Grippe aviaire. Les petits producteurs de canards sont gavés

En janvier, la ferme de Serge Mora, dans les Landes, a été touchée par le virus. Ses 2  500 canards ont été abattus. A. Pitton/NurPhoto/AFP

En janvier, la ferme de Serge Mora, dans les Landes, a été touchée par le virus. Ses 2 500 canards ont été abattus. A. Pitton/NurPhoto/AFP

 

Alors que le ministère de l’Agriculture devait annoncer mardi soir des mesures à la suite du dernier épisode de l’influenza aviaire, les éleveurs de plein air craignent pour leur avenir.

Depuis janvier, il n’y a plus beaucoup de canards dehors… Dans la région de production historique de la Chalosse, au sud des Landes, Serge Mora, éleveur et président du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) du département, a pris l’habitude de se balader pour mieux se rendre compte de l’étendue de ce virus qui a décimé les palmipèdes. Pas très loin de son village de Mugron, « d’un côté de la route, il y a un bâtiment avec 35 000 poulets qui ne mettent jamais le nez dehors. De l’autre, un plus petit élevage de canards. Tous les deux ont été touchés ».

Au total, dans toute la France, 485 foyers de grippe H5N8 ont été détectés. Plus de 3,5 millions de volailles ont été abattues pour raison sanitaire ou préventivement : sur des élevages non malades mais situés dans un rayon de moins de 5 kilomètres du foyer. Celles qui y ont échappé sont confinées dans des bâtiments depuis cinq mois et demi. La menace a beau être tombée de « élevée » à « modérée », dans ce coin des Landes, l’influenza aviaire s’est diffusée comme une traînée de poudre.

Une densité d’animaux très forte dans le Sud-Ouest

D’où est-elle venue ? De la faune sauvage. Mais « le nombre de foyers initiaux dû à l’introduction par la faune sauvage est faible », prévenait en février l’Anses, l’Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’alimentation. Dans le Sud-Ouest, où 7,5 des 30 millions de canards français sont élevés, le virus a trouvé un nid douillet. « La densité d’animaux y est très forte. Depuis les années 2000, les gros opérateurs et fabricants d’aliments ont voulu « démocratiser » le foie gras, la filière s’est industrialisée et a multiplié les concentrations de canards gras », raconte Serge Mora. En même temps que la filière grossissait, elle se segmentait : reproduction, couvage, élevage prêt à gaver et gavage. « Ils sont intégrés : on les fournit en animaux et aliments. On fixe leur calendrier et on les commercialise », poursuit Sylvie Colas, productrice de volailles bio et porte-parole de la Confédération paysanne du Gers. Et entre chacun : du transport et des déplacements d’animaux vivants et donc du virus.

La filière est à un tournant. « Les crises sanitaires se succèdent et on craint que le ministère laisse les opérateurs économiques orienter toute la production sous couvert d’un problème sanitaire », dénonce Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne. Car pour les petits éleveurs, la crise a un goût de réchauffé. Ils ont déjà connu trois épisodes de grippe aviaire en cinq ans : déjà en 2016 puis en 2017. À chaque fois, sans en tirer les leçons. « En 2016, les éleveurs ont été poussés à construire des bâtiments pour pouvoir confiner en cas de grippe aviaire », explique l’éleveuse du Gers. « Ceux qui ne pouvaient pas financer ces infrastructures à 500 000 euros ont arrêté ou se sont adossés à des groupements », continue Sylvie Colas.

« L’option des industriels est une fuite en avant »

Après l’épisode de 2016, les producteurs de moins de 3 200 volailles avaient obtenu une dérogation pour conserver leurs animaux à l’extérieur lors des périodes à risque. « Mais cette dernière a été dévoyée, la filière industrielle s’en est servie pour rajouter à ses bâtiments industriels 3 200 canards en extérieur », éclaire la Confédération paysanne.

Dans les réunions qui se tiennent depuis janvier sur la gestion de l’épizootie et ses suites, les deux organisations syndicales « entendent beaucoup de la part des organisations de producteurs que la claustration (l’enfermement des volailles en lieu clos – NDLR) serait la seule solution. On tourne en rond sans que le ministère n’arbitre », reprend Pierre Thomas, le président du Modef. Le ministère de l’Agriculture devait hier soir donner des premiers éléments.

Pour les petits producteurs, « l’option des industriels est une fuite en avant, une manière de se sauver en supprimant le plein air », résume le président du Modef. Car la filière surproduit : au 31 mars, elle avait 5 000 tonnes de stock de foie gras. Obliger à claustrer pendant les périodes à risque, c’est acter la disparition de l’élevage plein air traditionnel. Serge Mora, lui, se souvient du premier épisode de grippe aviaire en 1983, « il n’y avait alors eu que trois contaminations sans propagation. Mais les élevages étaient alors plus petits, diversifiés, autarciques, sans déplacement d’animaux ».


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