Économie Pour sa troisième candidature à l’Élysée, la patronne du RN prétend vouloir « améliorer le pouvoir d’achat de nos concitoyens », « favoriser la jeunesse » et « augmenter les salaires ». Mais, dans le détail, son programme vise d’abord à cajoler les riches et les entreprises. Elle s’est même reconvertie au néolibéralisme le plus dur.
Dans sa volonté de conquérir le pouvoir, la nouvelle stratégie de Marine Le Pen consiste à parler aux classes populaires mais aussi à « rassurer », comprendre rassurer les marchés et les riches. Exit la proposition phare de 2017 sur la sortie de l’euro, quant à la dette, il s’agit de la « rembourser » sans barguigner. Qu’en est-il véritablement de ses mesures économiques ? En un mot, pour qui roule Marine Le Pen ? Décryptage avec un membre des Économistes atterrés (lire ci-dessous) et le politologue au Cevipof, Bruno Cautrès.
Salaires, retraites… le « miroir aux alouettes »
C’est la mesure phare de Marine Le Pen en ce qui concerne la question des salaires : une exonération de cotisations patronales pour les entreprises, afin « d’augmenter les salaires » de 10 % dans la limite de trois fois le Smic, tout en « préservant la capacité des entreprises à rester compétitives ». Selon notre Économiste atterré, « il s’agit encore ici d’agir sur les salaires en baissant les cotisations sociales, ce qui fragilise le financement de la protection sociale et pénalise les précaires ». Au final, ce genre de mesures aboutit à une baisse de l’assurance-chômage, dans la droite ligne de la politique menée par Emmanuel Macron.
« Les propositions de l’extrême droite sont dans la continuité de la politique néolibérale d’exonérations de cotisations sociales à l’œuvre depuis trente ans », analyse l’économiste. Pour Bruno Cautrès, cette « volonté de s’adresse’r aux catégories populaires n’est pas nouvelle : en 2017, elle proposait d’augmenter les salaires des fonctionnaires de catégorie C. Mais cette question est toujours corrélée avec des économies sur les aides et allocations aux immigrés et étrangers ».
Se présentant comme la « candidate de la jeunesse », Marine Le Pen a avancé une « mesure choc » : l’exonération totale de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans, ainsi que de l’impôt sur les sociétés pour les entrepreneurs du même âge. Avec une conséquence caricaturale : un footballeur millionnaire se retrouverait… exonéré d’impôts. Pour l’Économiste atterré, « ces mesures avantageraient les plus aisés parmi les jeunes. Il y a d’autres choses à faire pour aider les jeunes, étudiants et précaires. L’impôt n’est pas le bon instrument. » Bruno Cautrès rappelle que Jean-Marie Le Pen, dans les années 1980, « proposait de supprimer l’impôt sur le revenu, dans une tradition libérale ». Quant à la suppression de l’impôt sur les sociétés, il s’agit là de la « tradition de défense des PME, artisans et commerçants à l’extrême droite », dont la « thématique historique est celle de l’État qui opprime ». Quant à la retraite à 60 ans, une des mesures emblématiques de la gauche, il s’agit là « du vernis social du projet du RN, comme en 2017 », avance l’économiste.
Fiscalité et succession, tout pour les riches
Depuis la suppression de l’ISF et la mise en place de la flat tax (imposition maximale de 30 % sur les revenus du capital) par Emmanuel Macron, le sujet de la fiscalité – notamment de la succession – est toujours plus prégnant. Marine Le Pen propose de permettre une donation exonérée de tout impôt dans la limite de 100 000 euros tous les dix ans, et d’exonérer de droits de succession les biens immobiliers jusqu’à 300 000 euros. « C’est une manière de s’adresser aux classes moyenne et supérieure », pointe Bruno Cautrès, qui y décèle un « élément contextuel de cette campagne, avec un alignement de beaucoup de candidats sur cette question ». Notre Économiste atterré y voit « deux mesures néolibérales emblématiques qui favorisent les ménages aisés ». Qui peut en effet transmettre ainsi de tels patrimoines ?
Quant à l’ISF, la cheffe du RN veut instaurer un « IFF » pour impôt sur la fortune financière, qui exonérerait la résidence principale, ainsi que les œuvres d’art, afin de « conserver le patrimoine français ». Au final, « cette mesure ne vise pas tout à fait les mêmes catégories de ménages que l’IFI mise en place par Macron, mais elle revient quand même à éviter de taxer une partie des plus riches », selon l’économiste. D’autant que, avec la crise sanitaire, l’épargne de ces derniers a considérablement augmenté. « La crise a montré l’importance des dépenses publiques. Pour garder une capacité d’intervention, l’État doit maintenir ses recettes, donc pouvoir taxer ceux qui ont les moyens de payer », analyse l’économiste.
De la même façon, Marine Le Pen souhaite conserver la flat tax. Pour l’Économiste atterré, « il s’agit de ne pas toucher aux inégalités issues de la répartition primaire des revenus du travail et du capital, voire de les légitimer ». « Marine Le Pen envoie un signal politique, en disant : “Je suis du côté des entrepreneurs et du capital”, se mettant ainsi en porte-à-faux avec les catégories populaires », ajoute Bruno Cautrès.
Dette, sortie de l’euro : retour à l’orthodoxie
C’est dans le même esprit qu’il faut analyser le revirement de la cheffe du RN sur la dette et la sortie de l’euro. « Ce retour à une orthodoxie économique vise à se présidentialiser », avance Bruno Cautrès. C’est dans une tribune à l’Opinion du 21 février 2021 que Marine Le Pen assure « qu’une dette doit être remboursée ». Un changement de pied majeur que l’Économiste atterré analyse comme « une idée très partagée à droite, qui assimile dette de l’État et dettes des ménages ». Parler à l’électorat de droite, voilà précisément « l’objectif de Marine Le Pen, qui doit attirer les électeurs de droite tout en faisant le plein du côté des catégories populaires, d’où un grand écart », pointe Bruno Cautrès. Notre économiste rappelle surtout que « l’argument du remboursement de la dette est généralement mobilisé pour s’attaquer aux services publics, à la protection sociale, aux pauvres ou aux étrangers », et observe que « la conversion au néolibéralisme de l’extrême droite s’observe en France comme au niveau international, avec Trump ou Bolsonaro ».
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