Le professeur des écoles déplore que « la normalisation d’un mode dégradé, déjà largement installé faute de personnels remplaçants, semble atteindre ici son ultime étape : entériner comme solution pérenne ce qui n’aurait dû rester qu’un dispositif exceptionnel au prix d’une charge de travail accrue pour les personnels », et appelle à la mobilisation.
Décidément, les absences des enseignants ne cessent d’être un motif de dégradation de leurs conditions de travail et de rémunération. Après qu’ils aient subi un jour de carence effectif, une amputation de 10% de leur salaire en cas d’arrêt maladie, voilà que les enseignants du premier degré s’apprêtent à subir une nouvelle attaque majeure contre leurs conditions de travail. Cette fois-ci, il s’agit d’une refonte du système de remplacements dont les modalités s’inscrivent dans la continuité des politiques de gestion des personnels de ces dernières années.
C’est un sujet qui devenait de plus en plus gênant pour l’Education Nationale qui, comme presque tout service public, est soumise depuis des années au régime d’austérité. La mission de service public d’éducation a du mal à ne pas subir des ruptures et celles-ci commencent à représenter, elles aussi, un coût financier.
En effet, en 2021, la Cour des comptes soulignait dès l’introduction de son rapport sur la Gestion des absences des enseignants que les familles « n’hésitent plus à engager la responsabilité de l’État devant les tribunaux pour défaut de continuité du service public de l’Éducation. »
Austérité et prolétarisation
Devant ce dilemme où les effets des mesures austéritaires commencent à avoir un coût financier, le ministère a décidé d’agir. Il y a deux façons principales de traiter ce problème d’inadéquation entre le nombre d’absences et celui de remplacements. Tout d’abord, on peut agir sur les conditions de travail des enseignants et ainsi réduire les absences qui sont liées à la dégradation de celles-là. On peut également augmenter le nombre de remplaçants. Sauf que le ministère s’oriente à l’aide de ses deux boussoles : l’austérité et la prolétarisation lente mais certaine du métier enseignant.
Commençons par l’austérité. Plutôt que d’opter pour des mesures qui demandent un investissement financier nos gouvernants optent sans surprise pour une flexibilisation au coût apparent nul. Dans le département des Bouches-du-Rhône les personnels remplaçants sont répartis en trois catégories (brigades de circonscription, REP+ et départementales) avec des zones d’intervention limitées. Le projet de la DSDEN, qui applique en cela une consigne ministérielle, consiste à mutualiser ces catégories et à créer un corps unique : brigades départementales. Les zones d’intervention correspondantes sont remplacées par une zone unique : le département tout entier. Et la gestion sera effectuée par un logiciel dont on ne connait pour le moment pas les contours.
Devant l’inquiétude des personnels la DSDEN assortit ses annonces de quelques promesses : on dit qu’au niveau des affectations rien ne changera à la rentrée prochaine lorsque ce nouveau système entrera en vigueur. On tâchera d’affecter les remplaçants au plus près de leurs écoles de rattachement et on affectera les brigades REP+ actuels sur leurs missions habituelles. Bref, le cadre disparait mais la gestion humaine s’efforcera de le reconstituer par une gestion attentive au bien être de chacun.
Au-delà du fait qu’il y a une grande différence entre les annonces et les promesses, les unes garantissant l’application de leur contenu (ici justement la suppression du cadre existant qui protégeait les brigades et les remplacements de façon plus large) et les autres ne garantissant que la déception de ceux qui y croient, elles doivent être examinées à la lumière de l’état général de la situation.
Les promesses sous le poids du réel
Il ne s’agit pas ici de mettre en doute la sincérité des promesses de la DSDEN. Mais d’en questionner la solidité face au poids du réel. Quel effet produira la possibilité pour les secrétaires d’aller piocher des brigades dans les circonscriptions autres que la leur et ce dans une situation de crise où on n’arrive parfois même pas à remplacer des absences longues tels des congés maternité ? C’est une hiérarchisation des remplacements qui est à craindre dont l’effet pourrait être multiple : des temps de trajet rallongés pour les personnels remplaçants et des absences de court ou moyen terme non assurées.
Affaiblir le cadre des remplacements dans ce contexte précis c’est comme réduire la taille des pannes d’un toit en pleine tempête de neige : on peut promettre que ça tiendra mais tout le monde sait que ça finira par s’effondrer. La flexibilité tant vantée par les politiques néolibérales se caractérise par la destruction des cadres protecteurs. Et ces derniers protègent surtout en période de crise. Il est tout à fait inconséquent de se débarrasser définitivement de son parapluie car il fait beau. D’autant plus si les prévisions sont aux orages.
« Répartition » is the new « remplacement » !
D’autres indices font pencher les craintes dans ce sens et c’est là qu’on rejoint le processus de prolétarisation du corps enseignant. Les services de la DSDEN ont produit et mis à la disposition des enseignants du département un Padlet contenant des fiches prêtes à l’emploi à utiliser dans le cas où des élèves d’une autre classe seraient répartis dans la classe. Les enseignants sont incités à utiliser ces fiches et la DSDEN annonce également que les répartitions seront prochainement considérées comme « une modalité de remplacement ». Considérés jusqu’à présent par les textes réglementaires comme un « service d’accueil » en cas « de l’absence imprévisible [du] professeur et de l’impossibilité de le remplacer » (article L133-1 du Code de l’éducation) voilà que ces répartitions viendront par un même mouvement insidieux alourdir et dégrader le métier des enseignants.
Alourdi il le sera car, en plus de faire classe avec ses élèves, tout enseignant devra proposer une continuité pédagogique à tous les élèves présents dans sa classe quel que soit leur niveau. La normalisation d’un mode dégradé, déjà largement installé faute de personnels remplaçants, semble atteindre ici son ultime étape : entériner comme solution pérenne ce qui n’aurait dû rester qu’un dispositif exceptionnel au prix d’une charge de travail accrue pour les personnels.
Mais tout cela ne vient pas de nulle part et on peut en retrouver les germes dans ce qui a été imposé par la réforme du Pacte dans le second degré. Là aussi, on avait proposé il y a quelques années déjà aux enseignants d’obtenir une prime en échange des missions de remplacements de courte durée. Ainsi, on a imposé dans l’opinion l’idée que la continuité pédagogique pouvait être assurée au pied levé avec des élèves de tous niveaux, sans préparation aucune et dans n’importe quelle discipline. Un professeur d’italien peut donc remplacer un professeur de mathématiques auprès des élèves qui n’étudient même pas la langue de Dante. Ou de Machiavel pour garder une comparaison appropriée.
La filiation idéologique est ici évidente et on en arrive, comme d’habitude lorsqu’une telle dégradation « descend » jusqu’aux enseignants du premier degré, à une étape de prolétarisation supplémentaire : la continuité se fera sans prime, sans temps dédié mais en plus et en même temps que nos missions d’enseignement ordinaires. Tout cela est parfaitement en phase avec la vision mécaniciste du métier enseignant que propage le ministère depuis de nombreuses années. Compatible donc avec les évaluations standardisées, les bonnes pratiques, le retour aux fondamentaux et autres marqueurs de la politique éducative néolibérale.
Que faire ? Se mobiliser !
Enfin, ces ruptures pédagogiques risquent d’être inéquitablement réparties si un des objectifs reste la volonté de réduire le nombre de défaites judiciaires. En effet, se prémunir contre ces déconvenues judiciaires ne pourrait qu’amener l’institution à privilégier les remplacements dans les milieux à capital social et culturel élevés.
Nous le voyons, le poids de la pénurie sera déchargé sur le dos de tous les personnels sur le terrain ainsi que celui des élèves les plus fragiles.
Il ne s’agit pas d’un danger qui pèse seulement sur les personnels remplaçants. C’est d’une attaque générale contre les conditions de travail et d’un alourdissement sans précédent des missions de tous qu’il s’agit.
L’intersyndicale départementale composée de la CGT éduc’action, FSU-Snuipp, Sud éducation et Snudi-FO appelle tous les personnels à la grève et au rassemblement ce vendredi 12 décembre à 12h30 devant la DSDEN. C’est ce jour-là qu’aura lieu la CSA-D lors de laquelle devrait être mis au vote ce projet de refonte.
Il n’y a qu’une façon de stopper ce rouleau compresseur destructeur et c’est par une mobilisation tant massive que déterminée.
Jadran Svrdlin
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