bâtissant un programme fondé sur la réduction des « coûts » de l’immigration et de la « fraude sociale ».
De son côté, Jordan Bardella a participé à des débats ou auditions à l’initiative de quatre organisations patronales différentes depuis trois ans. Il leur a également adressé un courrier, ce mois-ci, pour les rassurer en vue d’une éventuelle dissolution en prétendant « incarner le véritable garant de la stabilité économique ».
Jordan Bardella favorable à la retraite à 67 ans
Les contacts sont établis, reste au RN à convaincre. Dans un premier temps en abandonnant quelques épouvantails. Puisque le programme économique du parti à la flamme avait la réputation d’être « de gauche », ses dirigeants ont vite gommé tout ce qui a pu être perçu de la sorte. Pas grand-chose, en réalité. L’opposition du RN à la réforme des retraites de 2023 n’était que de façade.
La retraite à 60 ans défendue avant 2022 a été abandonnée. Jordan Bardella le martèle dans ses rencontres avec les entrepreneurs, comme lors d’un déjeuner du mouvement Ethic en avril 2024 lors duquel il précise que « selon notre modèle, un jeune qui entre sur le marché du travail à 25 ans partira naturellement à la retraite à 67 ans ».
Une seule proposition portant sur les salaires est encore d’actualité. Mais elle ne consiste qu’à réduire les cotisations patronales – appelées « charges » – en cas d’augmentation de la paie. « Baisser les cotisations sociales pour augmenter les salariés peut paraître sympathique de prime abord. Mais cela ampute les recettes de la Sécurité sociale : assurance-maladie, retraites. Cela se paie en années de cotisation supplémentaires pour la retraite et en baisse des soins », souligne Dany Lang, membre des Économistes atterrés.
Le reste du programme en matière de pouvoir d’achat a été balayé lors de la campagne des législatives de 2024, comme la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité, la promesse du maintien des 35 heures ou le rétablissement de l’impôt sur la fortune, que les députés RN n’ont pas voté, ensuite, lors de l’examen du budget 2025. À la place, le RN veut continuer à faire illusion en sortant un « IFF » (impôt sur la fortune financière) de son invention, dont l’avantage pour les plus aisés serait d’exonérer les biens professionnels, mais aussi la résidence principale. Recette estimée : 3 milliards d’euros annuels, contre 20 milliards pour la taxe Zucman. Une « mesure de riches et pour les riches », en somme, selon le codirecteur de l’Observatoire de l’économie de la Fondation Jean-Jaurès, Simon-Pierre Sengayrac, et « qui vise à stimuler la spéculation immobilière dans les centres-villes ».
Des baisses d’impôts pour les plus riches
La tendance perçue en juin 2024 se confirme, malgré la défaite au second tour des législatives. Ce projet économique libéral a été renforcé en se tournant quasi exclusivement vers les chefs d’entreprise. L’iconographie d’un document paru en septembre 2024 parle d’elle-même : Marine Le Pen tout sourire aux rencontres du Medef. Le message est clair.
Ce « livret entreprises » est présenté comme une « base de travail en vue des prochaines échéances électorales nationales », explique le RN. Les catégories populaires tentées par le vote Le Pen seraient bien inspirées de le lire : rien dans ce livret n’est prévu pour elles. « Comme toujours dans l’histoire, l’extrême droite se pare d’aspects sociaux, mais fondamentalement, défend les intérêts des plus aisés », tranche Ugo Palheta.
Dans son livret, le parti d’extrême droite propose 20 % de baisse des impôts de production, la suppression de la contribution foncière des entreprises (qui rapporte 9 milliards d’euros par an), l’exonération de la contribution sociale de solidarité des sociétés (5 milliards d’euros) et la valorisation des crédits d’impôt recherche et innovation, aides perçues principalement par des multinationales, sans aucune contrepartie.
« Le RN ne parle jamais des aides massives aux entreprises », souligne Dany Lang. Elles sont pourtant chiffrées à 211 milliards d’euros par une commission sénatoriale dont Fabien Gay, sénateur PCF et directeur de l’Humanité, était le rapporteur.
Une nouvelle marotte, toute libérale, apparaît également : la suppression massive de normes sociales et environnementales, au nom de la sacro-sainte « simplification ». Le tout en réduisant les contre-pouvoirs avec la proposition de faciliter la création de « syndicats maison » qui seraient affranchis des centrales. Et donc seuls face aux pressions. Une manière de lutter contre la « politisation » des organisations représentatives des travailleurs, assume Jean-Philippe Tanguy.
Éric Ciotti pousse pour un capitalisme extrême inspiré de Musk et Milei
Le projet Medef-compatible du RN, qui inclut aussi une baisse de la fiscalité pour les gros héritages et veut autoriser les dons de 100 000 euros tous les dix ans au lieu de quinze aujourd’hui, implique donc des baisses importantes de recettes. Pour prétendre être « le parti le plus raisonnable face à la dette », comme le clame Jordan Bardella, ces cadeaux fiscaux ont pour corollaire une baisse drastique des dépenses publiques. D’autant que, s’inspirant du voisin allemand, l’extrême droite réfléchit aussi à l’introduction de la « règle d’or » budgétaire, soit le respect des 3 % de PIB de déficit public, dans le droit français.
Le livret entreprises, ainsi que le contre-budget présenté en novembre 2024 et les dernières sorties de Jordan Bardella et Marine Le Pen, donnent un aperçu de ce que ferait l’extrême droite au pouvoir : de l’austérité. « Plus de 100 milliards d’euros peuvent être économisés en mettant fin à l’immigration d’assistanat, au subventionnement des énergies intermittentes, à l’excès de l’aide publique au développement d’autres pays ou encore au millefeuille administratif ainsi qu’au coût exorbitant de la bureaucratie d’État », revendique le président du RN dans sa lettre aux entrepreneurs.
Mais sur ces économies, peu d’éléments sont chiffrés. Et quand des détails sont accessibles, ils présagent d’effets délétères. Dans son contre-budget, le parti à la flamme propose par exemple de supprimer 2 000 postes d’enseignant et de diminuer de 23 à 18 % le personnel non enseignant dans l’éducation nationale, alors même que les AESH, psychologues ou infirmières scolaires travaillent déjà dans des conditions dégradées en raison de leur faible effectif.
Fait important : le livret sur les entreprises ainsi que le contre-budget du RN ont été rédigés par Jean-Philippe Tanguy. Soit le plus protectionniste des cadres du parti, quand Jordan Bardella représente la frange la plus néolibérale. C’est dire si ce dernier a pris la main sur la ligne économique officielle du parti, qui pourrait même aller plus loin sans l’influence des derniers partisans de mesures de régulation.
Nouvel allié du RN, Éric Ciotti, qui se veut le représentant en France du capitalisme sauvage et déshumanisé des libertariens comme Javier Milei ou Elon Musk, pousse en outre pour que le RN s’engouffre dans cette voie.
Prêt à sortir la tronçonneuse contre les services publics et les prestations sociales. Et à cracher au visage d’un électorat populaire que le RN veut plus que jamais berner.
Je souhaite combattre le RN et ses idées, je rejoins le PCF
Votre message a été envoyé
En savoir plus sur MAC
Subscribe to get the latest posts sent to your email.