Les liaisons dangereuses de LaREM avec le RN

Le président de la République devait s’exprimer mercredi soir. Il avait jusqu’ici laissé ses troupes multiplier les appels du pied au RN, quitte à le normaliser toujours plus.

AFP

Voilà un cas sur lequel la médecine devrait se pencher avec la plus grande attention. Celui, assez terrifiant, de la subite amnésie collective qui frappe la Macronie. Il y a dix semaines, pendant l’entre-deux-tours de la présidentielle, ses électeurs et ceux de la gauche avaient des « valeurs communes », dixit l’ancien président LaREM de l’Assemblée nationale Richard Ferrand. Si bien que les ténors de la majorité présidentielle comptaient sur les sympathisants FI, EELV, PCF et PS pour faire barrage à l’extrême droite de Marine Le Pen. Ce que beaucoup ont fait en glissant, à contrecœur, un bulletin Macron dans l’urne. Mais, jusqu’au plus haut sommet des institutions de ce pays, personne ne semble se souvenir de cette période pas si lointaine. Maintenant que le président de la République ne dispose plus d’un nombre suffisant de députés pour appliquer son programme de casse sociale et environnementale, il cherche le moyen de se délier les mains. Parmi les options sur la table, celle d’un gouvernement d’union nationale. Une configuration qu’Emmanuel Macron a évoquée avec Marine Le Pen, comme elle l’a elle-même confirmé. Après une série de consultations, le président de la République devait s’exprimer mercredi à 20 heures lors d’une allocution depuis l’Élysée. Mais dans le laps de temps qui a séparé cette intervention du second tour, il a laissé les siens tendre la main au Rassemblement national.

Dimanche, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a ouvert le bal, s’adressant à un eurodéputé RN : « C’est en réalité à l’Assemblée nationale que nous verrons et que nos compatriotes verront comment nous essayerons d’avancer ensemble. » Depuis, les appels du pied continuent à un rythme soutenu. La députée des Hauts-de-Seine Céline Calvez a poursuivi le triste florilège, estimant que « quand on a besoin d’avoir une majorité, et si c’est bon pour les Français, en fait, on va aller chercher ces voix-là ». Avant de rétropédaler mollement, disant ne vouloir faire « aucune compromission envers le RN, avec lequel (elle) ne partage aucune valeur », tout en appelant les oppositions à « prendre leurs responsabilités ». En cela, elle est rejointe par Barbara Pompili, candidate Ensemble ! déclarée pour le perchoir de l’Assemblée nationale, qui veut « discuter avec tout le monde ».

Envisager un accord au cas par cas avec le RN

« Pourquoi on discuterait moins avec le RN qu’avec la FI ? » s’interroge le député de Paris Sylvain Maillard, comme si la gauche et l’extrême droite étaient taillées du même bois. Et d’ajouter : « Parfois, le RN peut avoir des positions qui l’amènent à voter des textes. C’est la FI qui a toujours voté contre nous. » Le député Modem Richard Ramos n’a lui « aucun souci » à envisager un accord au cas par cas avec le RN. Bref, la Macronie choisit son opposition qu’elle juge la plus constructive. Rares sont les voix dissonantes et elles ne se font pas entendre bien haut. C’est le cas d’Olivier Véran, ministre des Relations avec le Parlement, qui refuse que « la majorité dépende des voix du RN ».

Une position qui ne suffit pas à rassurer les différentes composantes de la Nupes face au confusionnisme ambiant. « Comment peuvent-ils oser mettre un tel trait d’égalité entre nous alors que nous n’avons rien en commun ? s’indigne le parlementaire insoumis Hendrik Davi. Macron déroule un tapis rouge à la normalisation du RN. » Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, se dit quant à lui « écœuré par tous ces gens qui participent avec ardeur à la banalisation de l’extrême droite », au premier rang desquels « l’exécutif, qui a renvoyé dos à dos RN et Nupes ». « La semaine dernière, c’était le barrage républicain au cas par cas. Cette semaine, c’est l’alliance avec le RN au cas par cas. La semaine prochaine, c’est Marine Le Pen à Matignon ? » fustige aussi le porte-parole du PCF, Ian Brossat.

Mais cette stratégie n’est pas seulement une réaction de panique d’un camp acculé par les résultats de législatives qui l’ont privé de majorité absolue. Elle s’inscrit, en réalité, dans une longue marche où la dédiabolisation appelée de ses vœux par Marine Le Pen devient, pas après pas, banalisation et même normalisation. Et le clan présidentiel est loin d’y être étranger. Emmanuel Macron, à la veille de son premier quinquennat, se présentait comme « un rempart à un parti qui porte la haine, l’exclusion et le repli ». Mais il s’est surtout agi de mettre en scène un duel, un nouveau clivage « progressistes » contre « nationalistes » , pour mieux exclure toute alternative, en particulier de gauche.

Pire, la Macronie n’a cessé d’alimenter la confusion autour des valeurs de la République et de dérouler le tapis rouge aux obsessions identitaires de l’extrême droite. Jusqu’à cette scène surréaliste de février 2021 où le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en vient à trouver trop « molle » la patronne du RN dans une surenchère de stigmatisations où il reproche, sur le plateau de France 2, à Marine Le Pen de dire « que l’islam n’est même pas un problème » (sic). « L’idée d’islamo-gauchisme, réservée aux franges marginales de l’extrême droite dans beaucoup de pays, a été reprise par Blanquer, Vidal, Darmanin. Et il y a toutes les lois – asile-immigration, séparatisme, sécurité globale – qui sont allées loin dans le sens prôné par l’extrême droite », ajoute le sociologue Ugo Palheta.

Un jeu perdu d’avance

Loin de lui couper l’herbe sous le pied, c’est au contraire le spectre de l’acceptable qui s’en trouve élargi. De l’eau au moulin de Marine Le Pen. Car « le défi du RN, qui estime que sa base contestataire est acquise, est de grappiller de la respectabilité pour conquérir des franges toujours plus importantes de l’électorat de droite », analyse le spécialiste de l’extrême droite.

A contrario, la Macronie s’est attachée à renvoyer systématiquement la gauche hors du champ de la République. Une diabolisation dont la campagne des législatives a signé l’apothéose. Le président y contribuant en personne avec son intervention à quelques jours du second tour depuis le tarmac d’Orly : « Aucune voix ne doit manquer à la République ! » avait-il lancé. Sa première ministre a entonné le même couplet, renvoyant dos à dos gauche et extrême droite. « Ce sont nos valeurs qui sont en jeu, la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité. (…) Face aux extrêmes, nous ne céderons rien », a lâché Élisabeth Borne au soir du premier tour.

Et le tour de passe-passe, bien qu’éculé et des plus dangereux, est à nouveau employé. Cette fois cependant, la logique est renversée, par le président du Modem notamment, qui s’est employé à défendre « l’union nationale » sur France Inter, mercredi matin. « Il faut tenir compte de la composition de l’Assemblée nationale, essayer de trouver des personnalités qui puissent porter une partie du message de la majorité et des sensibilités (issues du scrutin – NDLR) et former un gouvernement », a-t-il estimé sans fermer explicitement la porte à l’extrême droite malgré les relances des journalistes. Derrière les louvoiements de François Bayrou, la stratégie devient vite limpide : un gouvernement « avec ou sans Nupes ? Ils diront non. Avec ou sans le RN ? Ils diront non. Avec ou sans les appareils de parti ? Ils diront non. » Pour le camp présidentiel, il s’agit bien de renvoyer la responsabilité de « l’ingouvernabilité » aux oppositions, quelles qu’elles soient, quitte à banaliser le RN au passage.

Transfuge de LR et candidat à la présidence de l’Assemblée, Éric Woerth est allé encore plus loin. « Les insoumis ont visiblement en tête de faire du contrôle fiscal. Ce que je n’ai pas entendu au Rassemblement national », a déclaré le député à propos de la présidence de la commission clé des Finances. « On ne choisit pas son opposition, on la combat », estime pour sa part Roland Lescure, un autre prétendant LaREM au Perchoir. À ce sujet, Éric Woerth est davantage sur la même longueur d’onde que certaines figures de son ancien parti. À commencer par le président du Sénat, Gérard Larcher, qui, interprétant à sa façon le règlement de l’Assemblée, juge que cette présidence «  devrait revenir » au RN.

« Ce n’est pas simplement un jeu dangereux, mesure Ugo Palheta.  C’est un jeu perdu d’avance qui ne profite à moyen et long termes qu’à l’extrême droite. » Un autre ravage du court-termisme libéral à la sauce Macron.


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