Réforme de l’assurance-chômage : ceux que l’on sacrifie au nom du plein-emploi

En Conseil des ministres, ce mercredi, le gouvernement présente le premier acte de sa grande réforme d’économies sur l’assurance-chômage. Un premier texte peu novateur, mais qui ouvre la voie à un chantier bien plus colossal et bien plus destructeur.

Rien n'indique que des règles plus strictes à l’encontre des chômeurs représentent une plus grande incitation à trouver un emploi. Et pourtant...  ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Rien n’indique que des règles plus strictes à l’encontre des chômeurs représentent une plus grande incitation à trouver un emploi. Et pourtant… ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Les braises de la lutte contre l’actuelle réforme de l’assurance-chômage n’ont pas eu le temps de s’éteindre que le gouvernement a décidé de repartir au combat. Tandis que les règles en vigueur s’appliquent depuis moins d’un an, l’exécutif planche déjà sur une nouvelle mouture de son projet de régression sociale pour les privés d’emploi.

Moduler l’indemnisation en fonction du contexte économique

Un projet de loi a été présenté aux syndicats et organisations patronales, il y a plus d’une semaine. Il est examiné en Conseil des ministres, ce mercredi. Si ce premier texte est peu novateur – il prévoit simplement de prolonger jusqu’à la fin de l’année 2023 l’actuelle convention d’assurance-chômage censée prendre fin le 1er novembre prochain –, il ouvre la voie à un chantier bien plus colossal et bien plus destructeur.

Le gouvernement entend en effet moduler le montant et la période d’indemnisation des privés d’emploi selon la conjoncture économique, calquant la méthode néolibérale canadienne. Selon ce dessein, les allocations des chômeurs seront plus chiches en cas de marché de l’emploi dynamique. En période de récession, elles seront plus protectrices.

François Hommeril, président de la CFE-CGC, dénonce le « populisme affirmé » du projet.

La méthode est d’ores et déjà décriée par l’ensemble des organisations syndicales représentatives, unies ces derniers mois dans la lutte contre le régime actuel d’assurance-chômage. « Cela va être l’une des réformes les plus régressives qui soit. Elle va encore baisser les droits des chômeurs et, cette fois-ci, aucun n’y coupera. Ce nouveau projet concerne tous les privés d’emploi, alors que les règles actuelles ne touchent que les plus précaires. La fourchette d’application sera bien plus large », constate Denis Gravouil, de la CGT.

François Hommeril, président de la CFE-CGC, a quant à lui dénoncé le « populisme affirmé » du projet, qui repose sur l’idée que « le niveau d’indemnisation serait responsable d’un manque de motivation à reprendre un emploi ».

Un objectif de 5% de taux de chômage

À en croire Emmanuel Macron, cette nouvelle réforme serait pourtant la recette magique pour mettre un terme aux difficultés de recrutement qui chiffonnent les employeurs et atteindre le très désiré plein-emploi. « Le cœur de la bataille que je veux mener dans les prochaines années, c’est le plein-emploi », affirmait-il le 14 juillet dernier, annonçant la couleur.

L’objectif : passer d’un taux de chômage au premier trimestre 2022 de 7,3 % à 5 % d’ici à la fin du quinquennat. Les règles d’indemnisation plus fermes lorsque l’économie est au beau fixe constitueraient, selon la maxime gouvernementale, l’incitation rêvée pour mettre les chômeurs au travail.

Un taux historiquement bas de chômeurs indemnisés

Pour autant, il n’est pas dit que ces nouvelles dispositions réalisent le vœu de l’exécutif. Les preuves manquent pour démontrer que des règles plus strictes à l’encontre des chômeurs représentent une plus grande incitation à trouver un emploi.

Selon les données de la Dares (service de statistiques du ministère du Travail), seuls 36,2 % des privés d’emploi étaient indemnisés en avril 2022, le plus bas taux historique. Avant l’application des dispositions actuellement en vigueur, le taux s’approchait plutôt des 40 %.

Seuls 36,2 % des privés d’emploi étaient indemnisés en avril 2022.

« La rigueur veut qu’avant de s’indigner du fait que les chômeurs indemnisés n’accepteraient pas des emplois disponibles, il est nécessaire – sans stigmatiser personne – de se demander pourquoi les chômeurs non indemnisés n’acceptent pas ces emplois non plus », note dans un billet de blog l’économiste à l’OFCE Bruno Coquet, qui estime que des règles d’indemnisation plus strictes ne représentent pas une incitation à trouver un emploi.

« Le principe de la réforme repose sur l’argument selon lequel les gens resteraient plus longtemps au chômage qu’ils ne le devraient. Pourtant, c’est complètement faux. Des études démontrent même le contraire : les gens reprennent un boulot lorsqu’ils en trouvent un », abonde Denis Gravouil, de la CGT, qui dénonce des arguments mensongers et une vision du plein-emploi défendue par le gouvernement qui « occulte la précarité ».

« Continuer de casser l’assurance-chômage »

Si elle ne permet pas de réduire le chômage, la genèse de la réforme se trouverait-elle alors ailleurs ? Pour le cégétiste, l’objectif de cette mesure est de « continuer de casser l’assurance-chômage », et de « ne pas pousser les gens à revendiquer de meilleures conditions de travail et de salaires ».

Mais aussi, comme cela avait été le cas avec l’entrée en vigueur des règles actuelles, de réaliser des économies sur les dépenses publiques et se conformer au programme de stabilité transmis par Bercy à Bruxelles cet été.

De quoi aussi remporter les faveurs du patronat, qui a chaudement applaudi le projet de réforme. « L’assurance-chômage n’est pas faite pour prendre du temps libre entre deux missions, entre deux CDD ! » assenait, il y a peu, le président de la CPME, François Asselin, adoubant la vision du gouvernement. Les employeurs ont en effet tout intérêt à encourager la réforme, selon le syndicaliste Denis Gravouil.

Le recours au chômage partiel lors des confinements et de la pandémie de Covid a creusé la dette de l’Unédic de 19 milliards d’euros, qui pourraient être remboursés, faute de réforme des règles de l’assurance-chômage, par une augmentation des cotisations patronales.

Aucune évaluation des règles actuelles

Ce possible tour de vis à l’encontre des chômeurs passe d’autant moins bien que les règles actuelles, en vigueur depuis un an, sont trop récentes pour en faire le bilan. « On sait que la part des chômeurs indemnisés a considérablement diminué, mais nous n’avons pas d’autres chiffres », déplore Denis Gravouil. L’Unédic renouera bien avec l’excédent en 2022 (2,5 milliards d’euros de surplus prévus), laissant supposer que les économies escomptées ont bien eu lieu.

Mais la mesure des effets de la réforme s’arrête là : aucune évaluation des règles de l’assurance-chômage, qui allongeaient la durée de cotisation nécessaire pour ouvrir des droits et modifiaient le calcul des indemnités pour diminuer leurs versements, n’a été publiée. « C’est un scandale de lancer une nouvelle réforme sans connaître les effets des règles actuelles », souffle le syndicaliste.

Envisageant d’avance de balayer toutes les oppositions sur le sujet, le gouvernement a déjà prévu d’aller vite : selon son planning, syndicats et patronats devront se mettre d’accord d’ici la fin de l’année, d’après une lettre de cadrage qui assigne les objectifs. « Il est aujourd’hui assez inacceptable, pour ne pas dire insupportable, d’être encore à 7,4 % de chômage et d’avoir en même temps un retour unanime des chefs d’entreprise sur les difficultés de recrutement », s’est justifié le ministre du Travail, Olivier Dussopt.

Rien ne semble pouvoir entamer le front syndical

Conscient de l’opposition unanime des organisations syndicales, le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, a déjà confié qu’ « ouvrir une négociation ne servira à rien, vu qu’elle n’aboutira pas faute de diagnostic partagé sur l’effet des règles d’indemnisation sur la reprise d’emploi. Il est légitime que l’État reprenne la main », directement par décret.

Rien ne semble pouvoir entamer le front syndical contre ce tour de vis. « Vous ne nous prendrez pas au piège, cette fois-ci, à nous faire une lettre de cadrage tellement serrée sur les règles d’indemnisation chômage que, de toute façon, on ne se mettra pas d’accord avec le patronat et que vous direz “ils ne sont pas responsables” », a prévenu Laurent Berger, secrétaire national de la CFDT, craignant que l’épisode de 2019 ne se reproduise. L’exécutif avait alors si fortement cadré les discussions par avance que les négociations entre patronat et syndicats ne pouvaient pas aboutir.

Cette fois-ci encore, le principe même de la modulation des indemnités ne sera vraisemblablement pas au cœur des discussions. Selon les vœux du ministre du Travail, syndicats et patronat devront par contre se mettre d’accord sur les indicateurs qui permettront de faire varier les indemnités. Une « méthode inacceptable » pour Denis Gravouil, de la CGT.


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