Les huit images de la campagne de promotion de la laïcité lancée par le ministère de l’Éducation nationale véhiculent en creux une idéologie qui désigne certaines communautés comme une menace au vivre-ensemble. Entretien.
Jean-Louis Bianco Président de la Vigie de la laïcité
Le ministre a dévoilé une campagne d’images représentant des enfants dans des situations diverses avec des textes comme « permettre à Sacha et Missa d’être dans le même bain, c’est ça la laïcité ». Pensez-vous que ces images vont permettre de bien défendre et expliquer ce qu’est la laïcité ?
Jean-Louis Bianco Ces images sont hors sujet. Nulle part il n’est question de ce qu’est la laïcité, à savoir la neutralité des services et des institutions publics, la séparation des Églises et de l’État et la liberté de conscience. Nager ensemble dans la piscine ou lire ensemble le même livre, comme le font les enfants dans cette campagne, ça n’a rien à voir avec la laïcité, dont la définition n’est donnée nulle part. Par ailleurs, c’est le ministère de l’Éducation qui lance cette opération, et on ne comprend pas pourquoi on ne nous montre que des enfants, alors que c’est aussi aux enseignants que s’imposent des obligations en matière de laïcité, en particulier le devoir de neutralité. On ne les voit pas alors que ce sont eux, avec l’ensemble des personnels de l’éducation nationale, qui transmettent les principes et les valeurs.
Si elles n’expliquent pas la laïcité, que disent ces images ?
Jean-Louis Bianco Au premier abord, la campagne a un aspect sympathique. On y voit des enfants bien ensemble, heureux. Mais quand on regarde avec précision le texte et les images, on s’aperçoit que 16 enfants sur 20 ont des prénoms ou une couleur de peau qui peuvent les renvoyer dans l’imaginaire collectif à une identité musulmane ou arabe. Le sous-texte, c’est que la laïcité est faite pour corriger les défauts des élèves de culture et de confession musulmanes. C’est dangereux. Cela les désigne comme une potentielle menace au vivre-ensemble. Ces affiches renvoient à une vision de l’intégration sous la forme de l’assimilation, avec la répétition du mot « même ». Mais la République laïque est au contraire l’unité des citoyens dans la diversité de nos convictions, de nos histoires, de nos appartenances. Cette campagne, qui intervient à la veille de l’élection présidentielle, insuffle l’idée, déjà présente dans le débat public, que tout irait bien si on oubliait nos différences et que l’expression des convictions est réservée à la sphère privée. Si on interdit la possibilité d’expression de convictions différentes les unes des autres, aujourd’hui la religion, demain ça pourrait toucher sous un autre gouvernement d’autres domaines comme la liberté politique, syndicale…
Que voulez-vous dire par une vision assimilationniste de l’intégration ?
Jean-Louis Bianco Il y a un débat, aujourd’hui un peu moins explicite, sur ce qui fait république, ce qui fait France. Face à ces questions, il y a trois réponses principales. L’une dit que le multiculturalisme, présenté de façon excessive comme la vision anglo-saxonne, est une fin en soi, c’est-à-dire qu’il faut laisser s’épanouir toutes les cultures. À l’autre extrémité, il y a l’assimilation. Elle sous-entend qu’un bon Français est gaulois, blanc et masculin, comme sont supposés l’être nos ancêtres. C’est dangereux, car ça efface une partie de nos identités, et complètement faux historiquement, car la France s’est toujours faite par des mélanges et des transformations. Ses racines sont multiples. Entre les deux, il y a l’intégration que nous prônons parce qu’on ne peut nier que nos sociétés soient multiculturelles, mais on ne peut pas non plus en faire un principe général. Pour nous le principe général, c’est la devise républicaine. Mais pour que chacun puisse se sentir à l’aise dans la France, il faudrait qu’il y ait beaucoup moins de discriminations et beaucoup plus d’égalité réelle. Cet aspect est complètement oublié. Il est pourtant indispensable pour que chacun puisse trouver sa place et se sentir citoyen, donc à égalité de droits et de devoirs, mais sans perdre son histoire, ses identités et ses convictions. Cette vision est la seule possible pour un pays comme la France. Le multiculturalisme peut être compris comme une forme d’éclatement dans lequel chacun fait ce qu’il veut alors qu’il y a des règles communes. L’assimilation réduit les gens à une toute petite partie d’eux-mêmes. C’est forcément conflictuel car ça aboutit à un combat identité contre identité.
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