De retour sur Terre après 200 jours à bord de l’ISS, le spationaute Thomas Pesquet, véritable figure populaire, nous a accordé un entretien exceptionnel. Privatisation rampante de la recherche et des activités spatiales, enjeux géopolitiques, état de la planète… Des sujets sur lesquels l’homme sait prendre de la hauteur. Il n’en élude aucun. Surtout pas celui de la crise climatique, dont il a été un observateur privilégié.
Allô Houston ? » La question rituelle fera toujours sourire les amateurs d’astronomie – et du film « Apollo 13 ». Mais, cette fois, c’est la voix de Thomas Pesquet qui nous répond au centre spatial de la Nasa, basé au Texas. Revenu sur Terre le 9 novembre 2021, au terme d’une mission de 199 jours à bord de la Station spatiale internationale (ISS), l’astronaute préféré des Français reprend doucement ses marques. Après trois semaines de réadaptation physique à Cologne, en Allemagne, il a regagné les États-Unis pour poursuivre le travail scientifique mené dans l’espace. Au cours de cette mission « Alpha », Thomas Pesquet a multiplié les photos, témoin privilégié de la beauté fragile de notre planète et de la crise environnementale qui la détruit. À 43 ans, l’astronaute porte aussi un regard attentif sur l’évolution d’une conquête spatiale où les intérêts privés prennent de plus en plus de place.
Après avoir passé près de 200 jours dans l’ISS, comment se déroule votre récupération ?
Thomas Pesquet Physiquement, c’est plus facile que la première fois. En revenant d’un long séjour dans l’espace, on perd de la densité musculaire et notre équilibre. Pendant plusieurs semaines, l’oreille interne est moins performante, on a des vertiges, voire la nausée, un peu comme un mal de mer. Cette fois, je n’ai pas eu ces symptômes. Il a juste fallu retrouver de la force, faire du cardio pour le cœur. En quatre semaines, je suis revenu à mon niveau normal. En revanche, psychologiquement, c’est plus compliqué. Dans l’ISS, tout est cadré, organisé. La vie sur Terre est plus complexe. On doit se réadapter au quotidien : ses collègues, les sollicitations, payer ses factures, reprendre une vie sociale, faire attention au Covid… Cet atterrissage-là prend plus de temps.
Quel bilan général faites-vous de ce séjour ?
Thomas Pesquet Déjà, on n’a rien cassé à bord de l’ISS ! Et c’est loin d’être garanti dans des conditions aussi compliquées, notamment face à des épisodes de débris spatiaux. Tout le monde est revenu en bonne santé et le programme a été entièrement réalisé. J’ai pu faire quatre sorties extravéhiculaires, dont l’installation de nouveaux panneaux solaires de 17 mètres à l’autre bout de la station… J’ai été pour la première fois commandant de bord et ai dû gérer une situation d’urgence en octobre, à la suite d’une perte de contrôle de l’orientation du vaisseau. Il a fallu réagir vite, répartir les rôles. On y est préparés, mais ce n’est jamais pareil en vrai. Sur le plan scientifique, le bilan est positif, même s’il va falloir attendre la publication du résultat de ces recherches pour l’apprécier. En tout cas, le grand public a suivi l’aventure avec enthousiasme, on a parlé science, coopération internationale, environnement, parité… Ce type de mission permet de sensibiliser la société, de susciter des passions, de faire rêver des personnes dont le quotidien n’est pas toujours marrant. Un signe ne trompe pas : l’Agence spatiale européenne a lancé des sélections d’astronautes et les pays francophones écrasent tout en nombre de candidats.
« Dans l’ISS, on est la vigie du haut du mât. L’ampleur des phénomènes climatiques extrêmes que j’ai vu défiler sur la Terre m’a choqué. » © ESA-NASA
Lors de votre premier séjour dans l’espace, il y a quatre ans, vous n’aviez cessé d’alerter sur le réchauffement climatique. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Thomas Pesquet Dans l’ISS, on est la vigie en haut du mât. Au début, on trouve toujours que la Terre est magnifique, avant de constater, un peu partout, l’impact des pollutions. Cette fois, l’ampleur des phénomènes climatiques extrêmes m’a choqué. Les ouragans dans le golfe du Mexique se suivaient à la queue leu leu, à peine l’un arrive sur les côtes, le suivant se forme déjà… Dans l’ISS, on est à la verticale de l’œil du cyclone, au-dessus de murs de nuages de plusieurs kilomètres de haut. On voit la puissance de la nature et c’est difficile d’être le témoin impuissant, depuis l’espace, de ces phénomènes qui menacent des populations entières. On a observé également des feux gigantesques dans le bassin méditerranéen – en Grèce et dans le sud de la France – mais aussi au Canada et en Californie, entièrement recouverte par une couche de fumée ! Je n’avais jamais vu ça depuis l’ISS.
Investir dans le tourisme spatial doit être utile à la science. Envoyer des milliardaires dans le seul but de les distraire est indéfendable.
Vous aimez photographier la beauté de la planète. Quel cliché vous a marqué ?
Thomas Pesquet Je suis impressionné par le spectacle grandiose de la nature. Il y a des endroits paradisiaques, d’un vert intense, comme la forêt amazonienne, des îles magnifiques dans un océan de bleu, les dégradés d’ocres de toute beauté dans le désert du Sahara ou le centre de l’Australie… En dix minutes à la fenêtre de l’ISS, une variété incroyable de paysages défile. Cela crée un réel attachement à notre planète. Depuis l’espace, on prend conscience de cette petite boule où se concentre toute la vie, isolée et perdue au milieu de l’immensité spatiale froide et totalement morte. Cette fragilité est vertigineuse, et il est impossible de ne pas s’inquiéter du sort que l’on fait à notre Terre.
Justement, trouvez-vous que les débats de la présidentielle en France sont à la hauteur de l’enjeu ?
Thomas Pesquet Tout le monde a compris que le thème de l’environnement était incontournable. Mais s’il est facile d’en disserter – et je m’inclus dedans –, il est plus difficile de passer à l’action aux niveaux national et international. Pour cela, il faudra une volonté de fer, car agir aura des conséquences dans tous les domaines de la vie : l’emploi, l’économie, les transports, le confort des gens… Cette question cruciale ne peut se payer de mots, elle doit s’accompagner de mesures d’ampleur et j’ai encore quelques semaines pour voir qui, selon moi, est le plus crédible en la matière…
Pour retrouver tous nos articles sur Thomas Pesquet en un seul clic, c’est par ici !
Vous avez voyagé à bord d’un lanceur de l’entreprise SpaceX d’Elon Musk. La place que prennent ces opérateurs privés dans la recherche spatiale vous inquiète-t-elle ?
Thomas Pesquet Les entreprises privées y ont toujours participé en étant les opérateurs des budgets publics. Dans le passé, la Nasa possédait les financements, assurait l’ingénierie et l’expertise technique, mais c’était l’ouvrier de McDonnell Douglas ou de Northrop Grumman qui construisait la navette spatiale, les lanceurs et les satellites. Pareil en Europe avec Airbus et Arianespace, qui répondent à des appels d’offres du secteur public. Cette fois, une plus grande indépendance a été donnée aux acteurs privés. Plutôt que de réaliser le travail d’ingénierie et de leur déléguer la construction, on leur a fourni un cahier des charges complet, un budget et des délais : envoyer quatre fois par an des astronautes dans l’ISS, pour tel prix, en transportant cinq tonnes à l’aller et trois au retour… Boeing était sur la ligne de départ mais c’est SpaceX qui a su remplir toutes les conditions. Mais, contrairement à ce que beaucoup pensent, Elon Musk n’a pas financé tout ça. Encore une fois, c’est la Nasa qui a payé le développement de la fusée et le reste de la mission.
L’exploration spatiale prépare le futur mais il faut d’abord s’occuper du présent. La priorité, c’est notre planète.
Mais cette tendance à la privatisation n’est-elle pas problématique ?
Thomas Pesquet Elle le devient, à mon sens, lorsqu’il y a un développement mercantile de ces activités, à l’image du « tourisme spatial ». Les vols sont très coûteux et ont un impact sur l’environnement. Cet investissement, pour être acceptable, doit être utile à la communauté. Les scientifiques le font pour la recherche avec des débouchés dont tout le monde profite. En revanche, envoyer des milliardaires dans l’espace avec pour seul but de les distraire est, à mon sens, indéfendable…
Dépensons-nous trop pour l’exploration spatiale ?
Thomas Pesquet Il faut remettre les choses dans leur contexte. Ce ne sont pas des montants extravagants, comparés à d’autres (le budget du Centre national des études spatiales en France était de 2,3 milliards d’euros en 2021 et celui de l’Agence spatiale européenne, de 6,5 milliards – NDLR). Les dépenses militaires américaines, c’est 600 milliards par an, le budget français de la défense, 55 milliards, et celui d’un club de foot comme le PSG, plus de 500 millions d’euros. L’Europe participe à hauteur de 8 % du financement de l’ISS. La France n’abonde qu’un quart de ces 8 %, mais cela nous permet d’y envoyer des astronautes pour un coût bien moindre que les Américains…
« On n’a rien cassé » se réjouit l’astronaute quand on l’interroge sur le bilan de son séjour à bord de l’ISS. Un « labo unique » où la mission « Alpha » a mené plus de 200 expériences. » © ESA-NASA
Quel est l’intérêt concret de cette recherche en milieu spatial ?
Thomas Pesquet La Station spatiale est un laboratoire unique, avec des conditions d’apesanteur inexistantes sur Terre qui nous permettent d’accéder à des phénomènes invisibles d’habitude. Lors de la mission « Alpha », nous avons mené plus de 200 expériences scientifiques qui auront des applications concrètes dans une multitude de secteurs, comme en médecine ou en science des matériaux sur les alliages. Le deuxième intérêt de l’ISS est d’être une étape indispensable pour mener à bien des explorations vers la Lune et surtout vers Mars. Pour les réaliser, il faut que l’on sache vivre de longues périodes dans l’espace à proximité de la Terre. L’ISS nous permet de nous y préparer. Mars est un vrai enjeu, c’est notre sœur jumelle, elle peut nous permettre d’apprendre des choses fondamentales sur la place de l’homme dans l’Univers, l’apparition de la vie, sur le devenir de la Terre. Comment cette planète équivalente à la nôtre a perdu son atmosphère et son eau liquide ? Est-ce que cela peut nous arriver ? Dans quelles conditions ?
La course à l’espace gagnerait à passer de la compétition à la coopération. Celle des Russes et des Américains sur l’ISS est exemplaire.
À quel horizon un voyage humain est-il envisageable sur la planète rouge ?
Thomas Pesquet Difficile à dire. Il y a des choses que l’on ne sait pas encore faire. La rentrée atmosphérique sur Mars est compliquée. On a réussi avec Curiosity, qui fait un peu moins d’une tonne. Là, il s’agirait de poser 40 tonnes, avec suffisamment de matériel pour rester des semaines et repartir ensuite… Ralentir une telle masse est un sacré défi. De même, un voyage qui dure aussi longtemps pose des problèmes de radiations. Ces défis ne sont pas impossibles à résoudre, mais ils dépendent de la volonté politique. Quand les Américains ont voulu aller sur la Lune, ils ont mis le paquet. Aujourd’hui, il y a d’autres priorités : notre planète et l’environnement. L’exploration spatiale prépare le futur, mais il faut d’abord s’occuper du présent. La communauté scientifique en est bien consciente et sait qu’elle n’aura pas les mêmes budgets que dans les années 1970. On parle de retourner sur la Lune aux alentours de 2025. On peut espérer de vraies missions d’exploration vers Mars, avec équipage et en coopération internationale, mais pas avant 2035.
L’espace est-il toujours un enjeu politique central pour les grandes puissances ?
Thomas Pesquet Bien sûr. Il y a clairement une course dont le grand animateur reste essentiellement la Chine. C’est normal, elle a un retard à rattraper et une place à retrouver. Mais il n’y a pas d’animosité sur le plan spatial entre les États-Unis, l’Europe et la Chine, plutôt de la compétition. Cette émulation peut être utile, mais il serait mieux, à mon sens, de passer de la compétition à la coopération pour le profit de tout le monde. Il faut suivre l’exemple de l’ISS, où Russes et Américains ont été obligés de s’entendre, de s’engager au vu et au su de tous, et de dépasser leurs antagonismes…
Vous comptez désormais parmi les anciens astronautes, mais, enfant, vous vous imaginiez là ?
Thomas Pesquet Pas du tout ! J’ai eu une enfance des plus banales : classe moyenne, ma mère institutrice, mon père prof de collège, une petite ville de 2 000 habitants dans la campagne normande. Rien ne me prédestinait à cette carrière-là. Les choses sont venues une par une : travailler à l’école, passer ses diplômes, devenir ingénieur, puis pilote, instructeur, partir à l’étranger, apprendre d’autres langues… Et puis, un jour, j’ai participé à une sélection d’astronautes et coché toutes les cases. Je ne l’avais pas anticipé et, à vrai dire, c’est encore étrange lorsque des gens m’arrêtent dans la rue !
Vous retournez parfois du côté de Rouen retrouver vos amis d’enfance ?
Thomas Pesquet Oui, j’ai toujours de vieux copains de collège et lycée que j’essaie de revoir régulièrement. J’adore retourner là-bas. Dès que j’arrive où habitent mes parents, mon stress diminue. J’ai fait mille fois le trajet en TER, je connais toutes les gares. Ce retour à quelque chose de familier me fait du bien au moral et à ma santé. C’est une des meilleures manières de me ramener sur Terre…
Quelles seront vos prochaines missions ?
Thomas Pesquet Déjà, essayer de me reposer, voir mes proches et ma famille. Les gens ont l’impression qu’être astronaute c’est « que du bonheur », mais c’est beaucoup de sacrifices. Je ne vais pas au mariage de mes amis, je rate la naissance de mes neveux… C’est frustrant de passer à côté. Je vais prendre un peu de temps pour moi et mes proches. Après, les projets ne manquent pas : finir la mission « Alpha », faire des conférences dans les écoles et les universités. Et puis, à une échéance plus lointaine, peut-être participer aux missions de retour vers la Lune, de manière plus durable, en utilisant les ressources présentes sur notre satellite. Ça serait super d’en faire partie. Aujourd’hui, je suis l’Européen le plus expérimenté dans l’espace en nombre de sorties et de jours. Je ne dis pas ça pour frimer, juste pour expliquer que je dois renvoyer l’ascenseur en investissant cette expérience dans les projets de l’Agence européenne, soit au sol, soit en retournant dans l’espace, soit en aidant des Français ou des Françaises à y aller à leur tour…
Êtes-vous encore sélectionnable ?
Thomas Pesquet Je peux repartir, mais il va falloir en parler à ma compagne ! À 43 ans, je suis encore le plus jeune mais je ne vais pas le rester encore longtemps. L’Agence va bientôt embaucher une nouvelle génération. Tant qu’on reste en bonne santé, on peut voler jusqu’à 50 ans facilement. J’ai encore de belles années devant moi. Mais il faut faire la place aux plus jeunes. À 30 ans, j’étais content que les anciens n’accaparent pas toutes les missions. Maintenant, c’est mon tour…
Comment devenir astronaute. Pour approcher les étoiles, il faut d’abord répondre à l’une des campagnes de recrutement de l’Agence spatiale européenne. S’il n’existe pas de cursus spécialisé, les connaissances scientifiques sont indispensables et une grande agilité physique est requise. Légalement, Il faut mesurer entre 1,55 et 1,90 mètre et avoir entre 27 et 37 ans. L’aspirant devra aussi justifier de 1 000 heures de vol civil ou militaire, au minimum. Mais rien n’est possible sans une grande motivation, puisque lors de la campagne de 2008, seuls 6 candidats sur 8 413 ont été retenus… N’est pas Pesquet qui veut.
En savoir plus sur Moissac Au Coeur
Subscribe to get the latest posts sent to your email.