Capitalisme augmenté. Facebook nous précipite dans la matrice

Meta, le nouveau nom du groupe Facebook présenté par son fondateur et PDG, Mark Zuckerberg. © Jakub Porzycki/NurPhoto/AFP

Pris dans la tourmente, Mark Zuckerberg accélère le tempo : il a renommé Facebook Meta, et jeté les fondations du métavers, « l’avenir du Net» selon lui. Un écosystème clos, en 3D, immersif, qui promet d’isoler l’utilisateur dans un bonheur virtuel et à la firme des profits exponentiels bien réels.

CAPITALISME AUGMENTÉ

Mark Zuckerberg a renommé Facebook Meta, et jeté les fondations du métavers. Un écosystème clos, en 3D, immersif, qui promet d’isoler l’utilisateur dans un bonheur virtuel et à la firme des profits exponentiels bien réels.

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M comme Meta. Ou comme Mark – on pensait qu’il fallait être président de la République française pour oser nommer son entreprise ou son parti de ses initiales –, comme métastases ou encore comme mégalo. Le changement de nom et de logo (un M bleu tirant à la fois sur les lunettes et le signe infini) de Facebook peut prêter à sourire. Mais si l’on en croit Mark Zuckerberg, le groupe ne veut plus être réduit au réseau social qui l’a vu naître. « À l’heure actuelle, notre marque est tellement liée à un seul produit qu’il lui est impossible de représenter tout ce que nous faisons aujourd’hui, et encore moins ce que nous ferons à l’avenir », a expliqué le PDG.

Meta veut ainsi définir la prochaine évolution d’Internet. L’ambition se veut au moins aussi importante que l’irruption du smartphone dans notre quotidien. « C’est ce qui va survenir après ­Internet : au lieu de regarder un écran, vous allez être plongés dans l’expérience elle-même », le définit Andrew Bosworth, responsable de Facebook Reality Labs. « La prochaine plateforme et le prochain média seront encore plus immersifs : une personnification d’Internet où vous ne vous contenterez pas de regarder l’expérience, mais en ferez partie. C’est ce que nous appelons le métavers. Et vous pourrez faire presque tout ce que vous imaginez : passer du temps avec des amis et votre famille, travailler, apprendre, jouer, acheter, créer, et bien d’autres nouvelles catégories d’activités qui diffèrent de la façon dont nous concevons les ordinateurs ou les smartphones de nos jours », poursuit Zuckerberg.

 

Téléportés d’une application à l’autre

On s’en doute, un simple écran d’ordinateur ne suffira pas à offrir le niveau d’immersion promis par Facebook. Il faudra chausser un casque de réalité virtuelle (350 euros au minimum) et ça tombe bien, Oculus, propriété de Facebook, est le leader mondial devant Sony des équipements de ce genre. Ce sont des appareillages assez lourds, chaque œil se voit adresser un écran, le son est intégré. De quoi être complètement coupé de ses voisins. Pour parfaire l’immersion, la réalité virtuelle demande davantage de capteurs et caméras, pour reproduire finement les mouvements des mains et des bras, comme les déplacements du corps dans l’espace, mais aussi des micros pour à la fois retransmettre la voix, mais aussi permettre les commandes vocales.

Ainsi l’avatar en 3D de l’utilisateur, qui remplacera les photos de profil Facebook, à en croire Zuckerberg, sera un double numérique de l’utilisateur, et réagira comme lui dans le métavers. Plutôt que de cliquer sur un lien, l’internaute se « téléportera » d’une application à une autre. Une salle de sport, une boutique de telle marque, un univers de jeu vidéo… Ou une salle de réunion où retrouver les avatars de ses collègues en télétravail, l’une des rares applications déjà disponible. Mais la firme a créé un fonds de 150 millions de dollars pour encourager les développeurs à créer des contenus sur sa plateforme, et multiplié les partenariats. Les premières annonces visent à enrichir ses salles de réunion virtuelles, dans lesquelles seront bientôt accessibles des applications telles que WhatsApp, Zoom, Slack ou Dropbox.

Le groupe veut avant tout enfermer ses utilisateurs dans un écosystème fermé, un peu à la manière d’Apple. Si le modèle économique de la marque à la pomme reste de vendre des produits avec 250 % de marges aux 20 % de la population les plus riches, Meta ambitionne plutôt de toucher chaque individu sur la planète. Car, ses milliards, Facebook les gagne grâce aux données. Voilà pourquoi il investit aussi dans des infrastructures réseau : il faut pouvoir connecter tout le monde.

Le monde entier à connecter

D’ailleurs, dans 35 pays émergents, le réseau social a lancé « Free Basics », qui propose une connexion gratuite à un Internet très limité – Facebook et Wikipédia en substance –, ciblant plus d’un milliard de personnes. L’Inde a interdit l’offre cette année, la jugeant discriminatoire. Avec 2Africa, il tire aussi un énorme câble sous-marin autour du continent africain pour y connecter 23 pays.

Pour cette entreprise qui fait des milliards en captant le plus de données personnelles possible de ses utilisateurs et en vendant de la publicité ciblée, le métavers recèle des possibilités nouvelles, avec pour seule limite la tolérance des utilisateurs à l’intrusion. L’avatar d’un acteur pourra interrompre l’utilisateur pour lui vanter les mérites de son dernier film ; une marque de vêtements le fera croiser des mannequins vêtus de ses créations ; tel constructeur pourra payer pour remplacer le décor des salles de réunion d’entreprise… Dans le métavers imaginé par Facebook, tout peut être à vendre.

Mark Zuckerberg, 5e fortune mondiale, se crée le rêve de tout capitaliste : un espace sans État ni régulation.

Comme c’est un espace numérique persistant, on peut aussi imaginer une forme de spéculation immobilière pour obtenir les meilleurs emplacements. Vendre des vêtements de marque pour les avatars, des œuvres d’art numériques, de l’événementiel virtuel… À chaque fois, Facebook pourrait prendre sa commission. D’autant plus que le groupe tient à disposition le diem, sa propre cryptomonnaie, indexée sur les monnaies fiduciaires traditionnelles. Rien ne l’empêche alors de penser de vraies politiques monétaires en inondant d’argent son métavers pour fluidifier les échanges ou, à l’inverse, organiser une inflation. Et grâce à la blockchain, le groupe pourra garder la traçabilité de tous les échanges.

Cryptomonnaies et blockchain

Zuckerberg sera bien le président de cet État virtuel privé. Les règles seront les siennes, de la même manière que le très flou et laxiste règlement interne de Facebook détermine ce qui peut y être dit ou non. Il se crée le rêve de tout capitaliste : un espace sans État, ni régulation. Facebook a le temps avant que quelqu’un ne vienne regarder s’il y a un droit du travail dans son métavers.

En se renommant Meta, le groupe veut clairement faire main basse sur ce qu’il croit être la prochaine grande évolution d’Internet, la réalité virtuelle… Mais les autres Gafam ne resteront pas les bras croisés, et plusieurs écosystèmes devraient se confronter. Apple mise de son côté sur la réalité augmentée. Plutôt que d’immerger l’utilisateur dans un métavers, le créateur de l’iPhone ambitionne « d’augmenter le réel ». Ce choix vise à ce qu’Internet fasse toujours plus irruption dans le quotidien. Cela nécessite tout de même des lunettes connectées – on se souvient de l’échec des Google Glass –, certains peaufinent même des lentilles, mais la marque à la pomme a déposé un nouveau brevet technologique qui vise à projeter directement les images sur la rétine, plutôt que d’imposer un écran.

Les exemples proposés de la réalité augmentée pour le grand public sont souvent tout aussi mercantiles que le projet de Facebook. Vous croisez dans la rue quelqu’un qui porte un pull qui vous plaît ? Vous pouvez commander le même en un clin d’œil, presque au sens propre. L’un des premiers succès de la réalité augmentée est le jeu « Pokémon Go ». Microsoft de son côté mise sur les deux tableaux, avec son casque de réalité mixte HoloLens.

Quelle que soit la technologie qui s’impose, on tend vers une sérieuse balkanisation de l’Internet de demain. Un peu comme ce qui s’est passé avec l’Internet mobile, où Apple et Google se sont partagé le marché. Facebook est bien placé pour mettre la main sur cette nouvelle étape qui risque d’être pire, vu le potentiel intrusif de ces technologies.


En chiffres

1,6 milliard . C’est, en euros, la somme générée en 2020 par Amazon Web Services en France. Le nombre d’entreprises françaises utilisant le Cloud a plus que doublé au cours des six dernières années, selon Eurostat. Sur les 21 milliards de dollars de bénéfices enregistrés par Amazon en 2020, 13 provenaient de sa division Cloud, soit 61 %.

97,9 %. La part du chiffre d’affaires de Facebook qui vient de la vente de publicité ciblée, pour un revenu en 2020 de 86 milliards de dollars.

74 %.  C’est le pourcentage d’utilisateurs Internet soit  2,910 milliards d’humains dans la galaxie Facebook. WhatsApp et Messenger, propriétés de Facebook, sont les deux messageries les plus utilisées dans le monde avec respectivement 2 et 1,3 milliard d’utilisateurs.

46,4 millions. Le nombre de Français utilisateurs chaque mois sur Facebook.

50 % des TPE-PME françaises ont une page Facebook.


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