Commandé par le CCGPF, le comité d’entreprise de la SNCF, un rapport pointe les dangers de la libéralisation du rail. Des surcoûts liés à la balkanisation des TER sont à prévoir pour les régions, et l’avenir du TGV à la française est en suspens par l’absence de péréquation entre les lignes.

« Vers une privatisation des bénéfices et une socialisation des pertes ? » C’est la principale interrogation soulevée dans une expertise commandée par le CCGPF, le comité d’entreprise de la SNCF, sur la libéralisation du transport ferroviaire de voyageurs. Selon l’analyse du Groupe 3E, que l’Humanité a pu consulter, « loin d’être une chance, l’ouverture à la concurrence constitue une menace pour la pérennité » du réseau.
Concrètement, pour les TER, à compter de 2034, l’ensemble des lignes devra être privatisé, au travers des appels d’offres. À terme, 36 filiales dédiées et de droit privé, dont une majeure partie pour la SA SNCF Voyageurs, opéreront les transports de train régionaux. Un choix politique qui a un coût pour les usagers, les contribuables et les cheminots.
700 millions pour préparer la privatisation des TER
Ainsi, selon l’expertise, au moins 700 millions d’euros sont à prévoir par les régions pour la construction de vingt de nouveaux centres de maintenance. « Avec l’allotissement, pour rassurer les candidats, les régions font en sorte que chacun des lots dispose d’un atelier dédié. C’est modification profonde du réseau de technicentres actuellement exploités par la SNCF », mesure Antonin Mazel, responsable de la mission pour le groupe 3E.
Par exemple, sur la ligne Nancy-Contrexéville, en train d’être régénérée par le consortium Nova 14 (NGE Concessions, Transdev et la Banque des Territoires) qui l’opérera ensuite, ce groupement privé « exploitera un centre estimé à 14 millions d’euros, pour une ligne qui ne représente que 0,6 % de l’offre TER en Grand Est. Lors de son monopole, la SNCF n’aurait jamais pu espérer un tel atelier de maintenance pour cette ligne », expose l’expert ferroviaire.
À cela s’ajoutent les indemnités pour les candidats non retenus des appels d’offres. Pour l’heure estimée à 7,2 millions d’euros dans le rapport, « ces versements ne sont pas obligatoires, mais sont un choix des régions pour satisfaire les demandes des candidats et faire jouer la concurrence », précise Antonin Mazel.
« Des millions d’euros d’argent public sont gâchés »
Une gabegie financière que dénonce Thierry Nier. « L’analyse de la CGT est confortée : la démultiplication des acteurs, sous couvert de la concurrence, coûtera plus cher que le service public SNCF. » Selon le secrétaire général de la fédération cheminote, « des millions d’euros d’argent public sont gâchés. L’argent existe donc. Ce qui posait problème chez les libéraux, c’était le monopole de la SNCF, le travail et le statut social des cheminots. Nous dénonçons une malhonnêteté intellectuelle. »
Pour financer ces investissements massifs en faveur du privé, « les régions ont d’ordre et déjà inscrit des économies à réaliser par SNCF Voyageurs » dans les contrats TER en cours, note le rapport. « Parmi les viviers d’économies, la rationalisation et déshumanisation de la distribution tiennent une part conséquente », poursuit la note. Ainsi, 178 fermetures ou réduction d’horaires sont à déplorer pour les seules régions Hauts-de-France, Grand-Est, Paca, Nouvelle-Aquitaine.
S’agissant de la tarification des TER, un service public pourtant largement subventionné, le prix du billet pour les usagers a augmenté de 2,3 % à 10 %, selon les régions, entre 2024 et 2025, soit plus que l’inflation. « Nous fonçons dans un mur. Il nous faut faire un arrêt sur image, avec un moratoire sur l’ensemble des appels d’offres pour examiner la véracité de cette libéralisation », prévient Thierry Nier.
Sur les services librement organisés (SLO), c’est-à-dire les TGV, la concurrence tant vantée n’a pas non plus permis une baisse des tarifs ferroviaires. « Les taux de croissance annuels moyens des recettes par billet sont significatifs, sur l’ensemble des axes et produits : ils concernent tant les activités Inoui que Ouigo, les axes concurrencés ou pas », précise le document. Ainsi, sur la période 2020-2024, les recettes par billets ont augmenté de 4,02 %, au-delà là aussi au-delà l’inflation (3,41 %).
Là encore sans surprise, les concurrents de la SNCF « se sont engagés sur les liaisons les plus profitables, améliorant seulement l’offre Paris-Lyon et Paris-Marseille », poursuit la note. « Comment pouvait-il en être autrement ? s’offusque le cégétiste. Le TGV est la machine à cash du réseau ferroviaire. Il était tout à fait prévisible que les concurrents chercheront le profit maximal, sans s’accommoder de l’aménagement du territoire ».
Dans le TGV, une concurrence faussée
Une concurrence qui n’est ni libre, ni non faussée, puisque les adversaires de la SNCF, Trenitalia et la Renfe, bénéficient de rabais sur les péages ferroviaires, qui représentent jusqu’à 40 % du prix du billet. « Trenitalia France ne doit son salut qu’aux perfusions d’argent public italien, qui comblent des pertes abyssales et croissantes depuis 4 ans », insiste le groupe 3E. « On estime les recettes moyennes par passager de Trenitalia France à 24 euros. Il faudrait que ce chiffre triple a minima pour que l’entreprise soit rentable », estime Antonin Mazel.
Dans le même temps, la SNCF est sommée de dégager des marges financières pour investir dans l’entretien du réseau. Le groupe a réalisé en 2024 1,6 milliards d’euros de bénéfice. Et a contribué à hauteur de 1,7 milliard d’euros dans le fonds de concours à la gestion et aux réparations des infrastructures ferroviaires. « Ce fond de concours est exclusivement alimenté par la SNCF alors que ses concurrents sont avantagés. C’est une fumisterie qui permet à l’État de se désengager et de faire financer le système ferroviaire par la seule SNCF », assène Thierry Nier. SNCF Voyageurs débourse au moins 60 %
de ses bénéfices, via ce fonds, pour financer SNCF Réseau.
Ainsi, conclut le rapport, cette libéralisation « apporte de nombreux risques sur la péréquation des dessertes TGV, le prix de l’accès au transport ferroviaire et la qualité de service ». Et pointe des « axes et dessertes qui pourraient être menacés à terme en raison de leur caractère déficitaire » : Paris-Arras, Paris-Grenoble, Paris-Nancy… Car dans ce système concurrentiel ou ses concurrents se concentrent uniquement sur les flux rentables, pourquoi la SNCF supportera seule l’aménagement du territoire du « TVG à la française » ? Le TGV « n’est pas un service public », avait prévenu l’ex PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou.
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