(Les députés se sont prononcés pour la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal par 214 voix pour ce jeudi matin, contre 93 voix contre). Le président déclare avoir « très envie d’emmerder » les « non-vaccinés », en plein débat explosif sur le passe vaccinal. Une stratégie du clivage électoraliste, au détriment de la politique sanitaire et de la citoyenneté.
«L es non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder, et on va continuer de le faire jusqu’au bout. » Puis, un peu plus tard, à propos des antivax : « Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen. » En prononçant ces mots, dans un entretien au Parisien publié en ligne mardi 4 janvier dans la soirée, le président de la République a pris le parti de verser du sel sur les plaies du pays, tout en déclenchant rien de moins qu’une crise politique et institutionnelle, en plein débat parlementaire sur le passe vaccinal (lire page 6).
Le mea culpa sur les petites phrases qui ont émaillé le quinquennat aura donc fait long feu. « En guerre » contre le virus, Emmanuel Macron désigne désormais les non-vaccinés comme l’ennemi. Un cap est franchi dans le discours de stigmatisation et de culpabilisation. Le 14 décembre sur TF1, c’était pourtant le même Emmanuel Macron qui déclarait : « Dans certains de mes propos, j’ai blessé des gens. (…) On ne fait pas bouger les choses si on n’est pas pétri de respect pour les gens. » Pire, dans le même entretien au Parisien où il parle « d’emmerder les non-vaccinés », Emmanuel Macron déclare, à la question d’une étudiante réclamant le vote obligatoire : « Il faut réussir ensemble à bâtir de la confiance. Ce n’est pas quelque chose qui se décrète. » Schizophrénique.
Quelques éléments de contexte. Le chef de l’État a accordé deux heures et quart d’entretien « face aux lecteurs » du Parisien, mardi 4 janvier dans la matinée. Ce n’est pas aux journalistes du quotidien qu’a répondu Emmanuel Macron mais à six citoyens français, dont une infirmière de 54 ans. C’est elle qui pose la question des non-vaccinés au président, lequel évoque en réponse une « minorité réfractaire » qu’on « réduit en l’emmerdant davantage ». À ce moment, le passe vaccinal n’a pas encore été voté puisque les débats ont été suspendus la veille à l’Assemblée nationale, ce qu’Emmanuel Macron n’ignore pas. Le Parisien confirme par ailleurs que l’article était prévu pour parution en kiosques mercredi 5 janvier au matin et dès mardi 4 au soir pour la version numérique. Les équipes du président, qui était « très à l’aise » au moment de prononcer cette phrase, ont pu relire l’entretien « par courtoisie », précise le quotidien francilien, mais « sans possibilité d’y apporter des changements ».
Un mot d’ordre pour la majorité : le président « parle vrai »
Il ne s’agit donc pas de propos exprimés à l’emporte-pièce, mais au contraire bien réfléchis. La majorité macroniste, chargée d’assurer le service après-vente, assume sa déclaration (tout en confiant, parfois, son embarras en off). Le mot d’ordre est répété en boucle par les porte-flingues de la Macronie, du député Thomas Mesnier à la ministre Agnès Pannier-Runacher : le président « parle vrai » et « il dit tout haut ce que beaucoup de Français pensent tout bas. » Comprendre : ce serait démagogique donc vertueux. Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, va même plus loin, évoquant « des propos très en deçà de la colère d’une très grande majorité des Français ».
La sortie du président change la nature même du débat sanitaire, dénonce l’opposition. Le candidat communiste Fabien Roussel dénonce « des propos indignes et irresponsables » qui « ne doivent pas faire diversion sur les vrais problèmes qui se posent face à cette pandémie ». « Désormais, il ne s’agira plus d’être convaincu par la vaccination mais d’obéir à un homme qui veut vous emmerder », soupire le candidat France insoumise Jean-Luc Mélenchon, opposant au passe vaccinal, qui rappelle qu’en matière de vaccination l’OMS invite à « convaincre, pas contraindre ». « Les écologistes sont pour la vaccination. Les mots d’Emmanuel Macron utilisés envers les non-vaccinés confirment l’inutilité du passe vaccinal », juge pour sa part l’écologiste Yannick Jadot.
La droite LR, pourtant prête à voter le passe sanitaire, en profite pour jouer la carte du duel Pécresse-Macron pour 2022. La candidate LR estime ainsi « être la seule à pouvoir mettre fin à ce quinquennat de mépris » : « Nous avons besoin de réparer le pays, de rassembler et d’aimer les Français. » Quiconque a suivi les débats de la primaire LR, marqués par une surenchère sur l’immigration, l’insécurité et le terrorisme, ne manquera pas d’en relever l’ironie. Le RN n’est pas en reste. « On insulte des gens qui ne sont pas hors la loi (car le vaccin n’est pas obligatoire – NDLR), c’est absurde ! » fait mine de s’étrangler le porte-parole de Marine Le Pen, Laurent Jacobelli, alors que son parti est expert quand il s’agit de stigmatiser, entre autres exemples, les femmes voilées.
« Une manière de se dédouaner des conséquences de sa politique »
Derrière l’émotion qu’elle a suscitée, quel sens donner à une sortie aussi indigne et outrancière du président ? Il ne s’agit pas, à l’évidence, d’accélérer la vaccination. On voit mal comment l’injure pourrait convaincre qui que ce soit parmi ceux qui doutent encore des bienfaits du vaccin, et a fortiori parmi les antivax radicaux. Au contraire, Emmanuel Macron donne du biscuit aux marchands de complots de tout poil qui, sans honte ni respect pour l’histoire, parlent « d’apartheid vaccinal ». En évoquant des « irresponsables » qui ne seraient plus des citoyens, le président nourrit ce type de discours. En cela, c’est une double faute morale et politique.
Mais, pour Emmanuel Macron, l’enjeu est autre. Il cherche à faire des non-vaccinés les seuls responsables de la pandémie. Et à réduire le débat sanitaire à la seule question du passe. « C’est une manière pour lui de se dédouaner des conséquences de sa politique de clochardisation de l’hôpital public, avec 17 500 lits supprimés depuis 2017 », complète le porte-parole du PCF, Ian Brossat. Évacuées, en outre, les questions des traitements, de la levée des brevets pour éviter l’apparition de nouveaux variants à l’étranger ou du manque de personnel hospitalier, lessivé par deux ans de crise.
« Ce sont les propos d’un candidat qui cherche à cliver pour consolider son socle électoral », analyse quant à lui le patron du PS Olivier Faure. Dans l’entretien au Parisien, Emmanuel Macron confie « avoir envie » de se représenter, et confirme qu’il « n’y a pas de faux suspense ». Son discours correspond dès lors aussi à une certaine attente d’autorité et d’implacabilité de son électorat le plus radical et conservateur. Celui-là même qui soutenait, en 2018 puis 2019, la répression policière contre les gilets jaunes. Le 31 décembre, Emmanuel Macron déclarait déjà que « les devoirs valent avant les droits », une formule typique des discours réactionnaires. Ce faisant, le chef de l’État a réduit le débat sanitaire à un bas calcul électoral, quitte à miner la confiance dans l’action du gouvernement en matière de santé, y compris auprès de la population vaccinée. Faisant de lui le premier des irresponsables.
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