Libération et Mediapart ont eu accès à des dizaines d’heures d’images captées le 25 mars 2023 par les caméras-piétons que portaient les forces de gendarmerie, mobilisées en nombre (plus de 3 000), à Sainte-Soline lors de la mobilisation contre les mégabassines. Après leurs révélations, le ministre de l’intérieur, Laurent Nuñez, a demandé mercredi « au directeur général de la gendarmerie nationale d’ouvrir une enquête administrative » avant de minimiser les faits et de refuser de parler de violences policières ce jeudi matin sur France inter. Face à l’enquête toujours en cours de l’IGGN, les blessés réclament eux l’ouverture d’une information judiciaire.

Les activistes, élus, militants ou journalistes présents sur place ce jour-là dénoncent de longue date la répression orchestrée à Sainte-Soline le 25 mars 2023, lors d’une manifestation initialement pacifique, mais interdite, contre les mégabassines de ce coin des Deux-Sèvres. Mais cette fois des vidéos mettent au jour l’attitude des gendarmes en révélant les commentaires captés par leurs caméras piétons.
« On baisse le cougar (canon lanceur de grenades, N.D.L.R.) les gars, on les nique là, allez. » « Y a un mec qui lui a mis une cartouche de LBD pleine tête, le mec il était sec, il l’a shooté pleine tête à dix mètres. » « Y a un enculé que j’ai à la tête mon gars. » « Je ne compte plus les mecs qu’on a éborgnés. » « T’en crèves deux-trois, ça calme les autres. » « J’espère que les enfants sont partis quand même (…). Bah c’est le jeu, fallait pas les emmener. » Autant de phrases sorties de la bouche de gendarmes extraites du florilège mis à jour par Libération et Mediapart qui ont révélé ces vidéos, mercredi 5 novembre.
Le quotidien et le site d’information ont eu accès à des dizaines d’heures d’images enregistrées par les caméras-piétons que portaient les forces de gendarmerie, mobilisées en nombre (plus de 3 000) autour de la réserve d’eau agricole contestée. En réaction à ces révélations, le ministre de l’intérieur, Laurent Nuñez, a demandé mercredi « au directeur général de la gendarmerie nationale d’ouvrir une enquête administrative », a fait savoir son entourage à l’Agence France-Presse (AFP).
« Dans la majorité des cas », a défendu le locataire de la place Beauvau sur France inter ce jeudi 6 novembre, « l’action de la gendarmerie avait été menée face à des actions extrêmement violentes » et « la riposte avait été proportionnée ». « Il y a des actes révélés par ces vidéos qui ne le sont manifestement pas », a-t-il tout de même concédé promettant des sanctions tout en refusant de parler de violences policières. « Vous avez très bien que ce genre de faits, qui sont graves j’en conviens, permettent toujours à certains de critiquer d’une manière générale l’institution policière ou la gendarmerie », a même critiqué Laurent Nuñez alors qu’au delà de la nature choquante des propos révélés, l’accumulation des faits en démontre la dimension systémique.
Les blessés demandent l’ouverture d’une information judiciaire
Après des plaintes de manifestants dont 200 ont été blessés (40 gravement, deux restant un temps dans le coma), le parquet de Rennes avait ouvert une enquête, confiée à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) et toujours en cours. Ni ce dernier ni la direction de la gendarmerie (DGGN) à Paris n’ont pour l’heure répondu aux sollicitations de l’AFP, alors que les vidéos démontrent notamment le recours à des pratiques rigoureusement interdites du fait de leur dangerosité. « Tendu, tendu, tendu », « vous balancez un tendu s’il le faut », y entend-on notamment à propos de jets de grenades.
Selon Libération et Mediapart, le rapport de l’IGGN indique qu’« à la marge, certains gradés ont effectivement donné au cours de manœuvres des instructions pour effectuer des tirs communément appelés ”tendus”». Mais le média d’investigation assure avoir entendu la consigne dans neuf des 15 escadrons de gendarmerie mobile mobilisés ce jour-là. Sans compter la satisfaction des gendarmes dont témoignent les vidéos.
« Tiens, dans ta gueule, fils de pute », « ça leur fera la bite », « je m’attendais à ce que ça soit bien mais pas autant », « on n’a jamais autant tiré de notre life », « un vrai kiff », « je suis au Nirvana, là, on est sur l’Everest de la (gendarmerie) mobile »… peut-on relever entre autres saillies sur les enregistrements dont la DGGN a assuré aux deux médias qu’ils avaient « été mis à la disposition exclusive de la justice », sans plus de commentaires.
« Si ces images révélaient d’autres infractions pénales que celles dont il était saisi, la procédure prévoit que le service d’enquête en informe le parquet. Ce qui n’a pas été le cas », a de son côté indiqué le procureur de Rennes. Les blessés, eux, ont estimé dans un communiqué que « la manière dont a été conduite cette enquête laisse clairement apparaître l’intention de classer sans suite » la procédure.
« Mes clients réclament tous l’ouverture d’une information judiciaire. Pour qu’un juge d’instruction puisse compléter les investigations de l’IGGN qui sont très, très insuffisantes à ce stade », a ajouté auprès de l’AFP leur avocate, Me Chloé Chalot. Une enquête administrative de plus ne suffira pas.
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Julia Hamlaoui