« A priori il peut paraitre étonnant que les enseignants aient accepté des baisses de salaires d’une telle ampleur et ceci pendant une période aussi longue ». Dans un petit livre (Salaires des enseignants. La chute, L’Harmattan), Bernard Schwengler, professeur de SES, reprend de façon très précise la question des salaires enseignants. Des années 1980, il montre comment les politiques de revalorisation n’ont en rien empêché la baisse des salaires des professeurs qui s’est accélérée ces dernières années. Il montre aussi les mécanismes du décrochage par rapport aux autres fonctionnaires. Et il pose une bonne question : mais comment tout cela est-il possible ? Pourquoi les enseignants acceptent-ils ce déclassement à la fois réel et relatif ?
Une chute de 20% depuis les années 1980
« Des années 1980 à nos jours, les salaires des enseignants ont subi des influences contradictoires. Ils ont d’une part été tirés vers le haut par des mesures de revalorisation de carrières. Et ils ont subi par ailleurs des facteurs de baisse, correspondant principalement en la perte de valeur du point d’indice et en la hausse des retenues sociales. Ces influences contradictoires rendent difficiles une perception d’ensemble de leur évolution. Et elles génèrent des discours contradictoires sur leur évolution », écrit Bernard Schwengler. Tout l’intérêt du livre tient dans le démontage clair et très précis de ces mécanismes.
Parce que sur le résultat final il n’y a pas photo et les enseignants le savent bien. De 1982 à 2018, pour un indice 100 en 1982, le salaire moyen d’un certifié est à 80 au bout de 10 ans de carrière en 2018. Ce n’est d’ailleurs pas mieux en fin de carrière. Celui d’un professeur des écoles est à 92 et en fin de carrière à 101.
Les mécanismes de la baisse
Comment en est-on arrivé là ? » De 1982 à 2018, les salaires des enseignants ont connu des facteurs de baisse et des facteurs de hausse », explique B Schwengler. « Les facteurs de baisse ont été la perte de valeur du point d’indice ( – 21 %) et la hausse des retenues sociales. L’effet cumulé de ces deux facteurs a entrainé, toutes choses égales par ailleurs, une baisse des salaires de près de 28 % de 1982 à 2018. Les principaux facteurs de hausse ont été les mesures de revalorisation des carrières prises au cours de cette période. L’ampleur de ces mesures a été variable selon les corps et selon les niveaux d’ancienneté ».
Pourquoi l’étude démarre t-elle en 1982 ? Parce que c’est cette année là que le gouvernement Mauroy décroche le point fonction publique de l’inflation. L’indexation n’est plus automatique même quand le gouvernement l’accorde. En 1986 la droite revient aux affaires et J Chirac modifie le mode de calcul de l’indexation de façon à rendre plus faible la revalorisation du point d’indice. En 2011 le gouvernement Fillon gèle le point d’indice. Il va rester gelé jusqu’en 2016 où une revalorisation de 0.6% est accordée. Mais le président Macron regèle le point et il s’y tient. Ainsi de 1982 à 2018 les enseignants ont perdu 21% de leur salaire du fait de ce gel, soit 0.6% par an en moyenne.
B Schwengler décrit en détail les autres facteurs de baisse du revenu enseignant avec la hausse des retenues sociales. Par exemple le retenue pour pension est passée de 6 à 10.56%. Avec le gel du point d’indice c’est 28% du salaire des enseignants qui s’est envolé entre 1982 et 2018, soit 1.1% par an.
Des revalorisations qui ont brouillé la perception
B SChwengler décrit aussi les mesures de revalorisation qui se sont succédées depuis 1982 et ont poussé à la hausse les salaires. Rappelons nous par exemple la création du corps des professeurs des écoles qui a succédé aux instituteurs ou la création de grades d’avancement : hors classe, classe exceptionnelle. Ou encore les mesures particulières pour les débuts de carrière ou le premier degré. Tout cela a atténué un peu la baisse des salaires nets mais ne l’a pas empêche. Les enseignants ont perdu en général un cinquième de leur revenu sur la période. Au point, par exemple, qu’un certifié hors classe gagne moins aujourd’hui que le certifié classe normale en 1982. En même temps les écarts entre les catégories d’enseignant se sont atténués par alignement vers le bas, explique B SChwengler. Les rythmes de baisse se sont accélérés après 2000 sans que les accords PPCR signés en 2016 aient pu renverser la tendance.
Une situation différente dans les autres ministères
Ce que ne savent pas toujours les enseignants, c’est que leur situation est spécifique dans la fonction publique. Dans les autres ministères, les fonctionnaires ont obtenu des primes compensant le gel du point fonction publique, voire allant au-delà. Cela a créé un écart très net, à catégorie égale, entre enseignants et les autres cadres A de l’Etat. La réforme des retraits l’a fait apparaitre au grand jour. Il est toujours là et la réforme est toujours suspendue au dessus de nos têtes. Par contre B Schwengler ne s’est pas aventuré dans la comparaison avec les autres pays comme le fait par exemple l’OCDE. L’Organisation montre le triple décrochage des enseignants français par rapport à leurs collèges étrangers : décrochage pour le niveau de salaire, pour la tendance (ailleurs on revalorise) et pour le coût salarial par élève. Sur ce dernier point rien n’est aussi économique dans l’OCDE que l’enseignant français…
Comment cela a-t-il été possible ?
Revenons en à la bonne question du début. » Il peut paraitre étonnant que les enseignants aient accepté des baisses de salaires d’une telle ampleur et ceci pendant une période aussi longue ». Comment cela é été possible dans une profession qui est pourtant très syndicalisée ?
Cela tient pour B Schwengler à plusieurs phénomènes. Il cite « l’illusion monétaire » c’est à dire le fait que la valeur nominale du salaire ne baisse pas. Mais en réalité la feuille de paye des enseignants a très souvent baissé en net ces dernières années au point de ne même plus vouloir l’ouvrir. Il y a aussi le fait qu’avec l’avancement on peut avoir l’impression de ne pas être victime de la baisse. La 3ème raison pour lui tient au brouillage apporté par les mesures de revalorisation qui tend à surestimer leur impact. Les enseignants savent qu’ils ont abreuvés de promesses depuis 3 ans sans doute dans le même but.
Chacun pourra ajouter d’autres facteurs. Les divisions syndicales, avec l’éclatement de la FEN, ont facilité les choses pour les gouvernements. Le prof bashing , bien orchestré par le pouvoir en place, joue aussi son rôle. Il faudrait aussi creuser du coté de la composition sociologique des enseignants, davantage issus des classes moyennes intellectuelles.
Ce qui est certain c’est qu’on arrive maintenant à un degré de déclassement tel des métiers de l’enseignement que le recrutement se tarie. Apparait un sous prolétariat enseignant, installé à demeure, avec la croissance exponentielle des contractuels. L’éclatement du système éducatif participe aussi d’une nouvelle étape qui se dessine et qui devrait voir prochainement le métier dégringoler davantage dans une dépendance accrue pour pouvoir gagner sa vie à travers de nouvelles missions envers la hiérarchie.
L’ouvrage de B Schwengler est clair, argumenté et il apporte au débat sur le salaire enseignant une argumentation solide.
François Jarraud
Bernard Schwengler, Salaires des enseignants. La chute, L’Harmattan, ISBN : 978-2-343-21692-8
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