Essai. « Nous sommes en guerre », une mise à nu de la militarisation de la police

Après « l’Arme à l’œil », paru en 2016, Pierre Douillard-Lefèvre dresse, dans son nouvel ouvrage, un réquisitoire contre un État qui, depuis plusieurs décennies, se laisse gagner par une hégémonie sécuritaire. Mais l’auteur ne s’en tient pas là et interroge nos capacités de résistance.

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Nous sommes en guerre
Pierre Douillard-Lefèvre
Grevis, 250 pages, 12 euros

À 16 ans, Pierre Douillard-Lefèvre est grièvement blessé à l’œil par un tir de lanceur de balles de défense (LBD) lors d’une manifestation lycéenne en 2007. Membre fondateur de l’Assemblée des blessés, le militant est aujourd’hui devenu chercheur en sociologie urbaine. Mais ce n’est ni le témoignage d’une victime, ni une historiographie universitaire que nous livre l’auteur dans son dernier ouvrage.

« Nous sommes en guerre » est un essai politique, la démonstration chapitre après chapitre du « processus de militarisation de la police » qui se mettrait « au service d’une terreur d’État », le tout dans une langue précise et incisive.

Techniques contre-insurrectionnelles

D’un point de vue situé depuis l’intérieur des luttes, l’auteur dresse le portrait d’un pays envahi par l’hégémonie sécuritaire, où la peur de finir à l’hôpital après une manifestation est devenue omniprésente et où la dissuasion par la violence de toute contestation est devenue un mode de gouvernance.

Aujourd’hui modèle de « gestion démocratique des foules », la France a longtemps développé ses techniques contre-insurrectionnelles dans les territoires colonisés, comme le démontrait Mathieu Rigouste dans « la Domination policière » (La Fabrique, 2012). À partir de 1971, les banlieues hexagonales deviennent à leur tour des « laboratoires de la peur ». L’ancien préfet de Guadeloupe, responsable du massacre de grévistes à Pointe-à-Pitre, crée les brigades anti-criminalité en Seine-Saint-Denis pour mater les soulèvements qui font suite à un crime policier.

Déploiement des armes de guerre

C’est aussi dans les quartiers populaires que l’État expérimente le LBD, dans les années 1990 et 2000. En 2018, l’usage de l’arme augmente de 200 % en l’espace d’un an, au gré de la mobilisation des gilets jaunes. Quand, d’un côté, les armes de guerre se déploient en manifestation, les mêmes forces de police s’évertuent à chasser les exilés de leurs lieux de survie comme à Calais, de la même manière qu’elles mutilent les participants des free parties et les habitants des ZAD.

Dans le même temps, le corps policier s’autonomise et gagne en influence politique, comme l’a montré l’instauration de la loi sur la sécurité globale, en 2020. En s’efforçant de n’oublier aucun des aspects de la violence exercée par l’État sur sa population via sa police, Pierre Douillard-Lefèvre met à nu la stratégie à l’œuvre dans l’exercice de cette violence quotidienne : « En blesser un pour en terroriser mille. »

Que faire face à cette « terreur de masse silencieuse » ?

Car, chaque mutilation est une existence bouleversée, sans compter l’effet dissuasif du spectacle répressif des manifestations, lui aussi à l’origine d’une « terreur de masse silencieuse ». Plutôt que d’en rester à la dénonciation des multiples violences d’État, l’auteur interroge nos capacités de résistance, face à leur généralisation dans les sociétés néolibérales. Plusieurs propositions, déjà expérimentées, émergent.

Les recours juridiques peuvent produire un certain retentissement lorsqu’une injustice de plus est commise par la police. Si la relaxe ou le classement sans suite sont la norme en matière de justice pénale, il arrive que l’État et les préfectures soient condamnés administrativement. De la même manière, atteindre une zone classée Seveso peut provoquer l’arrêt de la production d’armes dans les usines. De même, les arts et l’humour sont essentiels pour « repeupler les imaginaires face à la saturation de l’espace mental par l’hégémonie sécuritaire ».

 


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