Hôpitaux : Elisabeth Borne officialise des urgences en mode dégradé

La cheffe du gouvernement a repris ce vendredi à son compte toutes les mesures préconisées dans un rapport qui prône pourtant toute une organisation afin de bloquer l’accès direct des usagers aux soins d’urgence.

Photo LOIC VENANCE / AFP

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Voilà qui augure mal de la suite de son mandat. Pour l’une de ses premières décisions prises de Matignon, Elisabeth Borne a annoncé ce vendredi qu’elle retenait « bien toutes les propositions » de la mission flash conduite par le Dr François Braun. Le président de Samu-Urgences de France avait été mandaté par Emmanuel Macron il y a un mois pour trouver des solutions en vue d’éviter l’effondrement des services d’urgences cet été. Or, le document de 60 pages rendu jeudi présente une « boîte à outils » qui  s’apparente plutôt à une boîte de pansements à disposer sur les plaies béantes de services d’urgence.

Les préconisations relèvent toutes du court terme et visent à « réguler les admissions », en coupant le flux des malades en amont via « un triage paramédical » à l’entrée des urgences, ou par une « régulation médicale préalable systématique », via le standard téléphonique du Samu. Pour ce faire, les effectifs d’assistants de régulation médicale (ARM) seraient « remis à niveau » afin d’absorber la hausse à prévoir des appels au 15.

Dans ce système, seules les « urgences vitales » auraient accès à des services, qui pourraient même organiser la pénurie en suspendant partiellement leurs activités la nuit en mutualisant « les moyens de plusieurs services sur un seul site ». Cette réduction drastique de l’accès des usagers à ces soins de base s’accompagnerait d’une grande campagne d’information dont le slogan pourrait être « avant de vous déplacer, appelez ».

Aucune obligation pour les médecins libéraux

Les personnels participant à cette attrition des moyens se verraient récompensés financièrement. Petitement pour les personnels hospitaliers, avec une revalorisation du travail de nuit et des ponts du 14 juillet et du 15 août, ainsi qu’une prime pour les équipes des urgences psychiatriques, pédiatriques et gynécologiques. Un peu plus pour les médecins libéraux participant à la régulation (à hauteur de 100 euros brut de l’heure «défiscalisés») et en consultation (avec une majoration de 15 euros par acte demandé par le Samu), la médecine de ville ne se voyant pas soumise à une obligation de garde individuelle.

La mission flash répond ainsi a minima aux demandes de « régulation territoriale » et d’information et de sensibilisation de « la population sur le bon usage des services d’urgences hospitaliers et sur le recours aux soins non programmé » que revendiquaient il y a une semaine une vingtaine de syndicats de médecins signataires d’une tribune ( https://www.ufml-syndicat.org/les-medecins-tous-unis-pour-repondre-au-defi-de-la-crise-du-systeme-de-sante-communique-commun-des-syndicats-27-juin-2022/). Mais même l’un de ses initiateurs, le président du syndicat UFML n’y trouve que moyennement son compte. Jérôme Marty, note « des propositions qui vont dans le bon sens », mais regrette aussi « des vœux pieux en l’absence d’effecteurs », soit de nouvelles capacités d’accueil pour répondre aux besoins des malades.

« Remise en cause du libre accès aux soins »

Atterrée par les 41 préconisations, la CGT Santé dénonce ce rapport qui « propose d’officialiser tous les fonctionnements en mode dégradé qui se sont multipliés ces dernières semaines aux urgences : fermetures totales ou partielles, filtrage, consignes aux patients de ne pas venir. Pour la première fois, dans un document officiel, le tri des patients est ouvertement préconisé (…). La fermeture de service est présentée comme un nouveau mode de fonctionnement usuel des établissements. (…). La généralisation de fonctionnement en mode dégradé, sans médecin est aussi préconisée. Il s’agit par exemple de remplacer les médecins urgentistes SMUR par un binôme infirmier ambulancier. » Le syndicat est d’autant plus en colère que « ces mesures mettent en danger la population, les personnels et aboutissent à la remise en cause du libre accès aux soins et à de nouvelles réductions des capacités à soigner la population ».

Pour l’Association des médecins urgentistes de France, ce rapport ne poursuit qu’un objectif : « Cacher le vrai problème qui n’est pas un «afflux» de patients aux urgences mais bien le manque de lits pour les 20 % de patients qu’il faut hospitaliser. Les difficultés et la charge de travail dans les services ne sont pas liées aux patients qui viennent sur leurs deux jambes et qui repartent sur leurs deux jambes, mais bien aux plus graves qui attendent des heures, parfois des jours, sur des brancards qu’un lit se libère. Nous payons là la politique de fermeture massive de lits qui s’est traduite par la suppression de 100 000 lits en 25 ans. (https://www.humanite.fr/societe/hopital/en-france-99-des-hopitaux-public…)  »

Pour l’AMUF, « le plus grave est l’abandon de la population à qui personne n’a demandé son avis. Or celle-ci est légitimement en colère. Non seulement elle a des difficultés pour trouver un médecin traitant, mais l’accès aux spécialistes est de plus en plus difficile et est de généralement conditionnée au paiement d’importants dépassements d’honoraires et maintenant on ferme les derniers services ouverts 24 heures sur 24 qui permettaient encore de pouvoir se faire soigner. Pour être clair, ce qui est scandaleux est que la recherche de soi-disant «solutions» a été confiée à des médecins et des organisations très proches du gouvernement qui ne sont là que pour valider une dégradation du service public sous couvert d’un « consensus professionnel ».

Stéphane Guérard


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